Prochain cadre financier pluriannuel de l’UE : les grandes manœuvres sont lancées
La Commission européenne a publié le 12 février une communication sur le prochain cadre financier pluriannuel, qu’elle entend voir profondément réformé. "Le statu quo n’est plus une option", prévient-elle. Une consultation publique est organisée jusqu’au 6 mai prochain. La Commission entend présenter sa copie dès juillet prochain, espérant un accord définitif "bien avant son lancement en 2028".
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"L’heure des choix". Dans une communication sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) publiée le 12 février, la Commission européenne insiste sur le fait qu’en matière budgétaire, "le statu quo n’est plus une option". Alors que l’Union européenne est prise entre le marteau "des nouveaux besoins et nouvelles urgences" et l’enclume d’un budget qui a atteint ses limites, la Commission souligne que l’UE est désormais confrontée à "la quadrature du cercle : il ne peut y avoir un budget adapté à nos ambitions, et assurant notamment le remboursement de NextGenerationEU, et, en même temps, des contributions financières nationales stables sans introduire de nouvelles ressources propres".
Vers une pérennisation de NextGenerationEU ?
La Commission, elle, a déjà choisi : "Un budget ambitieux, tant en taille que dans sa conception". Ce qui suppose à tout le moins de trouver enfin ces "nouvelles ressources propres", prévues pour procéder au remboursement du plan de relance NextGenerationEU, lequel devrait à lui seul "nécessiter entre 25 à 30 milliards d’euros par an sur le prochain CFP, soit près de 20% du budget annuel". Las, ces nouvelles ressources tardent toujours à prendre corps. La Commission enjoint donc au Conseil de reprendre "de toute urgence" les discussions en la matière. Rappelons toutefois que la Commission elle-même s’était fait tirer l’oreille par le Parlement (voir notre article du 12 mai 2023) avant de compléter sa timide proposition initiale (voir l’encadré de notre article du 28 juillet 2023), laquelle est depuis restée dans les limbes.
Ce budget "ambitieux en taille" suppose sans doute aussi une hausse des contributions nationales – laquelle, rappelons-le, sera inéluctable si les fameuses nouvelles ressources propres devaient à manquer. Si la Commission ne se prononce pas en la matière, on devine qu’elle n’y est, disons-le ainsi, pas hostile. Le fait que la presse espagnole ait relayé, la veille de cette présentation, un "non paper" de la Moncloa plaidant pour doubler la contribution des États membres d’une part, et relançant l’idée d’un endettement commun (le retour des "eurobonds") d’autre part – en somme, la pérennisation de NextGenerationEU – est sans doute tout sauf fortuit.
Un budget à redessiner
Mais la Commission sait que même en prenant de l’embonpoint – ce qui suppose de rallier les "Frugaux" –, le budget tel qu’il est actuellement conçu ne suffira pas. Elle l’avoue, la "complexité", la "rigidité", la "fragmentation" de ce dernier – "toujours plus de 50 programmes de dépenses en son sein et plusieurs en dehors", "plus de 30 outils d’assistance techniques" – constituent "un lourd fardeau administratif" pour les autorités de gestion et les porteurs de projet. Avec pour conséquence – un comble – une sous-consommation des fonds. "Moins de 7% de l'allocation 2021-27 ont été versées, dont plus de la moitié sont des préfinancements", est-il ainsi pointé. Sans compter encore que ce budget embrasserait trop large, la Commission observant au passage que l’actuel CFP est celui qui historiquement "comporte le plus grand nombre de rubriques". Bruxelles plaide donc pour le simplifier et le rendre "plus performant", notamment en le recentrant "sur les défis communs où les dépenses au niveau européen apportent la plus grande valeur ajoutée". Entendre la compétitivité européenne et le marché unique, la défense, l’immigration, la souveraineté alimentaire, la protection de la nature, la lutte contre le changement climatique, l’élargissement… "Mieux aligner les financements avec les priorités de l’UE", "renforcer les synergies entre les politiques et l’action financière" est un mantra que répète à l’envi le document.
Fonds contre réformes
Concrètement, et comme attendu, dans la droite ligne des plans nationaux de relance et de résilience, les fonds seraient ainsi adossés pour chaque État membre à un plan spécifique de réformes et d’investissements clés. Avec un risque de recentralisation de la gouvernance certain, même si la Commission indique "qu’une politique de cohésion et de croissance renforcée, avec les régions en son centre, devra être conçue et mise en œuvre en partenariat avec les autorités nationales, régionales et locales". Aux côtés de ces enveloppes nationales, prendrait notamment place un "fonds pour la compétitivité européenne" pour soutenir "les secteurs stratégiques et des technologies essentielles à la compétitivité de l'UE, y compris la recherche et l'innovation, ainsi que des projets importants d'intérêt européen commun". Une petite révolution, qui promet bien des "nervous breakdowns".
Consultation de 12 semaines, avant présentation en juillet
Peut-être pour forcer sa chance, la Commission prévoit de présenter les contours de ce prochain budget pluriannuel dès juillet prochain. Un paquet qui devrait déjà être bien ficelé, la Commission espérant un accord rapide sur ce CFP nouvelle formule "bien avant son lancement en janvier 2028". Chat échaudé craint l’eau froide. Rappelons que pour l’actuel CFP 2021-2027, l’accord en trilogue n’avait été obtenu que le 10 novembre 2020 (voir notre article du 12 novembre 2020) et que le CFP n’avait été définitivement adopté par le Parlement européen que le 16 décembre 2020 (voir notre article du 18 décembre 2020).
D’ici là, citoyens, collectivités, entreprises… sont invités à participer à la consultation publique ouverte jusqu’au 6 mai prochain. La Commission prévoit encore d’échanger avec un "panel de 150 citoyens" entre mars et mai et de conduire un "tour d’Europe" courant 2025 afin de consulter "les autorités des États membres, les parties prenantes régionales et les bénéficiaires du budget de l’UE". Un tour qui risque fort de comporter plus d’étapes de montagne que de plaine.