Présidentielle : dix candidats face aux élus locaux
Territoires unis organisait ce 15 mars une journée d'audition de tous les candidats à l'élection présidentielle. Dix d'entre eux avaient répondu présent. Au fil de prises de parole nécessairement hétérogènes, tous ou presque ont, à leur façon, dit la nécessité de mieux soutenir les collectivités - tout au moins la commune - et d'œuvrer en faveur d'un aménagement plus équilibré du territoire, notamment en faveur de la ruralité et des services publics qui peuvent y être assurés. Pour David Lisnard, le président de l'Association des maires de France, cette rencontre a en tout cas permis d'aborder "des problématiques que nous n'entendions pas" depuis le début de la campagne.
"Le moment de démocratie le plus puissant depuis le début de la campagne." C'est ainsi que David Lisnard, le président de l'Association des maires de France (AMF), a qualifié, sur le point de la conclure, la "Rencontre des libertés locales" organisée ce 15 mars aux portes de Paris, à Montrouge, avec ses homologues de l'Assemblée des départements de France (ADF) et de Régions de France. Une journée complète consacrée à l'audition de tous les candidats à l'élection présidentielle. En sachant qu'au final, dix candidats sur douze avaient accepté l'invitation des trois associations d'élus locaux, lesquelles avaient demandé la présence des candidats eux-mêmes et non d'un représentant. Emmanuel Macron et Éric Zemmour manquaient à l'appel. Pour chacun, le même principe et le même chronomètre : une prise de parole de dix minutes, suivie d'un temps de quatre questions-réponses (une question par association, une par les journalistes-animateurs) de vingt minutes. Une égalité de traitement dont se sont félicités les candidats, notamment les "petits", ceux qui n'avaient par exemple pas été conviés à s'exprimer la veille sur le plateau de TF1.
"Nous avons l'ambition de catalyser le débat, de placer les libertés locales au cœur de la campagne", avait affirmé David Lisnard en ouverture de ce grand oral. Un exercice inédit en ce qu'il se déroulait au nom de Territoires unis, la marque ombrelle commune à l'AMF, ADF et Régions de France. Il y a cinq ans, l'AMF et l'ADF s'y étaient livrées chacune de leur côté. Selon le maire de Cannes, l'objectif a été atteint : cette rencontre a bien permis d'aborder "des problématiques que nous n'entendions pas jusqu'ici". De quoi considérer que les élus locaux, désormais, "pèsent dans le débat". Et le président de l'AMF d'estimer que "l'essentiel des propositions" entendues au fil de la journée "va dans le sens de la subsidiarité et des libertés locales". En cela, "nous nous sommes retrouvés dans 80% des propos", a-t-il ajouté. Il faut dire que les candidats disposaient en amont d'une bonne base de travail : la "déclaration" de Territoires unis présentée la semaine précédente, ainsi que les adresses de chacune des trois associations (la "contribution" de l'AMF, le "livre blanc" de Régions de France, les "102 propositions" des départements).
Défenses et illustrations du rôle de la commune
Sans surprise, les prises de parole des uns et des autres ont malgré tout été très hétérogènes, sur la forme comme sur le fond. Clairement, tous n'affichent pas la même maîtrise des sujets territoriaux ni ne leur accordent la même importance. Tous n'en ont, il est vrai, pas la même expérience, même si seuls deux candidats n'ont jamais exercé de mandat local, en l'occurrence Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) et le député européen Yannick Jadot (EELV). Le député Fabien Roussel (Parti communiste) est conseiller municipal à Saint-Amand-les-Eaux (Nord), Philippe Poutou (NPA) est depuis 2020 conseiller municipal et métropolitain à Bordeaux, Marine Le Pen (Rassemblement national) est conseillère régionale dans les Hauts-de-France… Côté fonctions exécutives, au-delà de la maire de Paris, Anne Hidalgo (PS), et de la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse (LR), les députés Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) et Jean Lassalle (Résistons) font respectivement valoir leurs 22 et 42 années en tant que maires, tandis que Jean-Luc Mélenchon (LFI) a dans le passé été adjoint au maire (Massy) et président de l'Essonne.
On notera au passage que plusieurs candidats (Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, Nicolas Dupont-Aignan) ont mis en avant leurs semaines passées à sillonner la France à la pêche aux 500 parrainages comme une expérience complémentaire – celle de recueillir les témoignages de nombreux maires de petites communes, de prendre la température de la France rurale du moment. Et visiblement, une bonne partie des orateurs avaient choisi de destiner leur prestation avant tout aux maires. D'où, globalement, de multiples défenses et illustrations du rôle de la commune, des soutiens appuyés au sort des territoires ruraux, et peu de sympathies exprimées à l'égard de l'intercommunalité… Il sera à cet égard intéressant de savoir ce que ces mêmes candidats déclareront dans une semaine, le 22 mars, lors de l'audition organisée cette fois par Intercommunalités de France (ex-ADCF) et France urbaine.
Organisation territoriale : le département reste légitime
Difficile, entre les diverses interventions, de déceler des lignes de frontière claires en termes d'organisation territoriale. En tout cas, celles-ci semblent assez peu liées à la couleur politique des candidats. Les lois Maptam et Notr du quinquennat Hollande ont, c'est le moins que l'on puisse dire, reçu peu d'éloges – deux lois que certains veulent "réviser" (Roussel), voire "abroger" (Dupont-Aignan, Lassalle…). En cause principalement, les "grandes intercommunalités". Pour Fabien Roussel, il s'agit aussi de "redonner la clause de compétence générale" aux départements et aux régions et d'inscrire celle des communes dans la Constitution. Tandis que Marine Le Pen par exemple considère que cette clause doit bien être réservée aux communes, régions et départements devant au contraire répondre à un "principe de spécialité" avec des compétences plus clairement "énumérées par la loi".
Les départements s'en sortent plutôt bien. Jean-Luc Mélenchon, qui se dit volontiers "de tradition jacobine", voit dans le département "l'organisateur des grands services publics". Valérie Pécresse compte transférer aux départements "la totalité de la politique médicosociale", la médecine scolaire, les services des CAF liés aux versements du RSA… Et aucun candidat ne remet frontalement en cause leur légitimité.
"Mon Nord-Pas-de-Calais me manque"
Tel n'est pas le cas, en revanche, pour les régions. La présidente de la région Île-de-France insiste évidemment sur les atouts de régions seules à même, contrairement à l'État, de "corriger les inégalités territoriales", et les imagine dotées d'un pouvoir réglementaire et de compétences renforcées en matière d'environnement et de mobilités, pilotant notamment Pôle emploi, les lycées professionnels, les fonds européens, les zonages… Tout comme Anne Hidalgo voit dans la région un "espace territorial essentiel" et estime que "les présidents de région sont un peu les ministres de l'économie de notre pays", évoquant en outre la nécessité de renforcer leur rôle en matière de formation et d'orientation.
Mais les autres voix sont plus dissonantes. Fabien Roussel se dit favorable au "retour à des régions à taille humaine" ("mon Nord-Pas-de-Calais me manque", les grandes régions "éloignent les habitants du lieu de décision"), tout en admettant ne pas en faire la priorité d'un début de quinquennat ("ce ne sont pas les petites régions qui vont remplir le frigo des Français…"). Jean Lassalle considère les grandes régions comme "parfaitement inutiles" avec des élus passant leurs journées à "faire de la route"… et rêve d'un retour aux vieilles "provinces". Marine Le Pen se demande s'il ne faudrait pas réimaginer une forme de "conseiller territorial" élu à la proportionnelle. Nicolas Dupont-Aignan affirme tout simplement qu'"on n'a pas besoin des conseils régionaux" et que leurs agents pourraient être "redéployés". Et Jean-Luc Mélenchon juge les régions "peu performantes", avec une "légitimité plus qu'incertaine", dénuées de "réalité géographique" (celle-ci serait selon lui à caler sur "les bassins versants"), et brandit le spectre d'une "addition de Länder" risquant à terme de contribuer au "démembrement de la nation"…
Décentralisation : légiférer de nouveau ?
"Quarante ans après les lois Defferre, je porterai le plus puissant projet de décentralisation de l’histoire de notre pays", assure Valérie Pécresse, reprenant visiblement à son compte le vocable de Territoires unis et du Sénat avec un "pacte de liberté et de confiance", une "grande conférence des territoires" en début de quinquennat, le principe de différenciation inscrit dans la Constitution… et la candidate LR de préciser avoir déjà confié au sénateur Bruno Retailleau le soin de "rédiger les textes constitutionnels". Si Fabien Roussel évoque de son côté une nouvelle "vraie loi de décentralisation", d'autres excluent une "énième loi de réforme territoriale". Et semblent estimer que c'est avant tout dans la façon d'élaborer la décision publique et dans la qualité du dialogue État-collectivités que les choses doivent changer. À ce titre, en l'absence du président-candidat, le quinquennat qui s'achève a été maintes fois critiqué, notamment de la part d'Anne Hidalgo évoquant des élus locaux "dénigrés", la "vision centralisatrice" d'un exécutif se tournant vers les collectivités uniquement lorsqu'il y est "acculé" (crise des Gilets jaunes, crise sanitaire…).
"Les collectivités sont toujours flattées, mais souvent flouées", a pour sa part commenté Yannick Jadot, selon lequel "nous avons perdu toute vision nationale de l'aménagement du territoire". Il s'agit, explique-t-il, de "bâtir un projet collectif des équilibres territoriaux – comment on répartit l'activité, le logement…". Et comment on met en place "les grandes transformations" (transition énergétique, transition agroalimentaire...). Le candidat écologiste propose, tout en conservant les préfets, la création de "commissaires de la République à la reconstruction" qui seraient "rattachés à un grand ministère des territoires" : "Ce n'est pas au préfet ou au sous-préfet de dire aux collectivités quel projet local doit se développer. Il faut que l'État mette ses moyens au service des collectivités et de cette dynamique."
Aménager les territoires ruraux
En matière d'aménagement du territoire, Fabien Roussel compte "démétropoliser la France" qui connaîtrait aujourd'hui "trop de concentrations", Nicolas Dupont-Aignan souhaite "arrêter la concentration absurde dans les métropoles"… et Marine Le Pen dit vouloir un "rééquilibrage des territoires" en favorisant "l'investissement permettant la démétropolisation". Ceci en "mettant au goût du jour les primes à l'aménagement du territoire" et en créant un "fonds souverain" fondé sur "l'épargne des Français" pour financer "les relocalisations", les "investissements dans les infrastructures" et le soutien aux "projets locaux".
Quand Valérie Pécresse veut "aménager le territoire en milieu rural", elle évoque entre autres la fibre, la non-fermeture de classes d'écoles, et le fait que "pour chaque euro investi dans la politique de la ville", un euro sera investi dans les territoires ruraux. Anne Hidalgo mentionne également le numérique et les écoles, mais aussi les trains et l'aide à l'achat (ou au leasing) d'un véhicule électrique. Et tous ou presque mettent l'accent sur la présence des services publics, y compris du côté des candidatures de "témoignage" comme celles de Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud.
Déserts médicaux et dépendance
Accès aux services publics… et accès aux soins. Le sujet des "déserts médicaux" a été particulièrement présent ce 15 mars, notamment à travers les questions posées aux candidats par les élus. Si des nuances existent dans les recettes (pas de recette miracle en tout cas), elles se rejoignent pour une bonne part. Ainsi, Valérie Pécresse comme Anne Hidalgo sont favorables à ce qu'une quatrième année "professionnalisante" d'internat de médecine générale se fasse dans une zone sous-dotée. Yannick Jadot évoque lui aussi une telle "obligation" : "C'est pas cool pour les médecins je sais, mais c'est notre responsabilité." Valérie Pécresse y ajoute la "montée en compétences" d'autres professionnels de santé (pharmaciens, infirmiers en pratique avancée avec recours à la VAE…). Jean-Luc Mélenchon souligne que les jeunes médecins sont aujourd'hui plus ouverts au salariat en maisons ou centre de santé… et que les médecins étrangers devraient être mieux considérés.
Sur le terrain sanitaire et social, la prise en charge de la dépendance a elle aussi été assez largement abordée. Là, les propositions fusent. Fabien Roussel plaide pour un "vrai service public du grand âge", la fin des Ehpad privés à but lucratif, un pilotage national, des centaines de milliers d'embauches financées par l'État pour les Ehpad comme pour l'aide à domicile, un doublement des aides à la pierre pour les petites communes s'engageant dans des projets de béguinage... Marine Le Pen propose un congé pouvant aller jusqu'à douze mois pour les aidants, le fait d'"aller progressivement vers des Ehpad mutualistes" et une présence médicale renforcée dans ces mêmes Ehpad. Anne Hidalgo prône un accroissement du nombre d'heures prises en charge par l'APA à domicile, un plan de professionnalisation, plus de personnels en établissement… et, soulignant que "cela ne peut se faire à moyens constants", prévoit d'y affecter environ 1 milliard d'euros par an.
Finances : compensations et autonomie
Les moyens et donc les finances des collectivités... La question ne pouvait guère être éludée. Les critiques contre la suppression de la taxe d'habitation et, s'agissant du quinquennat précédent, contre la baisse des dotations, n'ont évidemment pas manqué. Alors, naturellement, à l'avenir, assurent les candidats, les transferts de charges seront tous correctement compensés.
Pour le reste, peu de détails. Marine Le Pen est prête à étudier "quelle part de fiscalité peut être accordée aux municipalités", Anne Hidalgo prône l'"autonomie fiscale" et refuse un système dans lequel "les élus dépendent de l'État pour financer leurs projets" (et obtiennent plus s'ils se montrent "gentils"…), Valérie Pécresse considère que "l'autonomie financière doit être garantie par la Constitution" et promet "la fin des contrats de Cahors"… mais ne dit mot de la baisse des impôts de production inscrite à son programme, même si elle a déjà eu l'occasion de préciser que cette baisse ne toucherait pas "les taxes qui impactent les collectivités".