Finances locales - Pour faire face à la baisse de leurs ressources, les intercommunalités font feu de tout bois
Pour faire face à l'étranglement financier qui les guette, une réduction drastique des investissements locaux permettrait évidemment aux intercommunalités - comme aux collectivités - de retrouver très vite des marges de manœuvre... Les collectivités allemandes dans les années 2000, et leurs homologues espagnoles et irlandaises plus récemment, s'y sont employées sans ménagement. Or suivre ces exemples étrangers aurait des effets immédiats sur la croissance et l'emploi, en particulier dans le bâtiment et les travaux publics, entraînerait "une catastrophe pour l'attractivité du site France", a prévenu Charles-Eric Lemaignen, président de l'Assemblée des communautés de France (ADCF), qui organisait le 21 janvier une journée intitulée "Lois de finances, les pistes d'optimisation de la dépense publique locale en débat".
Naturellement, cela ne signifie pas que les intercommunalités n'aient pas à revoir leur politique d'investissement. La Cour des comptes l'a déjà recommandé : les investissements locaux pourraient faire l'objet d'une plus grande hiérarchisation, en fonction de leur utilité sociale ou du niveau des dépenses de fonctionnement qu'ils génèrent. En gardant à l'esprit quee certains investissements découlent des économies. Ceux qui ont pour but la maîtrise de l'énergie en sont l'archétype. Et la coordination des collectivités sur leurs investissements - autant éviter la construction d'équipements semblables à des endroits voisins... - peut encore nettement progresser, a jugé Isabelle Chatry, expert à l'OCDE. De quoi donner tout son sens à la programmation pluriannuelle des investissements, à laquelle certaines communautés ont déjà recours. La prospective financière s'avère également précieuse pour éclairer les décisions.
Départs en retraite des agents : une opportunité
A contrario, ne privilégier que des investissements "visibles" en délaissant la maintenance et le remplacement des réseaux, ou encore recourir à des investissements "low cost", ne saurait constituer des solutions, car après quelques années, leur mise en œuvre se soldera par une facture plus élevée.
Du côté des dépenses de fonctionnement, toute une palette de solutions peut être mobilisée pour dégager des économies. Renégociation des contrats de délégation de services publics venant à leur terme, remise à plat des reversements aux communes, suppression de certains services considérés comme moins essentiels que d'autres, gestion active du patrimoine immobilier public, recours au mécénat… Les communautés peuvent faire feu de tout bois. De plus, les marges de manœuvre existant sur les dépenses de personnels dans les collectivités ont encore été très peu utilisées, alors que la plupart des pays européens y ont déjà eu recours depuis la crise, selon une étude de l'OCDE. A cet égard, la mutualisation des services, qui jusque-là était employée pour améliorer le service rendu, pourrait être mobilisée à présent dans le but de faire des économies, a estimé Charles-Eric Lemaignen. L'arrivée de nombreux agents territoriaux à l'âge de la retraite constitue par ailleurs une opportunité. S'ils sont remplacés, ces agents le seront par des agents plus jeunes, donc en début de carrière et de ce fait moins bien rémunérés. D'où des économies qui peuvent s'avérer non négligeables, comme l'a révélé Laurent Trogrlic, président de la communauté de communes du Bassin de Pompey.
"Cost-killing" : une solution "à court terme"
Beaucoup de collectivités seront tentées d'allouer des enveloppes financières annuelles à leurs services, avec interdiction de les dépasser. Une méthode que David Carassus, professeur à l'université de Pau a qualifiée de "court-termiste", parce qu'elle "ne prend pas en compte la demande sociétale". Plutôt que cette logique de "contrôle", il serait préférable de mettre en œuvre une logique de "pilotage" centrée sur les politiques publiques elles-mêmes. Cette démarche, qui nécessite de "décloisonner" les services, est toutefois "compliquée à mettre en œuvre", a reconnu l'enseignant-chercheur. La difficulté tient aussi au fait que les collectivités n'ont pas encore une grande habitude de l'évaluation des politiques publiques.
Si pour tenter de ne pas sacrifier les investissements, des hausses des taux de fiscalité des ménages apparaissent inévitables à certains, ces hausses pourraient être atténuées par d'autres sources de rentrées fiscales : meilleur suivi des bases de la fiscalité, réexamen des exonérations et abattements fiscaux, hausse des redevances et taxes payées par les entreprises. Par ailleurs, l'agrégation des données financières et fiscales des communes et de la communauté et au-delà des "transferts partiels" de fiscalité des communes vers l'intercommunalité peuvent permettre de "répartir plus équitablement les dynamiques fiscales", a estimé Laurent Trogrlic. Certaines communautés, à l'image de la communauté de communes du Naucellois, envisagent d'aller plus loin que l'intégration fiscale. Parce qu'elles ont encore une taille réduite, elles misent sur une double solution institutionnelle : la fusion de communautés voisines et la création d'une ou plusieurs communes nouvelles en leur sein. Objectif : répondre plus efficacement aux besoins des populations mpalgré des ressources en berne.
Plan européen de reprise
La situation "n'est pas sans espoir", a estimé Jean-Sylvain Ruggiu, directeur du marché secteur public à la Caisse d'épargne. La conjoncture, en voie d'amélioration, pourrait en effet venir en aide aux élus locaux. Grâce au maintien de taux d'intérêt bas et à des liquidités abondantes, les communautés vont pouvoir continuer à emprunter facilement. De plus, du fait de leurs assiettes foncières, leurs recettes fiscales pâtiront sans doute moins des difficultés que les régions et les départements, comme l'a fait remarquer Michel-François Dellanoy, en charge à la Caisse des Dépôts d'une étude sur le financement des collectivités. Enfin, le plan "Juncker" que prépare la Commission européenne pourrait participer à la reprise de la croissance en permettant à des projets risqués de voir le jour demain, alors qu'ils sont aujourd'hui bloqués faute de financement. Ce plan, qui doit générer 315 milliards d'euros d'investissements, aura aussi des effets directs pour les collectivités : certains de leurs projets d'investissement seront a priori éligibles. L'aide ne prendra pas la forme de "subventions", mais passera par une "prise de participation dans une société de projet", ou la création d'une "dette subordonnée", c'est-à-dire "une dette qui n'est pas remboursée si les choses se passent mal", a précisé Laurent Ménard, directeur stratégie de l'investissement et du financement européen au Commissariat général à l'investissement.
Tout en se félicitant du lancement de ce plan, certains élus ont mis l'accent sur le besoin de simplifier l'accès aux fonds européens - notamment pour les communes et communautés rurales - et d'accélérer les délais d'instruction des dossiers de demande.