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Politique de cohésion : Günther Oettinger promet un "filet de sécurité"

Le commissaire européen au budget Günther Oettinger a déclaré devant le Comité des régions, le 16 mai, qu'il ne fallait "ni gros gagnants ni grands perdants" dans la répartition des futurs crédits de la politique de cohésion. Des crédits qui, d'après le Comité des régions, pourraient baisser de plus de 10% au cours de la prochaine programmation. La répartition des crédits constitue un sujet "éminemment complexe", a reconnu le commissaire. La Commission pourrait envisager de supprimer la catégorie des régions en transition pour n'en retenir que deux : les plus développées et les moins développées.

Vu les tensions sur la scène internationale, "nous avons toutes les raisons du monde de parvenir à un accord avec les élections européennes de mai 2019 et de nous donner un peu de certitude sur les sept années futures". Au terme d’une session plénière largement consacrée au futur cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne présenté par la Commission le 2 mai, le président du Comité des régions, Karl-Heinz Lambertz, a confié à Localtis, jeudi 17 mai, les raisons d’aboutir à un accord rapidement, malgré les nombreux sujets d’insatisfaction. "Avec ce que la Commission a mis sur la table, on ne peut pas dire que l’on va à la catastrophe. Bien-sûr la baisse des crédits de la politique de cohésion nous a déçus, mais on a aussi des perspectives positives si tout le monde s’y met."
C’est aussi le message qu’a porté le commissaire au budget, Günther Oettinger, devant les représentants des communes et régions d’Europe, le 16 mai. En raison d’un vote tardif pour la précédente programmation, "ce n’est qu’en 2015 qu’on a pu commencer à décaisser et qu’en 2018 qu’on a lancé à pleine vapeur les fonds de cohésion", a-t-il rappelé. Le changement de Parlement puis de Commission avant le vote de ce budget 2021-2027 générerait à coup sûr de fortes turbulences qui pourraient s’avérer désastreuses pour les porteurs de projets. Le commissaire a aussi invité les élus à ne pas se focaliser uniquement sur la politique de cohésion. "Il y a aussi la recherche qui est portée par les régions, la protection des frontières, la politique de migration. (…) Les nouveaux programmes sont pour vous, pas contre vous. Et quand on double Erasmus +, c’est pour vos enfants, pas ceux de la Commission", a-t-il lancé. "Il faut éviter d'opposer la cohésion et la migration, l'agriculture et la défense", a-t-il aussi insisté, rappelant que le veto d'un seul Etat pouvait tout bloquer.

"Des solutions de transition"

D’ici à ce qu’un accord soit trouvé entre les Vingt-Sept (l’unanimité étant requise) et avec le Parlement, les représentants des collectivités européennes comptent peser de tout leur poids dans la bataille budgétaire qui s’annonce âpre, de nombreux Etats (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Finlande, Autriche, Danemark) ne voulant pas entendre parler d’augmentation budgétaire. "La cohésion, c’est ce qui constitue la colonne vertébrale de l’Union européenne, c’est le sens de la traduction allemande : 'tenir ensemble'. Il faut à tout prix éviter que l’Europe se morcelle", martèle Karl-Heinz Lambertz.
En attendant de connaître les futures propositions sectorielles de ce budget - fin mai début juin -, le Comité des régions n’a pas la même interprétation que la Commission sur les chiffres présentés le 2 mai. D’après ses calculs (basés sur des euros constants et non courants), la baisse des crédits de cohésion serait d’au moins 10% et non de 6,7% comme l'a indiqué le commissaire. Et le passage de 58 programmes à 37 n’est pas pour faciliter la lisibilité de ce budget.

Derrière la bataille des chiffres, se joue dès à présent la clé de répartition des crédits de cohésion entre Etats et entre régions. Les règlements seront connus début juin, mais Günther Oettinger a commencé à en dévoiler quelques pistes mercredi 16 mai. C’est un sujet "éminemment complexe", a-t-il reconnu, assurant qu’un "filet de sécurité" serait instauré pour ne pas trop léser les régions qui, ayant augmenté leur PIB ces dernières années, passeraient d’une catégorie à une autre et verraient leurs montant baisser brutalement. "70% des montants seront maintenus. Il faut des solutions de transition", a-t-il garanti.
La Commission a annoncé vouloir réviser la "méthode de Berlin". Cette méthode de calcul des enveloppes nationales qui prévaut depuis la fin des années 1990 repose essentiellement sur le produit national brut par habitant. Bruxelles souhaite introduire des critères supplémentaires, tels que le taux de chômage, la démographie, le changement climatique, les migrants… "Doit-on aller vers une légère évolution ou une révolution ?", a interrogé le commissaire. Selon les hypothèses qui circulent, la proportion respective entre le PNB et les nouveaux critères seraient de 80% contre 20%. Cela reste à confirmer.

L’autre enjeu tient à la définition des catégories de régions pour l’éligibilité des crédits. "Il ne faut pas de gros gagnants ni de grands perdants. Nous ne voulons pas diviser la famille régionale européenne", a assuré le commissaire. Lors de l’actuelle programmation a été créée une nouvelle catégorie intermédiaire entre les régions les plus riches et les plus pauvres dite de "régions en transition" dont 11 régions françaises ont pu bénéficier. Or selon un règlement provisoire que Localtis a pu consulter, la Commission souhaiterait ne plus en retenir que deux : les régions les plus développées et les régions les moins développées. Tout dépendra du niveau où la Commission mettra le curseur. Ce que ce document provisoire ne précise pas pour l’instant. En France, où bon nombre de régions se situent entre 90 et 100% du PIB moyen européen, l’enjeu est important. Et puis va se poser la question des nouvelles grandes régions, en particulier le Grand Est et Rhône-Alpes-Auvergne, qui pourraient accéder au rang des régions plus riches, du fait du poids de l’Alsace et de Rhône-Alpes au détriment des anciennes Lorraine, Champagne-Ardenne et Auvergne…

Tendance vers une "recentralisation"

La Commission envisage aussi une autre évolution importante pour ce qui est du fléchage des crédits Feder vers certaines thématiques. C’est ce qu’elle appelle la "concentration thématique". Selon une version du règlement Feder et fonds de cohésion dévoilée par l’agence Europe le 17 mai, elle envisagerait de retenir trois catégories d’Etats : un premier groupe dont le RNB (revenu national brut) par habitant serait supérieur à 100% de la moyenne de l’UE, un deuxième dont le RNB/hab se situerait entre 75 et 100% de la moyenne et un troisième dont le RNB/hab serait inférieur à 75%. Rappelons que pour le Feder, la Commission envisage de flécher les crédits vers cinq priorités : l’innovation, le changement climatique, le numérique, le social et un dernier objectif qui avait satisfait le ministre français de la Cohésion des territoires : une "Europe proche des citoyens", consistant à soutenir le développement des territoires urbains, ruraux et côtiers. Or en fonction de leur appartenance à l’une ou l’autre des catégories, les Etats ne flécheront pas les mêmes montants vers ces priorités. Les Etats riches devraient ainsi orienter 80% des crédits Feder vers l’innovation et le changement climatique contre 60% pour les Etats les moins riches. Ce qui risque de conduire à un véritable marchandage entre les Etats et leurs régions. La France appartenant à la première catégorie, l’un des enjeux sera de se mobiliser sur la cinquième priorité, d’autant que les crédits du développement rural (deuxième pilier de la PAC) seront en nette diminution.
"Rien n’est décidé. Et je ne sais rien de sérieux aussi longtemps que je ne connais pas les textes", commente Karl-Heinz Lambertz. "Mais à chaque fois, il y a une tendance vers une recentralisation, nous allons être très critiques et attirer l’attention de tout le monde sur cet aspect", insiste-t-il. "Nous veillerons particulièrement à ce que la politique de cohésion reste une politique cogérée (entre l’UE, les Etats et les collectivités, ndlr)."
Le président du Comité des régions met aussi en garde contre un risque de "recentralisation et d’instrumentalisation du FSE". La Commission entend en effet utiliser de plus en plus ces crédits comme un levier de réformes structurelles, en lien avec le "Semestre européen". Elle propose ainsi la création d’un nouveau programme d’appui de 25 milliards d’euros pour soutenir les Etats qui entreprennent des réformes dans le domaine de l’emploi, de la croissance, des investissements.

Le Comité des régions n’ayant qu’un rôle consultatif, son principal allié sera le Parlement européen, qui dans sa position arrêtée au mois d’avril proposait un budget allant jusqu’à 1,3% du PIB, contre 1,114% proposé par la Commission. "Il nous faut constituer la plus grande alliance, la plus large possible, avec tous les pouvoirs locaux en Europe pour faire pression sur les gouvernements nationaux", appelle Karl-Heinz Lambertz, rappelant le rôle à cet égard de l’Alliance pour la cohésion. Le Comité des régions présentera un avis lors de sa plénière de décembre.