Politique agricole commune : Julien Denormandie sort timidement du bois
Le ministre de l'Agriculture vient de publier les objectifs qu'il entend assigner au programme national stratégique (PSN), déclinaison française de la future politique agricole commune, en cours d'élaboration. Derrière des énoncés consensuels, la place de l'agroécologie et des "écorégimes" est l'objet d'intenses négociations.
Souveraineté alimentaire, transition agroécologique, compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires, équilibre territorial et gestion "multifonctionnelle durable" de la forêt : tels sont les cinq objectifs que le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, entend assigner au programme national stratégique français (PSN) - déclinaison française de la future politique agricole commune 2023-2027 -, sur la base du compte-rendu de la Commission nationale du débat public (CNDP), intitulé imPACtons, qui lui avait été présenté le 5 février. Si au plan européen, le trilogue (Conseil, Parlement et Commission) est dans la dernière ligne droite, le PSN doit fixer les niveaux d’exigences au plan national, notamment en matière environnementale. Le monde agricole retient son souffle alors que les discussions vont bon train entre le ministère, les organisations professionnelles, les ONG et les régions, principales collectivités intéressées par la réforme.
"En ce qui concerne la hiérarchisation des objectifs, et notamment la répartition des budgets affectés aux objectifs, le plan stratégique national tiendra compte des enjeux identifiés par le débat public, dans le respect des dispositions définitives qui figureront dans le règlement européen, qui est encore en cours de discussion entre le Parlement européen et le Conseil", vient préciser le ministère, dans sa décision publiée au Journal officiel, le 6 avril.
Territorialisation des filières
La consultation de la CNDP, conduite en deux phases au printemps et à l’automne 2020, avait suscité un très vif intérêt chez les Français, avec plus d’1,8 million de personnes "touchées", 12.656 contributeurs et quelque 1.083 contributions. Lors de la première phase du débat, les votants avaient mis très nettement en tête des priorités les enjeux de réchauffement climatique, de gestion durable des ressources naturelles et de protection de la biodiversité. Malgré des points de vue parfois très opposés entre les différents contributeurs, la commission avait finalement identifié des "points de convergence" : définir le statut d’agriculteur, mettre en place des standards homogènes en Europe en matière environnementale et sanitaire pour éviter les distorsions de concurrence, garantir une souveraineté alimentaire en conférant un rôle accru aux collectivités, favoriser l’approche locale et territoriale valorisant la production, la distribution et la consommation de produits locaux, et enfin répondre avec urgence au défi de la relève agricole sachant que d’ici 10 ans, environ la moitié des chefs d’exploitations partiront à la retraite.
Le ministère précise à cet égard que "le gouvernement fait de la territorialisation des filières, de la mise en relation entre offre et demande locales, une priorité de sa politique". Il continuera par ailleurs à "porter dans les négociations européennes une attention toute particulière à la nécessité de conserver des instruments de régulation des marchés, d'éviter les distorsions de concurrence et de promouvoir les moyens d'information du consommateur, notamment au travers de l'étiquetage".
Écorégimes
Le public sera à nouveau consulté "dès que l'autorité environnementale aura rendu un avis sur l'évaluation environnementale stratégique du plan stratégique national", indique le ministère. Il s’agit à travers cette étude produite en France par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) d’évaluer les impacts environnementaux du PSN. Mais les délais sont très courts. Selon le collectif Pour une autre PAC, la consultation – qui portera sur des éléments très techniques - devrait démarrer début juin alors que le PSN doit être transmis par la France à la Commission à la fin juin…
L’un des points des discussions en cours, à la fois au niveau européen et français, tient aux "écorégimes", c’est-à-dire la rémunération des pratiques agroécologiques bénéfiques à l‘environnement. Ce mécanisme pouvant représenter 20% (version du Conseil) à 30% (version du Parlement) des aides directes aux exploitants. "Je vois monter des inquiétudes, ici ou là, notamment sur le fait que seuls 25% des agriculteurs auraient accès à ce régime : c’est faux, et je tiens à le dire très clairement. Nous voulons un écorégime accessible, qui prenne en compte les efforts déjà réalisés et qui accompagne ; un écorégime qui inclut, et non qui exclut", a déclaré le ministre la semaine dernière, en réponse au député LREM François Jolivet (Indre), relayant les inquiétudes des agriculteurs de zones intermédiaires. Une réponse de Normand qui pourrait ne satisfaire personne. La Fédération nationale des parcs régionaux a dit craindre, mardi, "que cette réforme soit un nouvel échec pour la transition agroécologique". "Face à un modèle industriel à bout de souffle", les parcs "appellent le gouvernement à porter une PAC promotrice de l’agroécologie".