Politique de cohésion - Polémique sur l'utilisation des fonds structurels
Pas moins de huit mois ont été nécessaires à Cynthia O’Muchu, reporter au Financial Times, ainsi qu’au "bureau of investigative journalism" du quotidien britannique pour enquêter sur la mise en oeuvre des fonds structurels. Au final, le journal a produit une série d’articles publiés la semaine dernière autour de deux questions : où va l’argent ? et permet-il à la politique de cohésion de remplir ses objectifs ?
La réactivité de la Commission européenne à ces articles est à la hauteur du tollé qu'ils ont suscité. Sitôt le premier article ("Les milliards cachés de l'Europe") publié, Johannes Hahn et son collègue Làszlò Andor, respectivement commissaires à la Politique régionale et aux Affaires sociales, ont répondu à l’accusation de l’inutilisation des fonds alloués par les Etats membres. Bruxelles a par ailleurs mobilisé l’ensemble de son réseau pour contrecarrer tout amalgame. Le titre du Financial Times laissait entendre que des sommes importantes dormaient sur les comptes bancaires européens tandis que les Etats membres se débattent avec leur dette publique et le manque de liquidités. Tout en rappelant les bénéfices des fonds structurels en régions, Johannes Hahn a démenti que "les fonds européens pour la politique de cohésion dormiraient en conséquence des complexités administratives".
Derrière le titre provocateur, l’article du Financial Times va toutefois dans le même sens que ce que rappelle Bruxelles. Il y est expliqué que la Commission apporte un acompte prévisionnel chaque année aux Etats pour leur assurer un fonds de roulement en fonction de leurs besoins. En France, les fonds FSE et Feder sont ainsi placés sur un compte à part pour pouvoir les gérer hors budget de l'Etat. Ce qui est un gage de lisibilité et de transparence. Mais tous les Etats n'en font pas autant et le mélange entre budgets nationaux et fonds européens rend parfois les comptes opaques.
Schizophrénie
Le Financial Times a ainsi consacré une partie de son dossier spécial aux cas de fraudes les plus emblématiques : procédures d'attribution vampirisées par la mafia italienne, bénéficiaires douteux en Espagne, erreurs généralisées dans la gestion des fonds dans certaines provinces allemandes... Le quotidien britannique s’est donné pour "objectif de lever le voile sur un système complexe qui n'aurait pas subi le degré d’examen approfondi dont une telle somme d’argent public devrait faire l'objet”.
Il faut rappeler que le 10 novembre dernier, le commissaire européen à la Politique régionale présentait le cinquième rapport sur les priorités de la politique de cohésion pour la prochaine programmation : plus orientée vers les objectifs de la stratégie UE 2020, plus ciblée sur les zones prioritaires et avec des règles de gestion simplifiées. L'eurodéputée Sophie Auconie, co-auteur d'un rapport sur la bonne utilisation des crédits en France, note à cet égard "une certaine schizophrénie de la Commission qui n'est pas objective : elle se défend des critiques sur la gestion des fonds tandis qu'elle-même publie des rapports appelant à son amélioration".
Faible taux d’absorption des fonds
Autre sujet de polémique : le très faible taux de consommation des crédits. Le Financial Times avance un chiffre-clef issu d’un document interne à la Commission datant du mois d’octobre : seuls 10 % des 347 milliards de fonds alloués à la politique de cohésion pour la période 2007-2013 ont été distribués à mi-parcours à des projets dont les dépenses ont été certifiées (en France, le taux avoisinerait les 20 %, selon l'Agence de services et de paiements). La Commission n’apporte aucun démenti à ces chiffres mais explicite les raisons d’un taux de dépenses aussi faible. "Il est normal que le taux d’absorption des fonds soit plus lent en début qu’en fin de programmation", a déclaré Johannes Hahn. Il est logique que les administrations en charge du pilotage des projets aient un temps d’adaptation à la nouvelle programmation". La Commission a également indiqué que, jusqu'en 2009, les Etats membres avaient dépensé les fonds non consommés de la programmation 2000-2006 ainsi que les sommes mises en place par les plans de relance économique lors de la crise financière. Les Etats membres auraient privilégié l’utilisation de cet argent disponible à court terme plutôt que celui de la politique de cohésion.
Cette sous-consommation est, pour Sophie Auconie, "alarmante au regard des besoins des porteurs de projets". Rappelons que les crédits répartis annuellement doivent être consommés au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant chaque programmation (règle du "n+2" ou de "dégagement d'office") ou de la troisième année pour les douze nouveaux Etats membres, la Grèce et le Portugal jusqu'en 2010, au risque d'être purement annulés par la Commission. A noter que pour le moment, aucune région française n'est visée par le dégagement d'office.
Transparence : à qui profitent les fonds ?
Le manque de cofinancement de la part des Etats membres apparaît comme la source réelle du faible taux d'absorption. Conformément au principe d'additionnalité, les projets reçoivent un financement mixte, à la fois national (privé ou public) et communautaire. La subvention communautaire n'est versée que si les autorités nationales fournissent les fonds issus de budgets locaux, régionaux ou nationaux. En période de crise, les Etats membres cherchent à réduire leurs dépenses : les sommes pour cofinancer des projets soutenus par l'UE deviennent plus rares. Cynthia O’Muchu note "le paradoxe d'une situation dans laquelle les porteurs n'ont pas accès aux financements alors que leurs projets contribueraient opportunément aux objectifs de la politique de cohésion".
Le dernier constat de l’enquête du Financial Times porte sur le manque de traçabilité des fonds. Cynthia O’Muchu, qui s'est livrée à cet exercice, dit avoir été "frappée de constater que les informations publiées n'étaient pas de qualité suffisante pour déterminer les destinataires".
Suite au rapport Barca sur ce thème et au livre vert de la Commission de 2006, l'obligation élargie de la publication des bénéficiaires ultimes des projets s'est traduite par la mise en ligne sur les sites nationaux et européens des listes des bénéficiaires. Le résultat n'est toutefois pas fiable pour tous les Etats, qui ne "consolident" pas les informations avec la même rigueur que la Datar en France.
La publication des destinataires est "un instrument qui permet d'éviter les erreurs et la fraude délibérée", en plus d'être un procédé démocratique qui permet aux citoyens de connaître la destination de l'argent public. Dans une Europe à 27, aux gestions administratives plus ou moins rigoureuses, le consensus sur la transparence est difficile à atteindre. Or, parmi les Etats réfractaires à la transparence, on trouve le Royaume-Uni. Un moyen pour ces Etats de fragiliser la future politique de cohésion alors que les négociations sont en cours ?