PLF 2025 : beaucoup d'amendements (dont un sur la CVAE) pour rien ?

Les députés ont interrompu ce weekend l'examen en séance du projet de loi de finances pour 2025. Reprise des travaux le 5 novembre. Toujours avec une issue très incertaine. La portée des amendements adoptés risque donc de n'être que symbolique. Certains concernent de près les collectivités. Dont celui prévoyant un rétablissement progressif de la CVAE.

"On continuera là où on s'est arrêté hier à partir du 5 novembre", a fait savoir dimanche 27 octobre sur Radio J le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, au sujet du projet de loi de finances. Les députés avaient interrompu samedi soir leurs débats en séance sans être allés au bout de l'examen de la première partie du texte (recettes), après six jours d'échanges houleux. A la clôture de la séance à minuit samedi, il restait en effet encore plus de 1.500 amendements à examiner sur cette première partie, qui aurait dû en principe faire l'objet d'un vote final mardi. En sachant que cette semaine, les députés sont mobilisés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Si le ministre a appelé à "mettre un peu de rationalité dans les débats", il a assuré que le gouvernement voulait "que les débats aient lieu pour respecter le Parlement" : "On va voir quel sera le vote de l'Assemblée nationale. On verra comment le Sénat en débat également", a-t-il indiqué en réponse à une question sur l'utilisation du 49.3. "Il y aura une commission mixte paritaire issue du Sénat (...), nous verrons bien ce qu'elle décide et quelle est la nature du texte", a-t-il poursuivi.

Des députés de l'opposition soupçonnent le camp gouvernemental de pousser à un 49.3, en laissant le projet de budget être profondément remanié. Un soupçon infondé, a assuré au Parisien la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon : "On ne cède pas à la facilité du 49.3, (...) le temps du débat est un moment de grande clarification qui permet aussi de bâtir des compromis", a-t-elle affirmé. D'autres élus se demandent si le gouvernement ne cherche pas plutôt un rejet du texte, comme en commission des Finances (voir notre article), ou un enlisement des débats qui empêcherait un vote avant la date limite du 21 novembre, liée aux délais constitutionnels. Dans les deux cas, la conséquence serait une transmission directe du texte au Sénat.

"Si le texte respecte deux choses : 60 milliards d'euros d'efforts budgétaires pour redresser les comptes et au moins deux tiers par la baisse de la dépense publique, alors je ne vois pas pourquoi nous ne ferions pas confiance au Parlement ", selon Laurent Saint-Martin. "Si le Parlement ne veut pas rester sur cette règle du jeu que nous avons fixée, alors le gouvernement prendra ses responsabilités", a-t-il ajouté.

Sur X, le président LFI de la commission des Finances, Eric Coquerel, a estimé que "le budget qui sera soumis au vote début novembre reste 'NFP compatible'". "Nous avons proposé ou soutenu des amendements qui rapportent 35 milliards en recettes" et "reste à venir, [des amendements] qui avaient été adoptés en commission, la taxe sur la délocalisation des profits des multinationales, sur les super profits, sur les transactions financières soit entre 26 et 43 milliards de recettes à ajouter en plus", a-t-il indiqué.

En six jours, les députés ont "adopté près de 40 milliards d'euros d'impôts supplémentaires" qui s'ajoutent aux "30 milliards de la copie initiale du gouvernement", a déploré le député macroniste Charles Sitzenstuhl. "Il est vraiment temps que tout ceci s'arrête", a-t-il ajouté, fustigeant un "délire fiscal".

CVAE, le retour

Samedi, comme les jours précédents, le gouvernement a enchaîné les revers. Le tout au gré d'alliances parfois changeantes et hétéroclites, dans un hémicycle où les forces du "socle commun" censées soutenir le gouvernement étaient comme depuis le début de la semaine très clairsemées.

La gauche a ainsi fait adopter une taxe exceptionnelle de 10% sur les dividendes distribués par les entreprises du CAC40. Les députés ont étendu à l'ensemble du territoire les prêts à taux zéro pour l'immobilier, dans le neuf (comme le proposait le gouvernement), mais aussi dans l'ancien. Ils ont aussi rendu pérenne la contribution exceptionnelle demandée aux entreprises de fret maritime, supprimé l'alourdissement prévu du "malus" pour les voitures essence et diesel… et approuvé un rétablissement progressif de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

L'un des articles du projet de loi initial prévoit de reporter de trois ans la suppression de la CVAE. Une mesure censée rapporter 1,1 milliard d'euros de recette à l'État. Mais un amendement d'Eric Coquerel, soutenu par l'ensemble du Nouveau Front populaire, est allé au-delà de ce simple report en prévoyant, donc, un rétablissement graduel de la CVAE, dans un premier temps pour les entreprises ayant un chiffre d'affaires supérieur à un milliard d'euros.

Pour Eric Coquerel, la suppression progressive de la CVAE est un "cadeau fiscal qui grève le budget de l'État" sans "aucune justification économique" et qui "profite essentiellement aux grandes entreprises". "Le travail de sape de la CVAE mis en place n’a fait depuis que réduire encore l'autonomie fiscale" des collectivités, souligne en outre l'exposé sommaire de l'amendement.

Laurent Saint-Martin a au contraire estimé qu'il ne fallait pas "casser l'ambition de la suppression définitive de la CVAE" et "envoyer ce signal de retour en arrière", même si la nécessité de redresser les comptes publics justifie "une nouvelle trajectoire plus patiente". L'amendement qui réécrit l'article a été approuvé de justesse par 118 voix contre 115, les voix du Rassemblement national se mêlant à celles clairsemées des groupes gouvernementaux pour tenter de contrer la gauche.

Allégements de TVA

S'agissant du projet du gouvernement d'alourdir le malus écologique sur presque tous les véhicules essence et diesel dès le 1er janvier 2025, cette disposition a été rejetée à 128 voix (principalement RN, ciottistes, LR, socialistes et communistes) tandis que 90 députés (surtout macronistes, écologistes et insoumis) ont voté pour son maintien dans le texte. La mesure entendait abaisser les seuils de déclenchement des malus appliqués aux véhicules neufs, en fonction de leur poids et de leur taux d'émission de CO2. Laurent Saint-Martin a souligné - en vain - que les véhicules neufs émettaient de toute façon de moins en moins et qu'il s'agissait donc surtout d'"accompagner le verdissement de la flotte à rendement constant".

Sur le terrain de l'énergie, plusieurs amendements votés : application d'un taux réduit de TVA pour la livraison de froid par les réseaux urbains de froid et pour la livraison de chaleur et de froid dans les réseaux alimentés par au moins 50% d’énergies renouvelables et de récupération ; maintien aux taux réduits de 5,5% ou 10% de la TVA pour la fourniture et l’installation de chaudières hybrides pour lesquelles les combustibles fossiles constituent une énergie d’appoint.

Autres amendements adoptés, une série d'allégements de TVA pour différents secteurs : associations d'aide alimentaire, transports de voyageurs (sauf l'aérien), entreprises de réparation (pour faciliter l'économie circulaire), nouveaux logements sociaux, ou "premiers kilowatts" de gaz et d'électricité consommés par les ménages.

Des amendements portés par Renaissance et le PS ont réduit à 30% les abattements fiscaux relatifs aux meublés de tourisme, inscrivant ainsi dans le budget une disposition destinée à mieux réguler le marché des logements type "Airbnb".

Vendredi déjà, le gouvernement avait subi de nombreuses défaites sur cette partie "recettes", avec la suppression de la surtaxe temporaire des grandes entreprises (dont la gauche avait préalablement augmenté les taux), ou la suppression de la surtaxe sur l'électricité, combattue par ses propres troupes.

Plusieurs amendements adoptés concernent l'outre-mer. Dont celui, sur proposition du gouvernement, visant à exempter de TVA, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, une liste de produits de "première nécessité" (voir notre article de ce jour).

La bataille d'amendements est loin d'être close puisque le gouvernement a dévoilé dimanche une série de mesures devant permettre de réaliser 5 milliards d'euros d'économies additionnelles et qui feront l'objet d'amendements ultérieurs, cette fois dans la partie "dépenses". Dont une disposition concernant les congés maladie dans la fonction publique (voir notre article de ce jour).

 

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