Plan de relance européen post-covid : Commission et États membres soupçonnés de greenwashing
Dans un nouveau rapport consacré à la facilité pour la reprise et la résilience, la Cour des comptes européenne estime que la contribution de cette dernière à la transition verte est surestimée, et à tout le moins fort imprécise. Et ce, tant en amont – avec des estimations de contribution verte très généreuses – qu’en aval, les dépenses réellement engagées, quand elles le sont, n’étant pas prises en compte.
Pour la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) – principal instrument du plan de relance post-covid de l’UE –, les derniers rapports de la Cour des comptes européenne se suivent et, malheureusement, se ressemblent. Après avoir relevé que l’enveloppe prévue peine à être absorbée (v. notre article du 6 septembre), la Cour dénonce cette fois une FRR bien moins verte qu’affichée par la Commission et les États membres. La contribution de la FRR à l’action pour le climat – la Cour observant d’emblée que le règlement de la FRR ne vise que cette dernière, ignorant biodiversité et objectifs environnementaux – constitue pourtant un objectif prioritaire, puisque les textes prévoient que les États membres doivent y consacrer au moins 37% de leurs dotations nationales. Sur le papier, l’objectif parait plus qu’à portée puisqu’au regard des différents plans nationaux présentés, la Commission estime dans son rapport d’étape du début d’année (v. notre article du 22 février) que le taux devrait même atteindre 42,5%, soit 275 milliards d’euros.
Qui trop embrasse…
Une estimation "très approximative", déplore toutefois la cour luxembourgeoise, qui dénonce "des faiblesses dans la conception tant du cadre de la FRR que des plans pour la reprise et la résilience des États membres audités". Concrètement, la contribution à l’action climatique d’une mesure relevant de la FRR est calculée en multipliant le coefficient climatique – égal à 0% (contribution négligeable ou nulle), 40% (contribution positive non négligeable) ou 100% (contribution substantielle) – dont est affecté chacun des 181 domaines d’intervention* arrêtés par la Commission par le coût estimé de la mise en œuvre de cette mesure. Ce qui conduit à couvrir "un large éventail d’actions, pas forcément liées au climat". Certes, la Cour concède que la Commission a introduit le concept de "sous-mesures" pour y remédier. Mais elle constate que "près de la moitié (44%) de la contribution attendue à l’action pour le climat au titre de la FRR provenait de mesures qui n’ont pas été divisées en sous-mesure".
Contribution climatique généreusement estimée
Autre point noir, il est relevé que les États membres ont parfois pu retenir des domaines d’interventions (et donc des coefficients climatiques) ne reflétant pas la nature de la mesure ou sous-mesure : "Il s’est avéré que certains projets soi-disant écologiques n’avaient pas de lien direct avec la transition verte", note la Cour. Cette dernière déplore en outre que certains coefficients aient été attribués de manière trop généreuse par la Commission. Et de prendre l’exemple de la construction de tout nouveau bâtiment économe en énergie, affecté d’un coefficient climatique de 40% : "Étant donné qu’un nouveau bâtiment ne permet pas de réaliser des économies d’énergie, nous estimons que le coefficient climatique de 40% n’est pas justifié et qu’un coefficient de 0% serait plus approprié". En réévaluant de même les coefficients attribués aux infrastructures ferroviaires et aux réseaux électriques, elle conclut déjà à une surestimation probable de 34,5 milliards d’euros de la contribution à l’action climatique de la FRR.
Absence de suivi
La Cour déplore des faiblesses similaires en aval, le cadre de la FRR ne prévoyant pas de mesurer la performance des mesures prises. De même, elle rappelle que la FRR disposant que le décaissement des fonds s’opère lorsque les "jalons et cibles" prévus dans les plans nationaux sont atteints, la Commission ne réalise pas de suivi des dépenses réelles effectivement consacrées par les États membres aux différentes mesures, mais se contente des estimations de coûts initialement fournies par ces derniers. Ces "écarts entre prévisions et réalité empêchent de connaître le véritable montant alloué à la transition verte", pointe ainsi Joëlle Elvinger, responsable du rapport. Décidément, plus le temps passe, plus la FRR – naguère érigée en modèle (v. notre article du 20 janvier 2023), y compris par la Cour luxembourgeoise – perd de sa superbe.
Des retards inquiétants
La Cour alerte par ailleurs sur le fait que "les retards dans la mise en œuvre des projets liés au climat et la lenteur de l’absorption des fonds [v. notre article du 6 septembre] risquent d’avoir une incidence sur la réalisation de la contribution à l’action pour le climat", laquelle "ne sera pas aussi élevée que celle estimée au départ si les mesures correspondantes ne sont pas achevées avant la clôture de la FRR ou si elles n’ont été que partiellement mises en œuvre". Un risque bien réel, puisque la Cour constate que "sur l’ensemble des décaissements effectués jusqu’à présent, 17% (27,2 milliards d’euros), sont liés au pilier de la transition verte". Et de conclure : "Étant donné que les mesures en faveur du climat devraient à elles seules contribuer à hauteur de 42,5% de l’enveloppe de la FRR et que la transition verte devrait inclure 34 mesures environnementales supplémentaires non prises en considération pour l’exercice de suivi de l’action pour le climat, ce montant reste relativement faible".
* Parmi eux, 64 domaines d’intervention sont assortis d’un coefficient climatique positif. La Cour observe que 8 d’entre eux représentant 59% de la dotation prévue. Par grands "types d’intervention" (qui peuvent regrouper plusieurs "domaines d’intervention"), arrivent en tête les "rénovations d’ampleur moyenne en vue d’accroitre l’efficacité énergétique" (17% des 275 milliards d’euros attendus) ; les systèmes énergétiques intelligents (9%) ; le processus de recherche et d’innovation en matière d’action pour le climat (8%) ; les énergies renouvelables (12%) ; les voies ferroviaires (12%) ; les infrastructures de transports urbains propres (5%) ; l’efficacité énergétique et les projets de démonstration dans les PME ou les grandes entreprises (5%).