Plan antidrogue : les polices municipales et les bailleurs associés au renseignement
Le ministre de l'Intérieur a présenté à Marseille, le 17 septembre, un plan national de lutte contre les trafics de stupéfiants bâti autour de 55 mesures. Il prévoit la création d'un nouveau "chef de file" : l'Ofast (Office antistupéfiants) composé de 150 enquêteurs. Il s'appuie sur un réseau de renseignement, les Cross (cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants), qui vont être généralisées. Polices municipales et bailleurs sont invités à leur faire remonter leurs informations.
Quatre ministres et un enterrement, celui de l’Ocrtis (Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants) éclaboussé par plusieurs scandales récents sur fond de porosité avec les réseaux de trafiquants. Après 66 ans de services, l’office est transformé en Ofast (Office antistupéfiants) dans le cadre du plan national de lutte contre les stupéfiants présenté à Marseille par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, aux côtés de Nicole Belloubet (Justice), Gérald Darmanin (Action et Comptes publics) et Laurent Nunez (secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur). Ofast qui rime sans doute volontairement avec les "go-fast", ces voitures qui franchissent les frontières à toute allure avec leurs cargaisons de drogue…
Selon Christophe Castaner, le trafic de drogue génère chaque année 3 milliards d’euros de recettes et fait vivre 20.000 personnes à plein temps. Et il est temps de "franchir une nouvelle étape" dans la lutte contre les trafics de stupéfiants car leurs méthodes "ont changé", elles sont "plus violentes, plus perfectionnées, moins traçables", avec le recours au "dark net" ou aux cryptomonnaies...
Ce plan en gestation depuis plus d’un an répond à une demande d’Emmanuel Macron en mai 2018. "Nous voulons frapper fort, frapper ensemble et envoyer un message clair aux trafiquants : la France ne sera pas leur terrain de jeu", a promis le ministre. Selon lui "le trafic s’est industrialisé, il s’est mondialisé. Il a touché nos territoires : des plus grandes villes aux villes moyennes et petites qui, même elles, ont bien souvent un point de vente notoire".
Chef de file unique
Opérationnel au 1er janvier 2020, l'Ofast sera "le chef de file unique de la lutte contre les trafics de drogue", a déclaré le ministre, disant s’inspirer du modèle de la DGSI pour la lutte anti-terroriste. Il sera dirigé par Stéphanie Cherbonnier, actuelle conseillère "justice" du directeur général de la police nationale (DGPN). Il comprendra 150 enquêteurs et sera un "lieu de travail en commun" entre police, gendarmerie, douanes et magistrats. Il s’appuiera sur 16 antennes territoriales.
Ce plan anti-stups est construit autour de 55 mesures. Il table avant tout sur le renforcement du renseignement. Il prévoit ainsi la généralisation des Cross (cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants) dont la première était expérimentée à Marseille depuis quatre ans. Elle aurait permis une augmentation de 15% du nombre de personnes écrouées pour trafics dans l’agglomération, d’après le ministère. D’où le choix de ce déplacement. "Si on est venus à Marseille, quatre ministres, c’est parce que Marseille est loin de l’image qu’on veut en donner (…) Marseille, c’est le laboratoire des initiatives pour la lutte contre les stupéfiants", a justifié Christophe Castaner. D’ailleurs, le milieu marseillais, le ministre de l’Intérieur l’a bien connu (il n’est qu’à se rendre sur sa fiche Wikipédia).
Les Cross reposent sur une "idée simple" : "mettre tous les acteurs autour d’une table pour qu’ils partagent les informations dont ils disposent". Ce croisement d’informations et de services était déjà ce qui avait valu la création des GIR (groupes d’intervention régionaux) sous Nicolas Sarkozy, dans l’idée de s’intéresser aux signes extérieurs de richesse pour remonter à la source des trafics…
Plateforme d'appels
Les Cross au sein desquelles tous les services collaboreront constitueront les relais locaux de l’Ofast. Il en existe aujourd’hui 28 dans "les grandes aires urbaines" et trois sont en cours de création. Elles devront être toutes opérationnelles "d’ici la fin de l’année". "Nous allons nous rapprocher plus encore du terrain en proposant aux polices municipales et aux bailleurs sociaux de s’y joindre", a demandé le ministre.
Mais les GIR n’ont pas disparu : ils représentent le volet opérationnel de la lutte contre les trafics. Leur mission sera recentrée "en priorité sur la lutte contre l’économie souterraine ainsi que la saisie des avoirs criminels dans les affaires de trafic de stupéfiants", prévoit le plan. "Sur 500 millions d’avoirs criminels saisis, seulement 10 % sont issus des trafics de stupéfiants", a déploré le ministre. Une mission parlementaire menée par les députés Jean-Luc Warsmann (LR, Ardennes) et Laurent Saint-Martin (LREM, Val-de-Marne) planche actuellement sur le sujet.
Par ailleurs, une "plateforme d’appels" permettra à chacun de signaler anonymement un point de vente. Les informations ainsi recueillies seront transmises à la Cross concernée. D'ailleurs, Christophe Castaner veut faire de ce plan un "pilier" de la police de sécurité du quotidien qui vise à rapprocher la police de la population. "Je veux donc que les Français et les élus soient associés et consultés", a-t-il dit. "Une cartographie unifiée et partagée de tous les points de deal et des réseaux de distribution sur le territoire national sera constituée", prévoit le plan.
Le plan prévoit aussi de renforcer la prévention à travers une grande campagne d’information pour "casser l’image festive de la drogue", alors que le "coût social" des stupéfiants est estimé à 8 milliards d’euros.
Nicole Belloubet a pour sa part annoncé que l'amende forfaitaire sanctionnant l'usage de stupéfiants (prévue par la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019) serait lancée à titre expérimental en décembre 2019 pour être "pleinement opérationnelle courant 2020".