Pierre Garzon, maire de Villejuif : "On est parti sur un projet de loisirs et on arrive sur un projet agricole"

Le 9 mai 2023, le conseil municipal de la ville de Villejuif a voté l'achat d'un corps de ferme de 12 hectares à Tannerre-en-Puisaye, dans l'Yonne. Avec l'acquisition de cette ferme et de sa petite production de 3 hectares, la commune du Val-de-Marne entend répondre à un double enjeu : alimenter ses crèches en bio et circuit court en salariant la maraîchère, et permettre aux jeunes Villejuifois de prendre l'air les mercredis ou lors de courts séjours dans cette campagne à moins de deux heures en car. Pour Localtis, Pierre Garzon, maire de Villejuif, détaille le projet qui fait déjà des émules auprès d'autres collectivités.  

Localtis - Comment est né ce projet d'achat de ferme ?

Pierre Garzon - Le point de départ, c'était les familles qui n'arrivent plus à partir en vacances et le fait que les campings sont souvent devenus inaccessibles. Nous cherchions des hectares pour planter une tente. Je constatais que nos animateurs de centres de loisirs, entre l'épidémie de Covid et la loi Vigipirate, ne sortaient pas assez avec les enfants, alors même que nous sommes aux portes de Paris. Malheureusement, nous savons que nous sommes à peu près dans les chiffres produits chaque année dans les enquêtes du Secours populaire français sur le droit aux vacances : à Villejuif, nous avons à peu près six enfants sur dix qui ne partent jamais en vacances. Donc notre sujet était celui-ci : permettre à nos centres de loisirs de sortir tous les mercredis aux beaux jours durant le printemps, l'été et l'automne. En cherchant un corps de ferme, nous avons rencontré une maraîchère bio installée depuis 10 ans.

Concrètement, comment le centre de loisirs délocalisé va-t-il s'organiser ?

Nous sommes à 1h50 de car et a priori sans embouteillage. On s'imagine à terme pouvoir partir le mardi soir, passer toute la journée du mercredi sur place et repartir le mercredi soir. Nous avons bénéficié d'un alignement des planètes car notre ville voisine, Vitry-sur-Seine, a un centre historique de colonies de vacances sur l'intercommunalité de Puisaye-Forterre, avec dortoirs, douches. Nous avons convenu que l'on pourrait utiliser leur équipement. Nous aurons juste à adapter le coin cuisine et les sanitaires de la ferme. Et même si nous faisions l'aller-retour dans la journée, nous devrions être à contre-courant des embouteillages. Au départ, nous avions pour critère de chercher un lieu accessible depuis le réseau ferré, pour des raisons écologiques. D'ailleurs, nous poursuivons nos recherches : nous savons aujourd'hui que certaines entreprises, dont la SNCF, ont la volonté de faire vivre leurs structures. Leur creux de fréquentation hors vacances pourrait nous intéresser.

Concrétiser un droit aux vacances, atteindre les objectifs de la loi Egalim dans la restauration scolaire… Pouvez-vous nous détailler les ambitions de ce projet à double facette ?

Nous avons à Villejuif un objectif politique : faire mieux que la loi Egalim et avancer vers de l'autoproduction. On était parti sur un projet de loisirs et on arrive sur un projet agricole. La loi Egalim impose des objectifs de bio et de circuits courts qui sont souvent inatteignables pour des communes en Île-de-France. Car en Île-de-France, il y a un décalage entre le nombre de couverts et la capacité de production maraîchère. Les prix sont extrêmement élevés, et d'autant plus avec l'inflation. Notre cheminement répond potentiellement à des problématiques que rencontrent toutes les communes. Depuis que nous nous y sommes mis, nous réalisons que nous ne sommes pas les seuls à chercher une ferme : nous sommes les défricheurs de la zone dense. Nous avons été très aidés par la ville de Mouans-Sartoux, connue pour sa politique pionnière de cantine bio, dont la ruralité est aux portes de la ville. Ils nous ont bien aidés à imaginer notre modèle économique, autour d'une régie communale, même si n'avons pas les mêmes contraintes. Le modèle est nouveau et la logistique un peu plus complexe à organiser pour nous. 

Quel type de contrat liera la maraîchère bio à la commune de Villejuif ?  

Notre maraîchère souhaitait être maraîchère à temps plein et non plus auto-entrepreneuse, ce qui était sa situation quand nous l'avons rencontrée ; elle consacrait alors 70% de son temps à la comptabilité, à la vente, aux transports, et pas à son coeur de métier. De notre côté, nous étions en recherche d'un modèle plus vertueux en termes d'organisation et de santé publique et moins contraignant vis-à-vis des marchés publics ; ce qui nous a fait opter pour un modèle de régie publique ; c’est-à-dire que Villejuif achète la ferme, salarie la maraîchère et la commune devient propriétaire de fait des murs et de la production. Nous sommes sur une petite production pour l'instant : 3 hectares cultivés sur 12 hectares, durant les 12 mois de l'année. Nous achetons le terrain, le foncier, le bâtiment et tout ce qui va avec le conditionnement. La production est supérieure à nos besoins sur nos 5 crèches, soit 230 repas quotidiens. Nos besoins en fruits et légumes sont estimés à 213 tonnes par an. Nous atteignons aujourd'hui environ 20% de bio et circuit court. Avec l'achat de la ferme, nous devrions terminer l'année en doublant la part de bio et de circuit court et passer à 40%.

Envisagez-vous d'étendre ce dispositif aux écoles de la ville ? 

Dans nos crèches, à Villejuif, la cuisine se fait déjà sur place. Dans nos écoles maternelles et élémentaires, la cantine est organisée autour d'une cuisine centrale. Mais le prestataire qui nous fournit ne pourrait pas utiliser notre production. Nous allons donc avoir une surproduction, dont l'usage est en réflexion : allons-nous la distribuer en paniers bio de type Amap qui serviraient les associations de solidarité sur la ville ? La proposer aux employés communaux qui pourraient acheter des paniers bio à un prix modéré ? Pour l'instant, nous n'avons pas encore tranché.

Quel est le budget pour ce projet ?

L'investissement est relativement faible car malheureusement il y a beaucoup de fermes en vente en France, bien que pas tant que cela en bio... Nous avons acheté pour 500.000 euros ces 12 hectares, le corps de ferme et le laboratoire de préparation. En fonctionnement, nous allons rester à coût égal mais sans variation de marché. Notre objectif était de rester à coût constant pour le prix des repas, voire de faire des économies en fonctionnement.