Partage de la voie publique : Emmanuel Barbe met la pression sur les collectivités

Emmanuel Barbe a officiellement remis, ce 28 avril, son rapport sur le partage de la voie publique. Il y formule 40 recommandations, dont plusieurs relatives aux infrastructures cyclables, "clé d'un espace apaisé". Il appelle en la matière à renforcer les obligations législatives, réglementaires mais aussi normatives (via le Cerema) des collectivités et à mieux contrôler leur respect. Ses autres recommandations visent pour l'essentiel à renforcer la maîtrise des règles et usages – via la formation, la communication ou la simplification de ces dernières – et la sanction de leurs infractions, le cas échéant en élargissant les prérogatives des polices municipales.

Après un report le 15 avril dernier, Emmanuel Barbe a officiellement présenté, ce 28 avril, veille de la journée nationale du Réseau vélo et marche, son rapport sur le partage de la voie publique au ministre des Transports. Pour mémoire, il avait été missionné en octobre dernier (lire notre article du 22 octobre) après le tragique décès d'un cycliste à Paris, "écrasé par une voiture utilisée comme une arme par son conducteur", selon les termes du rapport. Pour apaiser les "tensions croissantes existant sur l'espace public de mobilité […] entre tous ses usagers" – qui sont à la fois le "reflet de notre société, ses tensions, ses incommunicabilités, sa violence" tout en y prenant "plus d'intensité qu'ailleurs", où elles sont en outre avivées par une "mobilité complexifiée" (essor des "vélotafeurs", des cyclo-logisticiens, des livreurs à domicile et autres utilisateurs d'engins de déplacement personnel motorisés…) –, l'ancien délégué interministériel à la sécurité routière dresse 40 recommandations, dont 18 jugées prioritaires. 

Les collectivités singulièrement attendues sur les infrastructures cyclables 

Plusieurs de ces recommandations intéressent directement les collectivités. Singulièrement celles visant "le volet des infrastructures spécifiques à la bicyclette", qualifié de "fondamental". Emmanuel Barbe y voit même "la clé d'un espace apaisé". Côté pile, les collectivités se réjouiront que l'auteur du rapport insiste "sur le maintien des crédits permettant de financer des pistes cyclables et leurs interconnexions, ainsi qu'il en avait été décidé par les plans vélos de 2018 [lire notre article du 14 septembre 2018] et 2023 [lire celui du 9 mai 2023]". Un plan depuis mis à mal par le contexte budgétaire (lire notre article du 8 janvier 2025), au point d'être fondu dans le fonds vert (lire notre article du 5 mars 2025). "Il est essentiel pour les prochaines lois de finance de rétablir les montants prévus dans le deuxième plan vélo", martèle Emmanuel Barbe.

Lequel manie toutefois la carotte et le bâton. Relevant, à propos de l'obligation de mettre au point des itinéraires cyclables lors de la réalisation et de la rénovation des voies urbaines, que "les collectivités n'ont pas appliqué avec la même conviction la loi", il recommande ainsi "un contrôle beaucoup plus strict des règles du code de l'environnement sur le développement des infrastructures cyclables", en relevant que "si elles avaient été respectées, le réseau cyclable en France serait aujourd'hui bien davantage développé". Il ajoute que le respect de cette disposition repose "aujourd'hui sur le contentieux", par ailleurs nourri en raison notamment "de divergences d'interprétation" (une annexe est consacrée au sujet). Plus encore, la mission propose d'élargir le champ de cette mesure en introduisant "dans le code de l'environnement une obligation de mettre au point un aménagement cyclable en cas de création ou de rénovation d'une voie interurbaine, en permettant, le cas échéant, au gestionnaire de prévoir des itinéraires alternatifs ou de prendre en compte ceux qui existent", déplorant le caractère "peu précis et peu prescriptif" de la disposition réglementaire existante, le Sénat ayant "considérablement affaibli la portée" de la rédaction initiale lors de l'adoption de la loi LOM. 

Emmanuel Barbe suggère également aux ministères de l'Intérieur et des Transports de "rappeler aux collectivités leur obligation de mettre au point des itinéraires cyclables lors de l'élaboration des documents de planification", et plus encore de "faire des délibérations qui prescrivent les réalisations et rénovations de voirie un acte transmissible au préfet en contrôler la légalité" – contrôle que le ministre Rebsamen préfèrerait, lui, voir supprimé (lire notre article du 30 janvier). 

Autre proposition elle aussi guère dans l'air du temps à l'heure de la "chasse aux normes" (lire notre article du 3 avril), celle visant à rendre obligatoire le respect de certaines recommandations du Cerema relatives aux aménagements cyclables et piétons : traitement unifié des carrefours et giratoires, couleur unique pour les pistes cyclables, colorisation des sas vélo, marquage explicite des double sens cyclables (et, par ailleurs, agrandissement des panneaux autorisant les cyclistes à franchir les feux rouges). La mission déplore en effet une "efflorescence des types de voirie, de concepts et de règles qui accompagnent l'essor des mobilités douces", "des expérimentations et des innovations au-delà des règles existantes" comme les "vélorues", prouvant ainsi que le droit à l'expérimentation et plus largement la décentralisation restent des concepts encore difficilement appréhendés par l'administration centrale (et ce, alors qu'Emmanuel Barbe vante par ailleurs "l'expérimentation, maître mot d'une ingénierie pragmatique au services des espaces publics apaisés"). Autre élément à l'appui de cette tendance, l'inspecteur général de l'administration préconise que chaque agglomération soit dotée d'une zone 30, selon des modalités qui resteraient tout de même "à la discrétion de l'autorité chargée de la police de la circulation".

Il recommande par ailleurs que la surveillance des collectivités soit renforcée à l'égard de la mise en œuvre des plans de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics, confessant qu'il ne lui a pas été possible, ni d'apprécier le respect de cette obligation par l'ensemble des collectivités concernées, ni d'identifier le service de l'État chargé du suivi. Il propose encore de "définir le trottoir dans le code de la route", alors que ces aménagements ne sont "pas présents partout" et, quand ils existent, "pas toujours conformes aux normes d'accessibilité". La généralisation des cheminements piétons, notamment via ces "trottoirs normés", est également proposée.

Formation, dès le plus jeune âge et pour tous

Cette harmonisation des aménagements est justifiée par la nécessaire simplification de règles qui sont, de manière générale, insuffisamment connues et partagées par les différents usagers de la voirie. "L'antagonisme entre tous les usagers n'est pas seulement une question de partage de l'espace : c'est aussi largement une question d'incompréhension mutuelle", "source d'énervement", juge le rapporteur. Pour y remédier, il compte singulièrement sur la formation. 

Insistant sur l'importance de la précocité dans l'apprentissage du partage de la route, il invite d'abord à faire un état des lieux et à revoir les dispositifs existants d'apprentissage de la sécurité routière, "dispersés", en y intégrant notamment un "savoir rouler à vélo" réévalué, qui "rencontre des difficultés dans sa mise en œuvre" (lire notre article du 20 février 2024). La mission suggère aussi de revoir la préparation au permis de conduite afin de mieux prendre en compte les mobilités douces, tant dans les épreuves théorique (en s'assurant de la juste pondération des questions "sur le partage de la voirie et l'empathie", en valorisant "les aspects de prudence" et minorant "ceux relatifs au dynamisme") que pratique (connaissance de l'ouverture de la portière du véhicule "à la hollandaise", utilisation d'une bicyclette fixe afin que le candidat puisse expérimenter ce qu'un cycliste ressent lorsqu'il est dépassé par un véhicule…).

Les moins jeunes ne sont pas ignorés. Si la mission a "vite écarté" l'idée de faire passer régulièrement le code de la route à ses titulaires – lequel deviendrait un "code de la voie publique", afin de "consacrer la pleine reconnaissance de tous les modes de mobilité" –, la mission propose ainsi d'insérer dans les avis de contravention routières des QR code présentant des informations relatives à la règle transgressée et la raison d'être de celle-ci. Un QR code serait de même remis lors de l'achat d'un vélo, permettant à son futur utilisateur de prendre connaissance des règles applicables et des possibilités de formation à sa disposition. Autre recommandation, que le compte personnel de formation puisse être utilisé par les adultes qui entendent se remettre au vélo.

Élargir les compétences des polices municipales ?

Là encore, Emmanuel Barbe entend toutefois jouer aussi du bâton. Déplorant que les "incivilités routières du quotidien" soient "mal prises en compte" par les forces de sécurité intérieure – même si "les infractions commises en véhicule motorisée, très nombreuses, sont plus facilement sanctionnées en raison de l'immatriculation" –, il préconise d'améliorer le recueil des plaintes, en permettant le téléversement par le plaignant de vidéos dans le système visioplainte en cours de déploiement après un retard à l'allumage (lire notre article du 2 septembre 2024). 

Sans se prononcer, et sous l'impulsion de Christian Estrosi, président de la commission consultative des polices municipales, Emmanuel Barbe renvoie également aux travaux conduits dans le cadre du Beauvau des polices municipales (lire notre article du 12 mars) afin, le cas échéant, d'élargir les compétences de "polices municipales fortement impliquées dans la police de la ville et qui demandent à l'être plus encore". Il suggère encore d'ouvrir une réflexion pour "faire de la pacification de la voie publique un indicateur et un objectif des politiques de police". 

Des sanctions pour tous, mais minorées pour les cyclistes

Estimant que "les transgressions sont le fait de tous", mais souhaitant pouvoir l'objectiver davantage, Emmanuel Barbe propose que l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière prenne notamment désormais en compte "le non-respect des feux par les cyclistes ou de la priorité due aux piétons, de même [que les] comportements des véhicules vis-à-vis des cyclistes ou des piétons". Avec le même objectif, il recommande de s'assurer que le système de procès-verbal électronique oblige à la collecte des données relatives au mode de transport de la personne verbalisée". 

Il plaide par ailleurs pour "massifier la verbalisation des comportements" indus. Il recommande à cette fin de "compléter la liste des infractions pouvant donner lieu à vidéoverbalisation", de "mettre en chantier les modifications législatives pour l'utilisation de la vidéoverbalisation augmentée" ou encore "d'expertiser la possibilité d'équiper les autobus de caméras afin de pouvoir verbaliser un usage interdit des voies d'autobus". 

Alors qu'il juge en outre "impératif de procéder à plus de contrôle des cyclistes", Emmanuel Barbe propose de créer des infractions spécifiques pour ces derniers aboutissant à minorer le montant de l'amende encourue pour certaines contraventions au code de la route "dans le but de [les] verbaliser davantage". Prouvant ainsi que si automobilistes et cyclistes sont égaux, certains le sont plus que d'autres. Une inégalité que l'on pourrait retrouver parmi les cyclistes eux-mêmes, puisqu'Emmanuel Barbe concède que cette amende minorée pourrait être réservée aux seuls "vélos musculaires". Ou encore parce qu'il suggère d'étudier l'immatriculation des seules bicyclettes ou vélos-cargos "utilisées à des fins professionnelles".

 

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