30 ans de l'ADCF - Parfois malmenée, l'intercommunalité espère se voir confortée
L'Assemblée des communautés de France (ADCF) célébrait le 19 juin, à l'Assemblée nationale, un double anniversaire : les trente ans de sa création et les vingt ans de la loi sur la coopération intercommunale. En présence de l'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement et de plusieurs ministres de l'actuel gouvernement, l'ADCF a fait l'éloge de l'intercommunalité et répondu aux récentes critiques. Le projet de loi "Proximité et engagement", que prépare le ministre chargé des Collectivités territoriales, entend corriger quelques scories. Sans toutefois freiner le développement de l'intercommunalité, assure l'exécutif.
Le projet de loi Proximité et Engagement visera à apporter des corrections à la loi sur l'organisation territoriale d'août 2015, mais sans remettre en cause les fondements de l'intercommunalité à fiscalité propre, a assuré mercredi soir le ministre en charge des collectivités territoriales devant les présidents de communautés et métropoles.
La nouvelle carte intercommunale établie au 1er janvier 2017 fait apparaître "quelques aberrations", a fait remarquer Sébastien Lecornu. "Plutôt que le grand soir", l'avant-projet de loi qui est actuellement soumis à l'examen du Conseil d'État prévoit une procédure de "divorce à l'amiable", sans l'intervention du préfet. Cette procédure pourrait s'appliquer en particulier à des EPCI à fiscalité propre "XXL" (prise en exemple, une communauté "de 110 communes comptant 120.000 habitants"). Diviser par deux la superficie et la population de tel ou tel mastodonte "n'abîmera pas le phénomène intercommunal", a souligné le ministre. De même, le projet de loi permettra à une commune rurale appartenant à une communauté d'agglomération de sortir de celle-ci. Aujourd'hui, une procédure de ce type n'existe que pour les communes membres d'une communauté de communes. Cette "avancée de bon sens" ne "remettra pas en cause l'intégration intercommunale de ces dernières années", a là encore plaidé Sébastien Lecornu.
"Mieux d'intercommunalité, mais pas moins"
Le gouvernement compte par ailleurs remettre sur le métier l'organisation de la compétence en matière d'eau et d'assainissement. En apportant davantage de souplesse que la loi Fesneau d'août 2018. Dans tous les cas, l'EPCI à fiscalité propre sera "propriétaire" de la compétence. Mais il pourra déléguer son exercice à une commune ou un syndicat de communes, à charge pour lui d'assurer le contrôle. "Si une régie d'eau fonctionne bien depuis deux cents ans, pourquoi brusquer les habitudes locales ?" a fait remarquer Sébastien Lecornu. En observant que cette solution semble convenir à une grande partie des associations de maires et de présidents d'intercommunalité.
Parmi la batterie de mesures qu'il défend, le ministre a par ailleurs insisté sur la généralisation de la conférence des maires. Cette instance consultative que beaucoup d'intercommunalités n'auraient pas instituée, permettra de répondre au "sentiment de dépossession" que peuvent éprouver ici ou là des élus municipaux. Et ce, même si Sébastien Lecornu aurait préféré ne pas avoir à passer par la loi pour cela.
L'Assemblée des communautés de France (ADCF) prend acte de ces projets d'assouplissements, tout en notant que le droit actuel offre déjà "beaucoup de solutions et de souplesse", comme l'a indiqué son président, Jean-Luc Rigaut. "Que des correctifs soient proposés aux situations bloquées, tout à fait d'accord", a-t-il ajouté. En admettant qu'existent en "certains endroits" des périmètres "peu cohérents" et "un déficit de solidarité financière".
Mais, "attention à ceux qui voudraient renvoyer les communes à leur solitude d'autrefois ou à ceux qui nous disent : l'intercommunalité, c'est l'enfer", a averti le président du Grand Annecy. En affirmant aussi : "Nous voulons mieux d'intercommunalité, mais certainement pas moins d'intercommunalité." Une ligne rouge que le président de l'Assemblée nationale avait déjà tracée à l'ouverture de la rencontre. "À vouloir enlever les irritants, ne rendons pas malades les bien-portants", avait lancé Richard Ferrand. En estimant que "plus de 80% des intercommunalités sont heureuses (…) et se portent bien". Applaudi, il a par conséquent appelé ses collègues à "procéder par petites touches plutôt que par grands traits".
"Un instrument de solidarité fondamental"
Face aux critiques récemment venues de la part de citoyens ou d'élus à l'égard d'une intercommunalité pouvant être lointaine et risquant parfois de reléguer les maires au fleurissement du monument aux morts, plusieurs membres de l'ADCF - notamment au fil de vidéos diffusées pendant la soirée - ont tour à tour plaidé la cause de la coopération intercommunale. Dépasser l'esprit de clocher, permettre une plus grande cohérence dans l'implantation des équipements publics, passer d'une "organisation politique descendante" à une "organisation horizontale" qui favorise les synergies, donner la possibilité de monter des projets coûteux et complexes qui sont inconcevables à l'échelle d'une seule commune… Ou la réussite d'une "révolution silencieuse".
Plusieurs invités ont mêlé leur voix à ce panégyrique. La création de la taxe professionnelle unique à l'échelle des communautés a été "un instrument de solidarité fondamental", a par exemple souligné l'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement, instigateur de la loi de 1999 qui a assuré en quelques années un essor considérable à l'intercommunalité (lire notre encadré ci-dessous). La mutualisation des équipes a permis de "muscler l'ingénierie des territoires" et ainsi de "faire naître l'intelligence territoriale", a estimé de son côté Richard Ferrand. "Ce mouvement est jeune et attend sa pleine maturité… Nous n'en sommes qu'à la fin du début", a déclaré le président de l'Assemblée nationale, reprenant une célèbre formule de Winston Churchill. Un avenir radieux qu'entrevoit également le ministre en charge des collectivités territoriales. Ce dernier a vanté "l'outil le plus génial pour arriver à répondre aux défis qui sont nouveaux". Et l'ex-vice-président de la communauté d'agglomération des Portes de l'Eure de citer parmi ces défis la transition écologique, les mobilités ou la prévention des inondations.
L'intercommunalité est "la bonne maille" pour la mise en œuvre des politiques territoriales de l'État, a jugé pour sa part Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation au sein de l'Assemblée nationale. Peu après, la ministre de la Cohésion des territoires a confirmé que la contractualisation, telle qu'elle a déjà été pratiquée par exemple avec les Ardennes, la Bretagne, la Creuse ou le territoire Sambre-Avesnois-Thiérache (Hauts-de-France), sera "au cœur de l'action du gouvernement". Répondant à une demande de simplification et de plus grande cohérence formulée notamment par l'ADCF (Jean-Luc Rigaut a une nouvelle fois plaidé pour des "contrats globaux de territoires", une contractualisation "globale, transversale, pluriannuelle"), les prochains contrats seront élaborés par les ministères selon une méthode commune, a-t-elle indiqué au passage. Parce que l'actuelle "multiplication et juxtaposition de contrats" est "source de complexité", l'État entend désormais privilégier des contrats "comprenant tous les aspects du territoire", a-t-elle aussi précisé. En ajoutant que l'Agence nationale de la cohésion des territoires, dont la création est prévue par un projet de loi dont le Parlement achève l'examen, "validera" ces contrats. Ce projet de loi prévoit précisément que des "contrats de cohésion territoriale" pourront venir englober multiples contrats préexistants.
Projet de territoire et société civile
Pour être au rendez-vous des défis qui les attendent, les élus intercommunaux doivent s'appuyer sur un projet de territoire établi avec les entreprises, les associations et les citoyens, a souligné Jean-Pierre Balligand, ancien maire de Vervins (Aisne). Un avis partagé par Jean-Luc Rigaut. "Les citoyens ne doivent pas être juste des spectateurs ou des consommateurs, a estimé le président de l'ADCF. Il faut que nous les associions totalement dans nos différents projets de territoire et dans nos choix politiques."
Or l'intercommunalité demeurerait pour les citoyens un objet "extrêmement confus", selon l'avis du politologue Patrick Le Galès. A ses yeux, la culture du consensus à l'œuvre dans la gouvernance intercommunale n'aiderait pas toujours à faire avancer les choses. "Le conflit est parfois une manière d'intéresser le citoyen à la politique, de rendre visible", a-t-il souligné. En se demandant si l'élection au suffrage universel direct des présidents des intercommunalités ne serait pas, à ce titre, une avancée.
La petite histoire d'une grande loi
Un double anniversaire donc. Les 30 ans de l'ADCF… et les 20 ans des "grandes lois de 1999". À savoir principalement la loi Chevènement. Mais aussi les lois Voynet (LOADDT) et Gayssot (SRU, 2000), a rappelé Richard Ferrand. Avec, pour l'occasion, la présence de tous les présidents successifs de l'ADCF. Marc Censi, Daniel Delaveau, Charles-Éric Lemaignen et aujourd'hui Jean-Luc Rigaut. Et l'actuel président de rappeler que son association fut d'abord celle de cinquante "districts"… pour compter désormais un millier d'adhérents représentant 85% de la population. L'occasion pour Marc Censi, élu du district du Grand Rodez dès 1983, de raconter comment, alors qu'il nourrissait déjà un projet d'agglomération contrarié par les "tentations centrifuges" des acteurs locaux, se vit suggérer d'organiser un échange entre les représentants des districts français hérités de 1959. Ce fut la première "rencontre de Rodez", qui réunit 22 districts, avec dans la foulée la création de l'Assemblée des districts de France.
Suivra la loi Joxe-Marchand de 1992 dite loi ATR qui, rappelle aujourd'hui l'ancien élu Jean-Pierre Balligand, "a très bien fonctionné dans tout le rural", dans la mesure où les élus ruraux "avaient compris depuis longtemps qu'on était complètement fauchés, que le rural s'écroulait, que les communautés de communes étaient une nécessité". Dans le rural… mais que dans le rural.
"S'agissant des territoires urbains, il n'y avait que cinq communautés de ville", se souvient Jean-Pierre Chevènement, évoquant l'idée qui avait prévalu à l'élaboration de sa loi sur l'intercommunalité : créer des "coopératives de communes". S'ensuivirent "deux ans de concertations intenses" pour, au final, "une loi adoptée à la quasi-unanimité" ("sauf les communistes", relève-t-il). Une adoption large qui aurait "facilité l'application rapide de la loi"… avec des objectifs "très vite dépassés" : une centaine de communautés d'agglomération virent le jour, contre une cinquantaine prévues. Le tout en s'appuyant sur "un instrument de solidarité" puissant avec la création de la taxe professionnelle unique (TPU). Il s'agissait, considère l'ancien ministre de l'Intérieur, de "lutter contre la ségrégation spatiale", car "on anticipait déjà ce risque".
Et "pour marier les riches, il fallait une carotte", complète Jean-Pierre Balligand. D'où la majoration de dotation globale de fonctionnement (DGF). "La première des compétences, ça a été l'économie", poursuit-il, considérant que "la vraie révolution, ça a été la TPU" : "Vous n'avez aucune idée des bagarres qui avaient cours localement entre communes, on avait une France complètement atomisée, des villes-centres asphyxiées" entourées de petites communes parfois riches grâce à la présence d'une usine… "C'est la TPU qui a créé la solidarité spatiale", résume Jean-Pierre Balligand.
Vingt ans plus tard, le père de l'intercommunalité porte un regard parfois critique sur ce qu'elle est devenue. Et a des idées sur ce qu'elle ne doit pas devenir. "Le suffrage universel direct pour les présidents d'EPCI, c'est une mauvaise idée", tranche par exemple Jean-Pierre Chevènement, qui se demande par ailleurs si, face au couple commune-communauté, afin de "mieux articuler" le couple département-grande région... "le conseiller territorial ne serait finalement pas une si mauvaise idée". En tout cas pour lui… "des intercommunalités à 100 communes ou davantage encore, c'est franchement se foutre du monde".
Pour préparer son futur projet de loi Proximité et Engagement, Sébastien Lecornu a choisi de rencontrer Jean-Pierre Chevènement il y a quelques semaines, avant même d'entamer ses consultations auprès des associations d'élus et des parlementaires. "Il m'a donné certains conseils", indique le ministre. Le "divorce à l'amiable" qui devrait figurer dans le projet de loi en faisait-il partie ?
Claire Mallet