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PAC : pas de pacte vert sans une politique commerciale plus défensive

Lors du dernier Conseil Agriculture et Pêche du 21 février, le ministre Julien Denormandie a plaidé pour "mettre en cohérence" politique agricole commune, pacte vert et politique commerciale de l’Union. Il redoute les conséquences des stratégies "De la ferme à la table" et "Biodiversité" sur la production agricole européenne et les "fuites environnementales" qu’elles pourraient entraîner. Également discuté, le projet de règlement "déforestation importée", qui suscite lui-aussi des inquiétudes.

"Au regard des bénéfices environnementaux et climatiques attendus, la mise en œuvre [des stratégies De la ferme à la table et Biodiversité] pourrait entraîner des risques de réduction de la production agricole européenne et une hausse des importations […] en provenance des pays tiers pouvant être moins ambitieux sur le plan de la protection de l’environnement ou de la santé, ou ne pas répondre aux attentes des consommateurs européens, et présenter également un bilan carbone plus défavorable". Reprenant les conclusions de l’étude du centre commun de recherche de la Commission européenne (voir notre article du 15 octobre 2021), "et d’autres études similaires", le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, dans une note préliminaire de la présidence au Conseil Agriculture et Pêche du 21 février, a invité ses homologues à "réfléchir aux moyens d’éviter" cet écueil. Pour ce faire, la France juge "primordial d’assurer la cohérence des objectifs" des trois politiques "essentielles" de l’Union : la politique agricole commune, le pacte vert et la politique commerciale. Les deux premiers éléments n’étant désormais guère malléables, reste à tenter d’infléchir le troisième.

Cinq leviers prioritaires

Le ministre français, qui a fait de la "réciprocité des normes" la mère des batailles (voir notre article du 4 janvier), propose d’actionner plusieurs leviers :

- le réexamen des limites maximales de résidus et les tolérances à l’importation, qui permettent aujourd’hui d’autoriser la mise sur le marché européen de denrées ou aliments pour animaux contenant des résidus de substances interdites dans l’UE ;

- l’application de certaines normes européennes aux produits importés – les fameuses "mesures miroirs" –, le ministre proposant de profiter des révisions de la législation relative au bien-être animal et aux additifs destinés à l’alimentation des animaux pour mettre en œuvre cette approche ;

- le renforcement des dispositifs d’étiquetage des produits agricoles et alimentaires ;

- la prise en compte de ces enjeux dans les accords commerciaux bilatéraux, la France déplorant que l’accès au marché européen soit resté jusqu’à présent "un levier de négociation, d’influence et d’incitation au relèvement des ambitions et standards […] très insuffisamment utilisé" ;

- le renforcement de l’action et de la coopération de l’UE et des 27 dans les instances de normalisation internationale. Un domaine qui a d’ores et déjà connu une première avancée avec l’adoption par le Conseil de conclusions relatives à "l’engagement de l’UE en faveur d’un Code Alimentarius ambitieux" (ensemble de normes, de lignes directrices et de codes d'usages géré par un organisme international de normalisation alimentaire – voir document ci-dessous).

Des 27 plus ou moins réceptifs

À l’issue des débats, le ministre s'est félicité d’un "tour de table quasi-unanime sur la nécessité de renforcer cette cohérence", tout en admettant que les outils proposés "sont plus ou moins consensuels". Plusieurs États membres, comme l’Espagne, l’Italie ou la Finlande, soutiennent pleinement l’initiative française. D’autres font part de leurs réticences, comme le Danemark, pour lequel "le marché doit rester ouvert", "les clauses miroirs ne peuvent pas être utilisées partout" ou qui se déclare encore "sceptique" sur l’efficacité de l’étiquetage. Et certains redoutent d’éventuelles mesures de rétorsion. Une position partagée par le commissaire à l’agriculture, Janusz Wojciechowski : "Nous avons besoin de nous souvenir que nous sommes d’abord et surtout le plus grand exportateur de denrées alimentaires au monde, avec une balance commerciale bénéficiaire de plus de 60 milliards d’euros en 2020, et 51 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de 2021". Et le commissaire de rappeler la nécessité "de nous assurer du plein respect des règles de l’OMC".

"Momentum politique"

"Le droit international laisse des marges de manœuvre que nous devons explorer", a rétorqué Julien Denormandie. Le ministre français se dit résolu à "créer un momentum politique, en plusieurs phases". La prochaine prendra la forme d’un document écrit, "formel", de la présidence à la Commission pour alimenter le rapport sur l’application des normes sanitaires et environnementales de l’UE aux produits agricoles importés qui a été commandé à cette dernière par le Conseil et le Parlement. Un rapport particulièrement attendu, dont la Commission présentera les "résultats préliminaires" lors du prochain conseil de mars, avant d’en publier la version définitive en juin prochain. Entre temps, la Commission aura normalement présenté, le 23 mars, son projet de révision de la directive "Sud" sur l’utilisation durable des pesticides. Un autre texte attendu, d’autant plus que le président Macron avait annoncé lors du dernier congrès de l’UICN de Marseille "une initiative forte de sortie accélérée des pesticides" (voir notre article).

Inquiétudes sur le projet de règlement Déforestation importée

Le Conseil du 21 février a également été l’occasion d’aborder un autre texte cher au président français : le projet de règlement visant à enrayer la déforestation importée, présenté en novembre dernier par la Commission (voir notre article). Mais là aussi – et même plus encore –, "si les ambitions sont largement partagées", se félicite Julien Denormandie, le ministre concède que la mise en œuvre du dispositif ne va pas sans susciter des "inquiétudes légitimes" de plusieurs États membres. Si certains plaident pour un élargissement des produits concernés, d’autres redoutent la charge administrative induite et plaide pour une clarification des définitions.

 

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