Open data : l'État invité à clarifier sa stratégie en matière de données de référence
Dans un référé rendu public le 11 mars 2019, la Cour des comptes déplore le "manque de pilotage" dans la stratégie open data de l'État et les "injonctions paradoxales" pesant sur les producteurs de données de référence. Car étendre le champ de la gratuité des données et leur confier de nouvelles missions autour des "données souveraines" sans accroître la subvention de l'Etat relève de la quadrature du cercle.
La Cour des comptes s'est penchée sur l'adaptation de trois opérateurs du ministère de la Transition écologique et solidaire (Cerema, IGN et Météo France,) aux obligations open data issues de la loi Lemaire du 7 octobre 2016. Celle-ci oblige ces opérateurs à mettre à disposition gratuitement des données numériques réutilisables, à l'exception de quelques jeux de données pour lesquelles elles peuvent, à titre dérogatoire, percevoir des redevances.
Des ressources propres qui fondent
Selon le référé de la Cour des comptes, la mise en œuvre de ces obligations s'avère très laborieuse. "L'IGN, Météo-France et le Cerema, sont, depuis plusieurs années, soumis à une forme d'injonction paradoxale : développer leurs ressources propres, notamment par la commercialisation des données, tout en procédant à leur diffusion gratuite. Ils sont, dans le même temps, confrontés à la diminution de la valeur marchande de certaines données, voire à l'apparition d'offres gratuites" notent les Sages. L'IGN voit ainsi ses ressources fondre - les ventes de données brutes sont passées de 36% (14,7 millions d'euros) de son chiffre d'affaire, à 12% (6,6 millions d'euros) en 2017 - alors même que le périmètre des données concernées par la gratuité s'élargit, que la concurrence des données gratuites s'accroît et que la subvention de l'État n'augmente pas proportionnellement à la baisse des ressources propres.
Trop d'administrations pour piloter l'open data
Dans ce contexte et faute de directive claire de l'État, l'application de la loi Lemaire se révèle très imparfaite dans ces administrations. "L'obligation de publication de répertoires des principales données détenues n'est pas respectée ; de nombreux logiciels et certaines de leurs bases de données, qui pourraient être qualifiés d'informations publiques, ne sont pas mis à disposition du public ; il en est de même des codes sources et paramétrages de certains modèles informatiques de Météo-France", note la Cour des comptes. Par ailleurs, les licences accompagnant la réutilisation des données, obligatoires en cas de perception de redevances, ne sont pas toutes homologuées.
La Cour des comptes pointe par ailleurs le défaut de pilotage de l'open data sur ces questions. Pas moins de trois entités administratives sont en effet chargées de promouvoir l'ouverture des données publiques : la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic)/ Etalab (1) et la Direction de la recherche et de l'innovation du commissariat général au développement durable (CGDD).
Le cas emblématique de la base adresse nationale
Les critiques de la Cour des comptes sont illustrées par les bugs de la base adresse nationale (BAN). Ce projet vise à créer une seule base adresse – une donnée de référence parmi les plus utilisées en France – là où il en existe plusieurs au sein de la Poste, de l'IGN et de la DGFIP. L'originalité de la BAN était aussi d'associer la représentation française d'OpenStreetMap (OSM) qui enrichit la base de la DGFIP via des contributions d'utilisateurs volontaires. Le récent départ avec perte et fracas de Christian Quest, ancien président d'OSM France, qui en assurait la coordination en dit long sur l'enlisement du projet. Il faut dire que les intérêts entre les porteurs du projet sont pour le moins divergents : la Poste et l'IGN commercialisent chacun une base adresse maison, tandis qu'OSM propose une base gratuite mais soumise à des obligations de repartage à l'identique lorsque des modifications y sont apportées (licence OdBl).
Clarifier objectifs et périmètre
La Cour des comptes invite en effet l'État à définir "un cadre stratégique cohérent" et à clarifier la réglementation, notamment sur la nature des données, les codes sources à ouvrir et les modalités de mise à disposition des données (licences). Et une fois que l'État aura redéfini ses attentes à l'égard de ses grands opérateurs de la donnée publique (voir aussi notre article sur les données souveraines), il lui faudra en tirer toutes les conséquences en termes de modèle économique. Des recommandations qui ne seront certainement pas pour déplaire aux établissements publics concernés. Ceux-ci dénoncent depuis des années l'impossibilité à ouvrir et maintenir des données de qualité tout en diversifiant leurs activités dans un contexte de restrictions budgétaires.
Référence : référé de la Cour des comptes |
(1) Etalab est une mission placée au sein de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État