Olivier Sichel plaide pour un acte 3 du programme Action coeur de ville
Le directeur de la Banque des Territoires, Olivier Sichel, s'est engagé, lors des sixièmes Rencontres Coeur de villes, organisées à Chartres les 9 et 10 décembre, à poursuivre les efforts en faveur des villes moyennes après l'échéance de 2026. Si le programme Action coeur de ville remplit bien ses objectifs, les villes bénéficiaires ne sont pas épargnées par les difficultés actuelles, que ce soit en matière de santé, de logement ou de commerce.
Dans un "contexte préoccupant" marqué par un "sentiment d'abandon des maires", le directeur de la Banque des Territoires, Olivier Sichel, s'est engagé, mardi 10 décembre, à ce qu'une suite soit donnée au programme Action cœur de ville, à l'issue de la deuxième phase qui s'achèvera à la fin de ce mandat municipal, en 2026. "Je suis persuadé qu'il y aura un ACV 3, on voit la nécessité absolue de ce programme", a-t-il déclaré à l'occasion des sixièmes Rencontres Cœur de villes, organisées les 9 et 10 décembre à Chartres (Eure-et-Loir) par la Banque des Territoires. "Cela ne dépend que de vous, on n'a pas besoin de grand signal, ni de subvention budgétaire, ce programme ne dépend pas d'une très grande impulsion politique, c'est vous qui la donnez, avec Villes de France", a-t-il insisté depuis le Colisée, le nouveau complexe sportif et culturel de Chartres tout juste inauguré, symbole des réalisations du programme dans cette cité de 40.000 habitants. Au total, 7.200 projets ont été portés depuis le lancement du programme, "c'est absolument majeur", a salué Olivier Sichel. "On le poursuivra, on sera à vos côtés, je suis extrêmement optimiste", a-t-il assuré, indiquant vouloir "mobiliser" les filiales du groupe Caisse des Dépôts : La Poste, Icade, CDC Habitat, Egis...
Selon un bilan présenté à cette occasion par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), 68% des projets du programme étaient en cours ou livrés au 30 juin 2024 et 9,97 milliards d’euros ont été mobilisés sur les 11 milliards d'euros prévus entre 2018 et 2026 par les quatre partenaires financiers (Banque des Territoires, Action logement, Anah et État). 262.174 logements ont été rénovés avec des subventions de l’Anah et plus de 29.412 logements ont été réhabilités ou construits grâce à un financement d’Action logement.
"Les enseignes nationales fuient les unes après les autres"
Le président par intérim de Villes de France, Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse (Ain), a rappelé que onze villes avaient rejoint le programme depuis 2023, dont deux cette année, Frontignan (Hérault) et Annemasse (Haute-Savoie), portant le total à 245. Selon lui, les villes moyennes ont un rôle essentiel à jouer dans la bataille pour "la réindustrialisation" qui, "si elle voit le jour, passera moins par les métropoles largement embolisées que par nos villes et agglomérations moyennes". À cet égard, ACV apporte une "vision globale des enjeux", des coeurs de ville aux territoires voisins.
Mais il a appelé à "un travail en commun avec la Caisse des Dépôts pour que, le moment venu, dans trente mois (terme du mandat d'Emmanuel Macron, ndlr), on puisse poser un vrai constat sur la table, avec de nouveaux outils fonciers". Car selon l'élu, l'édifice reste précaire et les maires sont confrontés à de graves difficultés, que ce soit en matière de santé, de logement, de commerce, etc. Les villes du programme ont connu une baisse des ventes immobilières de 20% en 2023, comme le montre le baromètre immobilier des villes ACV publié la semaine dernière. De même sur le plan commercial, "les enseignes nationales fuient les unes après les autres, parce que ça ne marche plus (…), la rotation n'a pas pu être organisée", ce qui risque de "réduire à néant des années de travail", alerte Jean-François Debat, alors que sa ville pouvait se prévaloir jusque-là d'un taux de vacance inférieur à la moyenne.
Comme de nombreuses communes du programme, Bourg-en-Bresse s'est dotée d'une foncière commerciale, avec le soutien de la Banque des Territoires. Aujourd'hui, les quelque 82 foncières commerciales dans lesquelles la Banque des Territoires est actionnaire portent "plus de 1.000 commerces placés à des endroits stratégiques et qui vont être des locomotives", s'est félicité Olivier Sichel. Pour Jean-François Debat, la panoplie reste toutefois incomplète. Il préconise par exemple un renforcement de la taxe sur les commerces vacants, "pas assez dissuasive aujourd'hui", la réactivation d'un fonds d'intervention en faveur des services, du commerce et de l'artisanat (Fisac) "ciblé", une réflexion sur le changement d'usage des baux commerciaux…
66% de la consommation reste concentrée dans les zones commerciales
Comme chaque année, ces rencontres ont été l'occasion pour les maires du programme d'échanger et de s'inspirer des bonnes pratiques lors d'ateliers. Mais aussi de prendre de la hauteur, dans le cadre de "masterclass" sur les grands enjeux du moment, notamment la requalification des "entrées de ville", l'un des axes fort de la deuxième phase du programme ACV, avec les quartiers de gare.
Une consultation lancée par la Banque des Territoires avec Make.org entre septembre et octobre 2024 auprès de 5.400 participants a permis de jauger les desiderata des habitants. Principal constat : l'expression "France moche" épinglée par une célèbre une de Télérama n'est pas du goût des habitants, qui montrent un "attachement à leur entrée de ville" dont ils aimeraient surtout voir améliorer "les activités culturelles, les loisirs et le lien social", a souligné Marthe Nagels, responsable du secteur public chez Make.org. En revanche, ils manifestent une réticence à la construction de logements et à l'arrivée de nouvelles populations. La consultation fait également apparaître un "décalage entre les aspirations et la réalité", "la fréquentation dans les centres-villes est plutôt à la baisse, alors que celle des boîtes à chaussure augmente", a encore relevé Marthe Nagels. Pascal Madry, directeur de l'Institut pour la ville et le commerce et du cabinet Reeter, a rappelé à cet égard que les zones commerciales concentrent "66% de la consommation des Français" (contre 10% pour les centres-villes) et 66% de l'emploi commercial. "On a quand même des consommateurs pas tout à fait alignés avec les objectifs de notre politique publique", a-t-il plaisanté.
Mur financier
Alors que le gouvernement a lancé un programme de transformation des zones commerciales (voir notre article du 11 septembre 2023), Pascal Madry invite ainsi à la prudence quant aux effets attendus. "Attention au T de transformation qui ne rencontre pas forcément les aspirations du public", celui-ci "parle davantage d'adaptation". En clair, il s'agit pour la population d'"améliorer l'esthétique des zones commerciales, pas de les raser". L'urbaniste est également revenu sur la question de l'acceptabilité du logement dans ces espaces. "C'est un problème, car la transformation, on l'attend justement par le logement (voir notre article de ce jour)."
Soulignant "la rente économique fabuleuse" de ces espaces, Pascal Madry a enfin mis en garde contre le mur financier que représente de telles opérations. Le "ticket d'entrée" pour l'acquisition de murs, de fonds et de commerces y est de 3 millions d'euros contre 500.000 euros en centre-ville. Or il existe "100.000 boîtes dans 1.500 zones commerciales" en France. "Il en coûtera 30 milliards d'euros pour la maîtrise, il va falloir être plutôt sélectif si on veut les transformer", a-t-il souligné (le plan national ayant été doté de 24 millions d'euros à l'origine). D'autant que ces projets complexes ne sont pas dénués de risques juridiques.
En témoigne le projet d’aménagement commercial du plateau nord-est de Chartres qui était justement montré en exemple (voir notre article du 9 octobre 2023). La municipalité vient de jeter l'éponge en raison de démêlés juridiques et judiciaires qui l'opposent à la société Klécar qui possédait une galerie marchande sur la zone à traiter.