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Olivier Lluansi : "Il faut revenir à un discours onirique sur l'industrie"

Avec la crise du Covid-19, jusqu'à un demi-million d'emplois dans l'industrie pourraient être détruits en deux ans. C'est le scénario le plus noir de l'étude réalisée par le cabinet d'audit PwC pour l'UIMM, publiée le 26 juin 2020. Une catastrophe pour un secteur qui avait commencé à reprendre des couleurs depuis 2015. Pour Olivier Lluansi, associé chez PwC en charge du secteur industriel et ancien délégué aux Territoires d'industrie, il faut sortir de l'ornière post-industrielle.

Localtis - Quels sont les scénarios envisagés dans l'étude PwC pour l'industrie après la crise du Covid-19 ?

Olivier Lluansi - S'il n'y a pas de reprise de la crise sanitaire, l'industrie revient sur sa tendance d'avant en deux ans. Dans ce scénario, 180.000 emplois cumulés sont menacés, dont 70.000 qui n'auront pas été créés.
Dans le scénario plus pessimiste, avec résurgence de la crise et reconfinement, pas total mais avec des règles de distanciation pénalisantes pour la productivité, des chaînes d'approvisionnement mondiales incertaines et une France plus impactée que les autres pays, la reprise de l'économie serait très lente et nous ne retomberions pas aux tendances d'avant. Dans ce scénario, 460.000 emplois en tout sont menacés, dont 81.000 non créés.
Au-delà de la casse sociale, c'est aussi la qualité de ces emplois qui compte, car s'il n'y a pas de création d'emplois pendant deux ans, nous n'aurons pas d'entrée de nouvelles compétences pour l'industrie, or elles sont nécessaires pour la transformation de ce secteur.

Quels sont les risques face à cette situation ?

Les entreprises vont avoir besoin de se refinancer et le risque est qu'elles sollicitent des fonds d'investissement étrangers : elles restent en France mais passent en même temps dans les mains d'acteurs étrangers pour le financement. Autre interrogation : à travers le programme Territoires d'industrie et son succès, nous avons découvert qu'une majorité de territoires dépendent de l'outil productif pour se développer. Avec ce type de crise, que l'on pourrait voir encore apparaître, il y a un risque de déstructuration économique de ces territoires. Ils voient leurs usines disparaître alors que ce sont de véritables poumons pour eux. Dans ce cadre, l'attractivité des territoires est un élément-clé pour favoriser l'implantation des usines et attirer des compétences.

Quelles sont les mesures à mettre en place pour soutenir l'industrie ?

Dans un premier temps, il y a besoin de mesures d'urgence, comme l'activité partielle de longue durée (APLD) qui vient d'être mise en place. Ensuite, il ne faut pas perdre les compétences, l'industrie manquant déjà de talents avant la crise. Il faut soutenir l'activité industrielle, et pas seulement à travers le soutien à la consommation, qui vise souvent les produits importés, mais à travers la solidarité entre entreprises industrielles. Aujourd'hui, les entreprises en France achètent des biens intermédiaires qui proviennent le plus souvent de l'étranger. Si on relocalise 10% seulement de ces biens (moteurs électriques, pompes…) auprès de fournisseurs existants en France, on maintient 62.000 emplois. Évidemment, cela coûte plus cher, avec un impact de 0,5% sur le chiffre d'affaires environ, mais l'État pourrait peut-être inciter les entreprises, avec, en contrepartie, un accompagnement en trésorerie, investissement ou réduction d'impôts. Autre avantage de ce process : il sécurise les chaînes d'approvisionnement. Viennent ensuite les mesures publiques classiques, comme des plans d'investissement, notamment dans l'accompagnement de la transition écologique des usines ou la baisse des impôts de production, ou leur évolution en fonction des bénéfices obtenus par les entreprises. On pourrait ainsi imaginer avoir une fiscalité locale qui ne reposerait pas sur une assiette totalement fixe, mais serait fixée en fonction des revenus et bénéfices réalisés. Cela pourrait se discuter entre les entreprises et les territoires : les collectivités territoriales seraient ainsi amenées à prendre un risque avec les entreprises qu'elles accueillent. En période de disette, tout le monde se serre la ceinture et quand ça va mieux, on partage les gains.

Peut-on croire à un rebond de l'industrie en France ?

Nous aurons un rebond de l'industrie uniquement à condition d'arrêter d'avoir un discours de société post-industrielle. Tant qu'on parle de l'industrie en termes de pollution, de conditions de travail exécrables, cela ne marchera pas. Il faut revenir à un discours onirique sur l'industrie, car cela représente de l'emploi et c'est indispensable pour l'économie de la moitié de nos territoires ! Il faut sortir de cette ornière post-industrielle et se réindustrialiser pour assurer notre souveraineté économique et technologique mais aussi pour la cohésion des territoires. L'opposition des métropoles avec les autres territoires ne se résoudra pas sans outils de production pour ces territoires.