Nouveau droit à la différenciation territoriale : une avancée concrète, même si "tout ne sera pas possible"
La délégation de l'Assemblée nationale aux collectivités territoriales et à la décentralisation l'affirme dans un rapport : le concept de différenciation territoriale, qui figure dans le projet de loi de révision constitutionnelle, pourrait vraiment permettre de mettre de l'huile dans les rouages de l'organisation territoriale. "Tout ne sera pas possible", prévient-elle toutefois après avoir analysé les projets préparés par des collectivités.
Inscrite à l'article 15 du projet de loi de révision constitutionnelle dont l'examen parlementaire a été interrompu en raison de la crise des gilets jaunes, la différenciation territoriale "permettra un nouvel approfondissement de la décentralisation dans notre pays", assurent deux députés de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale.
"L’inscription dans la Constitution d’un droit à la différenciation ouvrira bel et bien des possibilités nouvelles et réelles d’intervention différenciée pour les collectivités qui voudront s’en saisir afin d’en faire l’instrument de leurs politiques innovantes", estiment Jean-René Cazeneuve (LREM) et Arnaud Viala (LR), les deux rapporteurs du groupe de travail de la délégation qui, depuis le mois de novembre, a planché sur le sujet.
Le projet de loi constitutionnelle tend à "assouplir les conditions dans lesquelles des différenciations sont envisageables", expliquent-ils, fournissant à l'appui de leur démonstration de très nombreux exemples de projets proposés par des collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale. Des cas concrets qui ont été portés à la connaissance du groupe de travail, notamment via une consultation en ligne que celle-ci a ouverte fin 2018.
Cartes d'identité, eau, assainissement… un peu de souplesse sera bienvenue
Sur les 34 projets directement en lien avec la différenciation et que le groupe de travail a examinés et présentés en détail - sans toutefois en dévoiler les auteurs -, 14 "ne paraissent pas présenter de difficulté juridique sérieuse ou présentent des difficultés qui peuvent être résolues par un encadrement approprié, et n’appellent en première analyse pas d’objection particulière en opportunité".
Il en va ainsi d'une proposition visant à rendre aux petites communes la possibilité qu'elles ont perdue au premier semestre 2017 de délivrer les cartes nationales d'identité. Ou encore de la volonté d'un département de "disposer d’une compétence directe d’intervention en matière de protection et de mise en valeur de l’environnement." Autre projet envisageable : la délégation par l'État à un département du "co-pilotage" et de la "gestion" des crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et des contrats de ruralité. Dans le domaine de l'emploi, l'extension du champ de la délégation de compétence que les régions peuvent recevoir de l'État en application de la loi Notr du 7 août 2015 – qui se limite aujourd'hui à "la mission de veiller à la complémentarité et de coordonner l’action des différents intervenants" - s'avère également réalisable.
L'affaire n'est, en revanche, pas totalement gagnée pour douze des projets étudiés par le groupe de travail. "Tout en ne paraissant pas présenter de difficulté juridique sérieuse ou insoluble, [ceux-ci] peuvent néanmoins soulever des interrogations en opportunité." Les députés ne retoquent pas le souhait exprimé par des communes de continuer à exercer leurs compétences en matière d'eau et d'assainissement, bien que le Parlement ait tranché en faveur d'un transfert à terme vers l'intercommunalité. Après un examen "au cas par cas", "un maintien ou un retour à un exercice communal de ces compétences" n'est pas impossible, affirment les rapporteurs. Ils donnent aussi leur feu vert à des transferts de compétences de l'État (routes, politiques de l'agence de l'eau) et des délégations (gestion des crédits de la politique de la ville, coopération transfrontalière) vers une métropole. Attention à ne pas accroître la "complexité administrative", préviennent-ils toutefois, en conseillant de définir précisément "les responsabilités respectives des différentes collectivités et de l'État."
Pré carré de l'État
Enfin, huit projets sont recalés. Ils "semblent soulever une difficulté juridique sérieuse susceptible de s’opposer à leur réalisation ou, en tout cas, complexe à résoudre", justifient les députés. Il n'est ainsi pas envisageable de confier aux collectivités territoriales la possibilité de "négocier avec des États voisins des accords internationaux", une compétence qui relève aujourd'hui de la responsabilité du président de la République. Les députés proscrivent par ailleurs un élargissement des cas de non-versement du revenu de solidarité active (RSA), qui consisterait à exclure les personnes dépassant un certain seuil de capitaux.
Les rapporteurs en déduisent que "le droit à la différenciation n’autorisera pas 'tout et n’importe quoi' comme certains défenseurs de l’unité républicaine la plus stricte semblent le craindre." Un constat qui les amène à souhaiter " vivement" que la révision constitutionnelle puisse, au moins sur ce point précis, aboutir.