Normes : le nouveau président du CNEN livre ses recettes de "sobriété"

Meilleure association des parlementaires à l'examen des projets de textes concernant les collectivités, réalisation d'études "ex-post", examen du "stock" des normes, développement du "droit souple", adaptation locale par un dialogue entre les élus locaux et le préfet... Gilles Carrez, nouveau président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), a présenté le 17 janvier ses premières réflexions concernant la lutte contre l'inflation normative. Un mal qui, selon lui, impacte toujours sérieusement les finances des collectivités. 

"Que tous nous légiférions et réglementions avec sobriété !" C'est le vœu que Gilles Carrez, le nouveau président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), a formulé le 17 janvier à l'Assemblée nationale devant les députés de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

"Dans cette maison [le Palais Bourbon], on est au cœur du sujet", a déclaré l'ancien président de la commission des finances, venu évoquer ses premières réflexions sur sa mission à la tête de l'organisme consultatif chargé d'examiner les textes ayant une incidence financière pour les collectivités territoriales. Gilles Carrez a en effet pris le mois dernier le relais d'Alain Lambert, qui présidait le CNEN depuis sa création en 2013.

"Des projets de décret curieux"

"Les parlementaires ont un rôle absolument essentiel" dans la lutte contre les excès normatifs, a-t-il lancé aux membres de la délégation. "Il faut être extraordinairement rigoureux sur la question suivante : a-t-on besoin de légiférer ? L'application du droit existant ne suffit-elle pas ?", a souligné l'ancien député du Val-de-Marne. Lequel a remarqué que les lois "empiètent régulièrement sur le domaine réglementaire", alors qu'elles devraient se contenter de fixer "les grandes orientations". La loi Climat d'août 2021 qui, par exemple, crée l'obligation pour les nouveaux parcs de stationnement couverts d'intégrer "soit un procédé de production d'énergies renouvelables, soit un système de végétalisation basé sur un mode cultural ne recourant à l'eau potable qu'en complément des eaux de récupération (…), soit tout autre dispositif aboutissant au même résultat", en est la parfaite illustration, selon lui.

"On a encore des projets de décrets curieux" qui, d'ailleurs, ne sont pas toujours pris en application de la loi, a relevé aussi Gilles Carrez. C'est le cas d'un projet de texte "mettant en œuvre certaines mesures du plan vélo", que le CNEN a examiné le mois dernier. Le projet de décret imposait de "construire 30.000 sas vélos sur les 30.000 carrefours à feux tricolores que compte notre pays, où qu'ils soient : en rase campagne, sur une route nationale, dans Paris…". Le président du CNEN a demandé le report de l'examen du projet de décret, qui ne lui a pas été de nouveau soumis à ce jour.

Partenariat avec l'Assemblée nationale

Pour mieux contrôler le flux des normes, Gilles Carrez a proposé que les rapporteurs des textes de loi participent aux réunions du CNEN qui ont pour objet les décrets d'application de ces lois. Les parlementaires pourraient alors dire si c'est "la bonne application de la loi". Les "études ex-post" permettant de faire le point sur la mise en œuvre des lois devraient être davantage développées, a aussi estimé le président du CNEN. Qui a, de plus, mis en avant la charte signée en mars dernier par le Sénat, le gouvernement et le CNEN (voir notre article), pour notamment "mieux contrôler les textes territoriaux" et "mieux légiférer". Au passage, on notera que les députés jugent cette charte utile : la délégation aux collectivités territoriales va s'en inspirer pour nouer une coopération avec le CNEN, a révélé son président, David Valence.

Gilles Carrez a par ailleurs souhaité que soit engagé "un peu" l'examen du "stock" des normes, en commençant par celles qui concernent "l'aménagement, les transports et le logement". "Plus d'un tiers des textes réglementaires concernent ce secteur", qui a été marqué ces dernières années par des "monuments de complexité en termes d'application", a indiqué Gilles Carrez, citant les cas des lois Alur de 2014 et Climat de 2021.

Dialogue entre le préfet et les exécutifs locaux

L'ancien maire du Perreux-sur-Marne a aussi avancé des alternatives à la production normative, comme l'expérimentation et le "droit souple", qui se traduit par exemple par la création de "guides de bonnes pratiques". Il a dit également croire "à un véritable dialogue entre le préfet et les exécutifs locaux pour permettre d'adapter la norme". Mais "il faut que les deux parties puissent prendre des risques et qu'elles ne se fassent pas taper sur les doigts de façon parfois violente par le juge", a-t-il souligné. Par ailleurs, cela "suppose une organisation de l'État totalement différente, avec des préfets qui aient un véritable pouvoir d'adaptation, de dérogation et une véritable autorité sur les services de l'État. On en est loin aujourd'hui", a-t-il poursuivi. Par exemple, pour que le marché de Rungis se voie appliquer une exception à la loi limitant l'éclairage la nuit, la préfète du Val-de-Marne a demandé une autorisation au préfet de région, qui s'est lui-même tourné vers le ministère de l'Intérieur. Lequel, un mois après, a produit une note de six ou sept pages. "Voilà comment fonctionne notre pays", s'est indigné Gilles Carrez.

Le président du CNEN espère à présent avoir l'oreille d'Éric Woerth, député chargé par l'exécutif d'une mission sur la décentralisation. Il rencontrera la semaine prochaine son ancien collègue de l'UMP (aujourd'hui LR).