Economie numérique - Neutralité des réseaux : vers un risque de double peine pour les territoires les plus isolés ?
La fracture numérique territoriale n'était pas au cœur du sujet du colloque sur la neutralité des réseaux, organisé, ce 13 mars, par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Elle s'y est pourtant invitée par la voix des parlementaires présents, souvent eux-mêmes élus locaux, telle Laure de la Raudière, députée d'Eure-et-Loir et maire-adjointe de Saint-Denis-des-Puits. Car la neutralité du net n'est pas seulement une problématique technique de gestion de trafic ou de priorité donnée à certains contenus, elle est aussi question de régulation, et en ce sens sujet politique.
"La gestion des réseaux par les opérateurs, que ce soit pour éviter la congestion ou pour limiter les risques en cas d'attaque malveillante sur une infrastructure de télécommunication, existe déjà. [...] L'objectif du travail remarquable initié par l'Arcep, tout comme de la réflexion lancée par le gouvernement dans le cadre de la transposition des nouvelles règles européennes, est de distinguer entre les bonnes et les mauvaises pratiques, et éventuellement de les encadrer. Il est aussi d'assurer la plus grande transparence sur ces pratiques, vis-à-vis de l'utilisateur final comme vis-à-vis des spécialistes", a ainsi noté la secrétaire d'Etat à l'Economie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, après avoir lancé une consultation publique sur ce sujet le 9 mars dernier. A la veille d'un conseil européen informel qui se saisira également de cette question et à deux mois de la remise du rapport du gouvernement au Parlement sur la neutralité du net, cette question commence à susciter l'intérêt au-delà de la sphère des télécommunications. Elle touche effectivement à l'internet, ce "bien collectif stratégique", comme l'a qualifié le président de l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani. Elle renouvelle "le pacte social collectif", selon la formulation d'Isabelle Falque-Pierrotin, présidente du Forum des droits de l'internet et vice-présidente de la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés). Elle impose "un choix de société, avec des principes et des valeurs, à traduire dans la régulation de notre bien informationnel commun", a souligné le député de la Nièvre, Christian Paul, président de la commission TIC de l'Association des régions de France. "La 'net neutralité' est la pierre angulaire du fonctionnement de l'internet, elle n'est pas négociable", a insisté Bruno Retailleau, sénateur de Vendée et secrétaire de la mission sur l'organisation des collectivités. "L'internet à deux vitesses existe déjà sur les territoires, à cause du manque d'infrastructures. Il serait inacceptable que s'y superpose une nouvelle inégalité : un internet Premium, payant pour accélérer certains contenus ou services, et un internet universel ou bas de gamme", a conclu le sénateur.
Sans engagement fort des élus locaux pour réaffirmer l'absolue nécessité d'un même "internet pour tous", sans inscription dans les législations françaises et européennes de cette notion de "neutralité des réseaux" et sans coordination des différents organes de régulation pour faire respecter ces valeurs, le web d'après-demain pourrait bien être encore plus sombre pour les territoires fracturés numériques. Non seulement ceux-ci ne disposeront peut-être pas des réseaux fixes et mobiles qui supporteront les débits nécessaires aux nouveaux usages mais en plus, les priorités des services et contenus disponibles sur cet internet Premium risqueront bien d'être définies par des acteurs privés : opérateurs, fournisseurs de contenus ou de services. Une sorte de double peine !
Luc Derriano / EVS