Modifier une offre pour mieux l’analyser : le Conseil d’Etat dit non !
Dans un arrêt du 20 décembre 2019, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur l’examen des offres, et plus précisément sur les pouvoirs de l’acheteur durant cette phase. Le pouvoir adjudicateur peut-il modifier l’offre d’un candidat pour faciliter son examen ? Le Conseil d’Etat a répondu par la négative.
En l’espèce, la communauté de communes de Sélestat avait lancé une procédure en vue de l’attribution d’une délégation de service public (DSP) pour la gestion et l’exploitation des services de la petite enfance sur son territoire. Le contrat a été attribué à l’association La Farandole mais l’association de gestion des équipements sociaux (AGES), candidate évincée, a saisi la justice. Elle a effectivement demandé au tribunal administratif (TA) de Strasbourg l’annulation de la DSP ainsi qu’une indemnisation au titre de son manque à gagner. Le TA a fait droit à cette demande, résiliant la DSP et condamnant la communauté de communes à verser 95.000 euros à l’AGES. La cour administrative d’appel (CAA) de Nancy a confirmé ce jugement, portant l’indemnisation à 105.000 euros. La communauté de communes de Sélestat a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Pour établir leur prix, les candidats devaient tenir compte d’une aide versée aux gestionnaires de crèches par la caisse d’allocations familiales, la prestation de service unique (PSU). Les documents de la consultation ne précisaient pas le taux de PSU qui devait servir de référence aux candidats. Le candidat évincé comme la société retenue avaient donc intégré dans leur proposition financière des montants différents pour la PSU, déterminés en fonction de l’évolution escomptée de cette aide pendant la durée de la DSP (huit ans).
Dans cette affaire, l’AGES reprochait à la collectivité de ne pas avoir correctement examiné son offre. En effet, afin de comparer les offres reçues, la communauté de communes avait substitué le taux de PSU retenu par l’AGES à celui choisi par l’association La Farandole. Le Conseil d’Etat a jugé que le recalcul de l’offre de l’AGES devait être considéré comme une modification substantielle "ayant eu pour effet de faire regarder l'offre de l'association La Farandole, à volume horaire équivalent, comme plus favorable que celle de l'AGES".
Estimant que l’égalité de traitement entre les candidats avait été rompue, les juges de cassation ont confirmé l’arrêt de la CAA et rejeté le pourvoi de la collectivité.
Cette jurisprudence permet de rappeler aux acheteurs qu’ils doivent être vigilants dans la rédaction des documents de la consultation. Une telle problématique aurait probablement pu être évitée si la collectivité avait davantage anticipé la phase d’analyse des offres en fixant un taux de PSU de référence, permettant ainsi une comparaison des offres plus facile.
Référence : CE, 20 décembre 2019, n°419993