Education - Mission sénatoriale sur le système scolaire : donner davantage de souplesse aux territoires
"C'est le ministère des circulaires et des bulletins officiels. Son budget, une boîte noire compréhensible des seuls initiés, une comptabilité en heures/élève qui gagnerait à être substituée à une comptabilité en euros." C'est ainsi que Jean-Claude Carle, sénateur UMP de la Haute-Savoie et rapporteur de la mission commune d'information sur le système scolaire, discutée ce 22 juin au Sénat, décrit le ministère de l'Education nationale. Un ministère qui selon lui a les moyens financiers (60 milliards, première ligne budgétaire du pays), humains (entre 1990 et 2004, le nombre d'enseignants a augmenté de 14,8% pendant que la population scolaire diminuait de 4,8%), mais qui ne sait pas les répartir. "C'est un ministère qui a du mal à prioriser, qui agit sans concertation et la situation critique du système scolaire montre que cette configuration actuelle, qui est pyramidale, n'est plus adaptée", affirme le sénateur, qui préconise une nouvelle organisation, un pilotage à trois niveaux : "L'équité du système revient à l'Etat, la cohérence à l'échelon régional et l'action au bassin de formation, avec la mise en réseau des établissements."
Soulignant les points positifs du système éducatif français - "100% d'une classe d'âge scolarisée jusqu'à 16 ans, 65% qui parviennent au baccalauréat, les enseignants impliqués et motivés..." -, le sénateur dresse, chiffres à l'appui (en s'appuyant entre autres sur l'enquête Pisa de l'OCDE de 2009), une situation devenue pour le moins critique au fil des décennies, fautes de vraies priorités : "La part des élèves en difficulté depuis 2009 s'accroît, le niveau social influence plus que jamais le niveau scolaire, 140.000 jeunes sortent du système sans aucune qualification, moins de 50% des étudiants à la fac poursuivent en seconde année..." La mission inscrit dans son rapport quinze propositions pour tenter d'apporter des pistes salutaires à l'effondrement d'un système qui fut longtemps plébiscité.
Quatre axes de propositions
Le premier axe de propositions concerne le ministère de l'Education nationale et le "rôle contemplatif inacceptable", selon Jean-Claude Carle, que ce ministère donne au Parlement en ne lui "permettant pas de modifier les crédits qui sont attribués à un programme". "On ne peut modifier les crédits à l'intérieur d'un poste sauf par circulaire", déplore le sénateur. "Aujourd'hui, le budget de l'Education nationale, premier budget de la Nation, n'est discuté que trois heures au Parlement (…). Il faut donc refondre l'architecture budgétaire afin de lui permettre d'identifier les priorités et d'allouer les moyens en conséquence de ces dernières", insiste Jean-Claude Carle. Et l'ensemble de la mission de réclamer un débat d'orientation budgétaire entre le ministre de l'Education et le Parlement, "au plus tard six mois avant la rentrée scolaire". Mais également de limiter les expérimentations ministérielles en laissant davantage de liberté aux établissements pour que chacun, en fonction de ses spécificités de territoire ou de niveaux scolaires, puisse établir ces propres expérimentations.
Le second axe est notamment celui d'une politique de l'Etat qui agirait simultanément sur l'école, la famille et l'environnement en tenant compte de la géographie des territoires. "Nous souhaitons des préfets éducatifs, qui ne prendraient pas les prérogatives des recteurs bien sûr mais qui auraient une vision transversale de cette politique. Ils assureraient une circulation réciproque d'informations entre l'Etat et les collectivités territoriales au travers d'un contrat de stratégie éducative passé entre l'Etat et l'autorité académique et l'ensemble des collectivités de la région."
La mission souhaite également la création de réseaux du socle commun qui réuniraient un collège et les écoles de son bassin, piloté par un comité directeur associant le principal du collège-centre et les directeurs des écoles du secteur. "Cela passe par aussi par des mises en réseaux et les regroupements d'écoles en milieu rural par exemple", préconise Jean-Claude Carle. "Parce que nous en avions marre d'attendre, et que nous voulions donner aux enfants des écoles rurales les mêmes chances que les autres, nous, les élus, avons décidé avec des partenaires comme l'Etat et les collectivités de mettre en oeuvre trois écoles à la fois environnementales et numériques", témoigne Daniel Dubois, président de la communauté de communes du Haut-Clocher et membre de la mission. "Sept ans pour aboutir, 10 millions d'euros. C'est ce genre d'initiative qui devrait être évalué", affirme-t-il. Soutenu par Jean-Claude Carle, qui confirme : "Ce genre de regroupement pédagogique concerté est un succès. Quand ce sont des initiatives imposées comme aujourd'hui par le ministère de l'Education, cela ne fonctionne pas."
Le troisième axe concerne "la responsabilité collective des équipes des établissements dans la réussite des élèves". Jean-Claude Carle indique qu'il faut "donner plus de corps à la contractualisation entre l'établissement scolaire et le rectorat" et qu'une "partie plus importante de la dotation budgétaire de l'établissement soit accordée par le rectorat", illustre-t-il. "Nous sommes dans une logique de moyens et non de résultats", affirme Jean-Claude Carle, "mais le but est de laisser le moins d'enfants possible sur le bord de la route !". "Il faut aussi confier au chef d'établissement l'évaluation pédagogique individuelle des enseignants".
Le dernier axe concerne ces derniers en poste au sein de zones prioritaires et le choix de la mission d'interdire l'affectation de fonctionnaires stagiaires ou néotitulaires dans ces établissements. "Il faut revaloriser le rôle des enseignants dans ces zones et revenir à une sectorisation plus stricte, dans ces zones spécifiques." Et Jean-Claude Carle d'admettre que la suppression de la carte scolaire n'a fait qu'accroître "un phénomène de ghettoïsation" déjà bien amorcé.
"On arrive à l'os"
Ces propositions n'ont pas été votées mardi après-midi à l'unanimité des membres de la mission. "Nous avons l'impression de vivre dans une situation surréaliste", affirme Yannick Bodin, sénateur socialiste de la Seine-et-Marne, qui reconnaît cependant adhérer à certaines préconisations (réseau socle commun, éducation prioritaire, évaluation) mais réfute le préfet éducatif ("Encore une administration en France ?") tout comme la redéfinition des métiers et statuts des intervenants souhaitée par Jean-Claude Carle. "La politique du gouvernement va à l'encontre de ces dispositions. 16.000 postes déjà de supprimés pour 2011, on supprime les RAZ, on recrute 17.000 profs sous formés, mal payés, on arrive à l'os tout simplement." "Ce qui est souhaité dans ce rapport n'a aucune chance d'être entendu. Cela va coûter de l'argent, c'est incompatible avec la politique du gouvernement en place. On ne veut pas de situation schizophrénique. Revaloriser les profs de ZEP, cela signifie des revalorisations salariales, des primes, des formations. Qui va payer ? C'est pourquoi nous ne pouvons être en accord avec ce rapport", a conclu Yannick Bodin.
Reste à voir si certains candidats à la future échéance électorale se laisseront tenter par les préconisations sénatoriales. Certainement déçu du non-vote de certains membres de la mission, Jean-Claude Carle conclut par un sourire : "Si au moins cela permettait de soulever des pistes pour les prochains programmes des futurs candidats, ce serait déjà ça."