Mission sénatoriale sur la démocratie : les associations d'élus auditionnées
Une mission d'information sénatoriale cherche à comprendre comment redonner du souffle à la démocratie et de la légitimité à la décision publique. Elle a auditionné le 22 février 2017 les représentants de plusieurs associations d'élus, ainsi que le président de la Commission nationale du débat public.
"Pourquoi les choses bloquent dans la société française, pourquoi on n'arrive plus à réaliser de grands équipements, pourquoi l'appropriation des réformes en matière sociale ne fonctionne pas. Voilà notre thème." C'est en ces termes que le sénateur Philippe Bonnecarrère (UDI, Tarn) présente la mission d'information dont il est le rapporteur sur le thème "Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017". Dans une vidéo publiée sur le site du Sénat, le président de la mission, Henri Cabanel (PS, Hérault) et Philippe Bonnecarrère invitent tout citoyen intéressé par le sujet à adresser sa contribution avant le 31 mars 2017. Les conclusions de ce travail devraient être rendues en mai prochain.
Depuis le mois de décembre 2016, la mission a procédé à une douzaine d'auditions de personnalités diverses - des universitaires tels que Marcel Gauchet et Loïc Blondiaux, mais aussi Laure de la Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique ou encore Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au Numérique. Le 22 février 2017, les représentants des principales associations d'élus, ainsi que le président de la Commission nationale du débat public (CNDP) et les représentants des commissaires enquêteurs ont à leur tour été entendus.
Recréer de la proximité pour entendre les habitants dans leur diversité
L'occasion, d'abord, de mettre l'accent sur une contradiction : l'aspiration d'une majorité de citoyens à participer, à donner leur avis voire à s'impliquer davantage dans l'élaboration des projets et des politiques publiques, contrasterait avec le niveau effectif de participation, généralement bas lorsque les collectivités sollicitent les habitants. Les démarches de participation, chronophages voire "épuisantes", "ont parfois déçu en raison souvent de la méthode", selon Alexandrine Leclerc, vice-présidente du conseil départemental du Loiret représentant l’Assemblée des départements de France (ADF). Des modalités de participation pas toujours connues ou complexes, un manque de confiance des citoyens dans leur capacité à être entendus et, in fine, une difficulté pour les collectivités à entendre la voix de leurs habitants. A part celles des "Nimby" ("Not in my backyard", ceux qui sont directement concernées par un projet) et de la "minorité agissante", selon Alexandre Touzet, maire de Saint-Yon, représentant l’Association des maires de France (AMF).
Peu satisfaite de cette situation, la région Centre-Val de Loire, via notamment son vice-président Charles Fournier, va à la rencontre des habitants pour réfléchir avec eux à la manière de faire vivre la "démocratie permanente". A l'issue de ces "tournées citoyennes" dans les territoires, "une matière brute sera transmise à des panels citoyens", chargés de formuler des propositions permettant au conseil régional d'adopter une "délibération pour le progrès démocratique". Pour Charles Fournier, la démarche, bien accueillie par les habitants, confirme que ces derniers sont en attente de plus de "proximité" avec leurs élus. La clarté du "contrat de participation" serait en outre "essentielle" pour recréer de la confiance dans le temps.
Les conseils de développement : une solution partielle au déficit démocratique à l'échelon intercommunal ?
Une idée que partage Loïc Cauret, président de la communauté de communes Lamballe Terre et Mer et président délégué de l'Assemblée des communautés de France (ADCF), qui alerte sur le danger des promesses non tenues. La participation peut alors conduire à "plus de mécontentement". L'élu préconise de bien identifier la "cible" de la démarche conduite et de ne pas se passer des "corps intermédiaires", en particulier des associations.
Dans le cas intercommunal, le déficit démocratique est consubstantiel du mode de désignation des conseillers. Le "fléchage" sur les listes aux élections municipales est certes un progrès, mais Loïc Cauret attire l'attention sur le fait qu'il n'y a pas de "programme" communautaire au moment des élections, malgré les budgets en jeu. Désormais obligatoires dans les communautés de plus de 30.000 habitants, les conseils de développement offrent toutefois l'occasion d'expérimenter de nouvelles modalités de dialogue citoyen.
Rechercher l'avis construit de "citoyens éclairés"
Autre préoccupation, partagée par l'ensemble des élus quel que soit le niveau de collectivité : la difficulté à voir et entendre les "invisibles", ceux qui ne participent jamais à aucun temps d'échange, même dans le cadre de l'école de leurs enfants par exemple. Pour recueillir des voix diverses, la CNDP ne se contente donc plus désormais des "grandes réunions publiques" n'attirant souvent qu'un certain profil - homme, plutôt âgé et plutôt aisé -, mais propose des "ateliers participatifs avec des groupes plus restreints", des "débats mobiles" dans les gares ou encore les universités, des sites internet interactifs ou encore des "serious games"…
L'important étant, pour Christian Leyrit, président de la CNDP, de rendre les modalités de participation attractives, mais surtout de convaincre chacun de l'utilité de la participation. "Ce qui est important, c'est d'avoir l'avis de citoyens éclairés", défend-il. Les "conférences de citoyens", qui consistent à informer, former et laisser débattre pendant plusieurs journées un petit groupe de personnes, fourniraient ainsi un éclairage particulièrement utile sur des sujets complexes.
Revenir à ce qui fonde (ou devrait fonder) la décision publique : le diagnostic
La recherche de consensus est cependant une illusion, pour le président de la CNDP ; puisqu'il y a forcément "des gagnants et des perdants de la décision publique", on peut en revanche envisager une "compensation" pour les perdants… Pour les élus locaux, il importe surtout de prévenir les conflits qui peuvent bloquer certains projets pendant des années. Lorsque le "diagnostic est partagé, la décision est mieux comprise", estime Françoise Gatel, sénatrice UDI d'Ille-et-Vilaine.
L'absence de diagnostic clair et, a fortiori, de diagnostic partagé est au cœur de la crise de légitimité démocratique actuelle, avait estimé le philosophe et historien Marcel Gauchet lors de son audition, le 19 janvier, par la mission sénatoriale. La fonction des élus est "d'établir un diagnostic des problèmes, ce qui est tout aussi important que trancher et prendre des décisions sur la base de ce diagnostic" avait-il rappelé. Avant d'ajouter : "La vie politique est peuplée de solutions à des problèmes qui ne sont ni posés ni compris."