Réforme des collectivités - Métropoles et fait urbain : les agglomérations dans l'expectative...
"Métropoles et pouvoir d'agglomération : nouvelle ambition ou rendez-vous manqué ?" Une question que beaucoup se posent déjà. Et même du côté du gouvernement apparemment… "Moi, j'avais un rêve. Qu'on arrive à faire quelques vraies métropoles dans ce pays. On n'y est pas arrivé…", regrette ainsi déjà Michel Mercier, le ministre en charge de l'aménagement du territoire, alors même qu'il s'apprête à défendre à partir de mardi devant les députés le projet de loi de réforme des collectivités. "Le texte permet de faire évoluer les choses sur la reconnaissance du fait urbain et de la métropole, mais ce n'est qu'une première marche. Les marches suivantes ? Il ne faudrait pas que cela traîne trop…", ajoute-t-il. "On n'aura pas fait les métropoles-départements dont on aurait pu rêver", reconnaît de même Dominique Perben, le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée.
Tous deux se sont exprimés en ces termes le 20 mai à Paris à l'occasion de la septième Journée des 164 présidents d'agglomération membres de l'Assemblée des communautés de France (ADCF). Ce "Club des agglos" avait en effet fait de cette question l'intitulé de sa rencontre en grande partie consacrée, forcément, au projet de réforme des collectivités. Des échanges qui ont permis de mesurer combien la première lecture du Sénat avait déçu ces présidents d'agglomération, combien les travaux de la commission des lois de l'Assemblée leurs semblent aller dans le bon sens, combien les élus espèrent encore améliorer les choses au fil de la navette parlementaire… mais combien, aussi, ils estiment que le volet intercommunal de la réforme aurait pu être plus ambitieux.
Certains l'expriment de façon plus radicale. "De toute façon, la réforme sera en décalage complet avec les vrais enjeux et défis des agglomérations", a lancé Jo Spiegel, secrétaire national de l'ADCF chargé du suivi de la décentralisation et président délégué de la communauté d'agglomération de la région de Mulhouse. "Oui, le projet de loi est un rendez-vous manqué", estime de même Etienne Butzbach, président de la communauté d'agglomération belfortaine, qui aurait souhaité une réforme permettant de reconnaître et d'encourager la dynamique des "40 à 45 pôles urbains qui, aujourd'hui, ont des fonctions métropolitaines supérieures". Invité de l'une des tables-rondes, Michel Destot, le président de l'Association des maires de grandes villes, regrette lui aussi déjà que 'l'on ne se soit pas saisi de cette chance pour réformer en profondeur" : "Avec Jean-Pierre Raffarin, on avait loupé la partie urbaine. Aujourd'hui, cela devait être le tour du fait urbain. Or clairement, on n'y va pas", poursuit le maire de Grenoble qui, on le sait, rêve toujours de faire entrer son agglomération et ses 419.000 habitants dans le club très fermé des futures métropoles, dont le seuil de création reste pour l'heure fixé à 450.000 habitants… "Vous verrez, il y aura très peu de métropoles créées", prévient-il d'ailleurs. Alors que le seuil retenu permettra à neuf agglomérations d'accéder au statut de métropole, nombreux sont ceux qui, comme lui, prévoient qu'on en comptera en réalité beaucoup moins… "Il faudra les convaincre", concède Michel Mercier, qui ne semble certain que pour l'une d'entre elles, celle de Nice…
"Les pôles métropolitains, c'est du pipeau !"
Pourtant, les dispositions du projet de loi relatives aux métropoles ont pratiquement été les plus commentées par les présidents d'agglomération. Sans doute parce que, comme l'a souligné Daniel Delaveau, le président de l'ADCF, ils espèrent que ces métropoles seront une préfiguration des agglomérations de demain. "Car c'est pour toutes nos agglomérations que nous avons besoin de plus de compétences et de plus d'intégration", explique le président de Rennes Métropole. Mais peut-être en parle-t-on tant, aussi, parce qu'en réalité, "on n'a jamais discuté à fond de ce qu'on entendait par métropole", a relevé la sénatrice Jacqueline Gourault, présidente de la commission intercommunalité de l'Association des maires de France. "La métropole… De quoi parle-t-on ? Il n'est pas sûr que ce soit bien clair…", estime de même le député Michel Piron, président délégué de l'ADCF. Et ce, même si les travaux de la commission des lois de l'Assemblée ont permis de redonner un vrai contenu à la métropole, notamment en se repenchant sur la question de la DGF et en réintroduisant une dose d'intégration fiscale par le transfert à la métropole de la taxe foncière (lire ci-dessous le récapitulatif des principaux amendements adoptés en commission sur les métropoles et l'intercommunalité).
Certes, il y aura aussi dans la loi les fameux "pôles métropolitains". Mais personne ne semble accorder une très grande importance à ce nouveau type de syndicat mixte…"Les pôles métropolitains, c'est du pipeau !", a même lancé Dominique Perben, en se justifiant ensuite : "C'est que les pôles ,e remplacent pas les métropoles, ce n'est pas du tout la même chose. C'est un nouveau nom donné aux réseaux de villes." Même Michel Mercier le dit : "Il faut reconnaître que même sans cette loi, les pôles existent…" Daniel Delaveau a en revanche mis en garde ses homologues sur le "risque de détournement" des dispositions du texte concernant ces pôles métropolitains. "Il ne faudrait pas que la formule du pôle soit une façon de repousser le débat sur l'extension du périmètre d'une agglomération."
Au-delà des regrets et questionnements toutefois, les présidents d'agglomération ont bien retrouvé une dose d'optimisme après le passage du projet de loi en commission des lois et s'apprêtent évidemment à surveiller de près les quelque cinquante heures de débats qui démarrent ce mardi 25 mai dans l'hémicycle. Un optimisme toutefois largement refroidi par des dispositions émanant d'autres chantiers de réforme. A commencer par le "contresens complet" que représente selon eux le recul parlementaire concernant les PLU intercommunaux dans le cadre du Grenelle 2… ou les toutes récentes décisions en matière de finances locales.
Claire Mallet
Intercommunalité et métropoles : les principales modifications adoptées par les députés de la commission des lois
Métropoles
A l'initiative du gouvernement, les métropoles voient leurs compétences se muscler, en particulier en matière économique. Par ailleurs, cette nouvelle catégorie d'EPCI - leur seuil de création reste inchangé, à 450.000 habitants - exercerait de nombreuses compétences actuellement assumées par les départements. L'amendement du gouvernement évoque : l'action sociale en faveur des personnes âgées, l'aide sociale à l'enfance, ainsi que les actions en matière de tourisme, de culture et de sport. Enfin, la métropole serait associée aux différents schémas et documents de planification susceptibles de concerner son territoire.
Un amendement du rapporteur du projet de loi transfère aux métropoles la taxe foncière sur les propriétés bâties des communes membres. Commentaire de Dominique Perben : "Il s'agit d'une proposition intermédiaire entre le texte initial du gouvernement (qui transférait à la métropole la totalité de la fiscalité directe communale) et le texte adopté par le Sénat (qui a aligné le régime fiscal des métropoles sur celui des communautés urbaines)."
Communes nouvelles
Les très exigeantes conditions de création des communes nouvelles posées par le Sénat sont assouplies, en particulier en ce qui concerne les modalités de consultation des électeurs des communes concernées. La commission des lois a par ailleurs rétabli l'incitation financière qu'avaient supprimé les sénateurs. La commune nouvelle bénéficierait d'une "dotation particulière" égale à 5% de sa dotation forfaitaire.
Nombre des vice-présidents d'intercommunalités
La commission des lois de l'Assemblée a choisi de revenir au texte du gouvernement. Les vice-présidents ne pourront donc pas représenter plus de 20% de l'effectif du conseil communautaire et seront quinze au plus. Le Sénat avait supprimé le caractère cumulatif des deux critères. Par dérogation à la règle des 20%, les petites communautés pourront compter au moins quatre vice-présidents.
Achèvement et rationalisation de la carte intercommunale
Le chantier devra être bouclé d'ici au 30 juin 2013, soit six mois avant la date butoir fixée par le Sénat.
Les EPCI devront regrouper au moins 5.000 habitants, comme le prévoyait au départ le texte (le Sénat avait fixé un minimum de 3.000 habitants). Des dérogations seront possibles dans les zones de montagne.
Lors de la création d'un EPCI à fiscalité propre, ou lors de la fusion d'EPCI à fiscalité propre existants, ou encore lorsqu'est modifié le périmètre de syndicats de communes ou de syndicats mixtes, la commune dont la population est "au moins égale au tiers de la population totale des communes concernées" dispose d'un droit de veto au cours de l'année 2012. Les sénateurs accordaient automatiquement ce droit de veto à la commune dont la "population est la plus nombreuse".
Création de nouvelles communautés
Le projet de création d'un EPCI à fiscalité propre nécessite l'accord du conseil municipal de la commune dont la population est la plus nombreuse, lorsque celle-ci représente plus du quart de la population totale concernée. Le Sénat avait réservé ce droit de veto aux conseils municipaux des communes dont la population est "supérieure au tiers de la population concernée" et aux cas de création d'une communauté d'agglomération, de communauté urbaine ou de métropole (les communautés de communes n'étaient pas visées).
Définition de l'intérêt communautaire
Comme c'est le cas déjà pour les communautés d'agglomération et les communautés urbaines, les communautés de communes définiront l'intérêt communautaire à la place des communes. Les décisions prises en la matière le seront à la majorité simple, pour tous les types de communautés (alors que c'est la majorité qualifiée qui prévaut actuellement pour les communautés d'agglomération et urbaines).
Thomas Beurey / Projets publics
Quelques questions à Daniel Delaveau, président de l'ADCF
Localtis - Il a été beaucoup question ce 20 mai, durant la septième Journée des présidents d'agglomération, des métropoles, mais un peu moins des autres volets intercommunaux du projet de réforme des collectivités…
Daniel Delaveau - Du point de vue des présidents d'agglomération, l'un des enjeux essentiels, c'est la reconnaissance du fait urbain. La commission des lois de l'Assemblée nationale a renforcé cette reconnaissance, comme nous l'avons relevé. Et a apporté un certain nombre d'avancées techniques, par exemple dans la définition de l'intérêt communautaire ou s'agissant des règles de majorité. Des points sur lesquels le Sénat était resté en retrait, y compris par rapport au texte initial. On peut aussi évoquer le maintien d'un accord amiable encadré concernant la composition des organes délibérants. Ou bien encore la date d'achèvement de la carte intercommunale, même s'il y aura sans doute débat en séance publique sur le fait de savoir s'il faut opter pour mi-2013, comme le propose Dominique Perben, ou sur fin 2012 comme le souhaitent d'ADCF et l'AMF.
Vous êtes donc globalement satisfaits des modifications apportées par la commission des lois ?
Oui, d'ailleurs, nombre d'amendements portés par l'ADCF ont été repris par la commission. Mais au-delà, cela n'exclut pas certaines remarques ou interrogations de fond, que nous avons évoquées aujourd'hui. Et la crainte que le débat à l'Assemblée ne se focalise sur la question du conseiller territorial, comme se fut déjà en partie le cas au Sénat.
Sur quels aspects souhaitez-vous plus particulièrement que la réforme continue d'évoluer ?
Nous souhaiterions notamment que l'on permette aux agglomérations d'expérimenter certaines choses. Qu'il y ait une ouverture, par exemple, sur l'expérimentation d'une DGF territoriale. Ou sur l'intégration fiscale, avec un transfert aux agglomérations de la taxe foncière, comme le propose la commission des lois pour les métropoles. Globalement d'ailleurs, la perspective pour nous en fait, c'est que les dispositions concernant les métropoles ouvrent la voie pour l'ensemble de nos agglomérations.
La question de l'intégration fiscale a été souvent évoquée. Peut-on dire qu'elle prend une autre dimension depuis la réforme de la taxe professionnelle ?
En effet, on ne le dit pas toujours assez : la réforme de la TP induit un profond changement de nature de l'intercommunalité. La perception de l'impôt ménages change le rapport à la population, de la même façon que la TPU avait créé une relation spécifique entre l'agglomération et l'entreprise.
En termes de compétences, si le projet de loi aborde le jeu des compétences entre communes et intercommunalité, il n'interroge pas – sauf pour les métropoles – la relation entre intercommunalité et département, par exemple sur les compétences sociales…
Je peux dire en tout cas que la formule souple de l'appel à compétences, imaginé pour les métropoles, est une possibilité que nous souhaiterions pouvoir utiliser pour toutes les agglomérations, en direction non seulement des communes mais aussi, en effet, des départements.
Propos recueillis par Claire Mallet