Mesures post-émeutes : prévenir, responsabiliser, sanctionner

Élisabeth Borne a présenté ce jeudi 26 octobre devant un parterre de maires la série de mesures préparées par le gouvernement pour faire en sorte que les violences urbaines du début de l'été "ne se reproduisent pas". Les polices municipales pourront accomplir des actes de police judiciaire. L'attirail des sanctions à l'encontre des jeunes délinquants va être élargi. La responsabilisation des parents est mise en avant, avec une série d'obligations nouvelles. Une "Force d'action républicaine", équipe pluridisciplinaire, pourra intervenir pendant quelques mois sur certains quartiers pour un traitement intensif de leurs difficultés.

Élisabeth Borne réunissait ce jeudi 26 octobre après-midi à la Sorbonne les maires des communes les plus touchées par les violences urbaines du début de l'été – ceux-là mêmes qui avaient déjà été conviés à l’Élysée le 4 juillet. Parmi eux par exemple, Charlotte Blandiot-Farid, maire de Mitry-Mory, Michèle Lutz, maire de Mulhouse, Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen, Nessrine Menhaouara, maire de Bezons, ou Alain Chrétien, maire de Vesoul. Mais aussi un élu départemental, Alexandre Touzet, vice-président de l'Essonne et président du groupe de travail "prévention de la délinquance" de Départements de France.

Il s'agissait, avait indiqué Matignon, de présenter les mesures décidées par le gouvernement après concertation pour "garantir la sécurité de nos concitoyens, mieux soutenir les familles et renforcer la cohésion nationale". En rappelant avoir tenu à bien distinguer cette réunion post-émeutes et le comité interministériel des villes (CIV), pour sa part programmé le lendemain, ce vendredi 27 octobre. La moitié des quartiers politique de la ville (QPV) n'ont pas été concernés par l'épisode de violences et un tiers des faits se sont déroulés hors QPV, a-t-il régulièrement été rappelé.

Jusqu'ici, les réponses du gouvernement aux émeutes ont été centrées sur la question des reconstructions et réparations. À ce jour, 60% des bâtiments concernés auraient été remis en état. Afin de "poursuivre l'effort", une première annonce d'Élisabeth Borne ce jeudi : une enveloppe de 100 millions d'euros pour les communes ayant un reste à charge important, "en complément de l'indemnisation des assurances".

Les polices municipales en première ligne

Place maintenant aux "leçons à tirer" des événements de l'été pour qu'ils "ne se reproduisent pas". Des leçons que le gouvernement a centrées sur les enjeux de sécurité et de justice. Sur le terrain de la sécurité, le gouvernement a notamment retenu "le rôle important, parfois essentiel", qu'ont joué les polices municipales. D'où l'annonce par la Première ministre d'une "nouvelle étape dans le continuum de sécurité", en donnant la possibilité aux polices municipales, à la demande des maires, "d'accomplir certains actes de police judiciaire". "Ces pouvoirs s’exerceront naturellement sous le contrôle des parquets", a précisé Élisabeth Borne, évoquant le lancement d'une concertation sur le sujet avec les associations d’élus "afin de bâtir un texte de loi". Matignon précise que seuls certains actes seront concernés (par exemple la consultation de fichiers… mais pas les perquisitions). Une disposition en ce sens avait été envisagée en 2021 dans le cadre de la loi sécurité globale mais avait été retoquée par le Conseil constitutionnel.

Mieux sanctionner

Sur le terrain judiciaire et social, le gouvernement souligne s'être basé sur l'étude du profil des émeutiers pour proposer des réponses appropriées. Il s'est ainsi souvent agi de mineurs, sans antécédents judiciaires, connaissant des fragilités sociales. Les mesures annoncées ce jeudi s'articulent autour de trois axes : diversifier les sanctions, responsabiliser les parents sur le plan pénal comme civil, s'assurer de la réparation et de l'indemnisation de l’État et des collectivités pour les dommages subis.

"Il faut que nous élargissions notre palette de sanctions, afin qu'aucun acte ne reste impuni", y compris "dès la première infraction", a ainsi déclaré Élisabeth Borne. Trois mesures ont été annoncées à ce titre :

  • Multiplication par cinq de l'amende pour non-respect d'un couvre-feu par un mineur, en la portant à 750 euros (au lieu de 150 euros).
  • Obligation pour un jeune délinquant de respecter de jour comme de nuit un placement dans une unité éducative de la PJJ et d'y suivre les activités de formation et d’insertion de l’unité. En cas de non-respect, un placement en centre éducatif fermé (CEF) ou en détention pourra être envisagé. "Dans certains cas, nous pouvons envisager un encadrement de jeunes délinquants par des militaires" : cela a déjà été expérimenté mais le dispositif doit "se déployer et s’étendre davantage sur le territoire", a ajouté la cheffe du gouvernement. De façon plus détaillée, son entourage évoque la montée en puissance du "partenariat Justice-armées" avec "les classes de défense dans les CEF, la mise en place de mesures d’encadrements militaires dans toutes les régions, la signature de nouvelles conventions locales pour la réalisation de TIG (travail d’intérêt général) au sein d’unités militaires et la participation des militaires dans l’organisation de stages de citoyenneté".
  • Création dans le cadre de la loi SREN d'une peine de "bannissement numérique" – donc essentiellement des réseaux sociaux –, qui "permettra de suspendre un compte pendant six mois".

Punir les parents "démissionnaires"

Deuxième axe, donc, la responsabilisation des parents. "Nous devons aider ceux qui en ont le plus besoin. Mais nous devons aussi agir face à la démission de certains devant les dérives de leurs enfants", a justifié Élisabeth Borne. Ont ainsi été annoncées (avec des précisions apportées par le ministre de la Justice qui, tout comme ses collègues de l'Intérieur, des Solidarités et du Numérique, sont intervenus après la Première ministre) :

  • Une aggravation de la peine du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales envers un mineur, en créant une circonstance aggravante liée à la commission d’une infraction par le mineur, ainsi qu'une peine complémentaire de TIG.
  • La création d’une "contribution citoyenne familiale éducative" que les mineurs et les parents devront verser à une association d’aide aux victimes.
  • Le renforcement de l’implication des parents dans les stages de citoyenneté ou de formation civique prononcées à l’encontre des mineurs, à travers un module sur les devoirs éducatifs des parents. 
  • L'extension de la possibilité de prononcer des peines de stages de responsabilité parentale ou d’amende pour les parents défaillants aux audiences d’assistance éducative.
  • La responsabilité civile solidaire des deux parents d'un mineur auteur d’infraction : "Quand un mineur a causé des dégradations, nous allons nous assurer que les deux parents, qu’ils soient séparés ou non, qu’ils vivent avec leur enfant ou non, soient responsables financièrement des dommages causés", a ainsi déclaré Élisabeth Borne.

S'agissant de réparation, Matignon évoque également la nécessité d'"assurer avec l’agent judiciaire de l’État la réparation et le recouvrement des dommages subis par l’État et les collectivités locales dans toutes les procédures où les auteurs, mineurs ou non, sont identifiés", afin que le tribunal puisse fixer les dommages-intérêts dus en réparation des préjudices subis.

Prévention et éducation

Sanctions, responsabilisation, réparation… mais aussi "accompagnement renforcé des familles et des jeunes". Là-dessus, Élisabeth Borne a souligné que de nombreux dispositifs existent déjà, qu'ils soient portés par l'État, les départements, les communes ou les CAF, mais sont encore "souvent mal connus et insuffisamment coordonnés". D'où le lancement par la ministre Aurore Bergé d'une "concertation visant à favoriser les synergies, donner de la visibilité à nos dispositifs, souvent trop complexes, et gagner en efficacité".

Parmi les mesures nouvelles ou ambitions mentionnées ce jeudi :

  • Le fait d'harmoniser et de professionnaliser les dispositifs de prévention. Cela impliquera un renforcement de la médiation sociale, comme récemment demandé par des élus, proposition de loi à l'appui (voir notre article). Mais aussi, plus globalement, une "nouvelle stratégie nationale de prévention de la délinquance, qui sera présentée début 2024".
  • "Les caisses d’allocations familiale donneront aux communes les moyens nécessaires pour étendre les horaires d’accueil en centres de loisirs, le matin ou le soir", a indiqué Élisabeth Borne.
  • La "reconquête" des vacances d'été, que ce soit le mois de juin pour les collèges et lycées ou la fin août "pour les élèves en difficulté"
  • À l'école toujours, le doublement dès la rentrée prochaine du nombre d'heures d'enseignement moral et civique au collège.
  • La prise en charge intégrale du coût de l'internat pour certains élèves boursiers.
  • L'ouverture de nouveaux Epide (établissements pour l'insertion dans l'emploi) "dans les territoires où le taux de chômage est particulièrement élevé, en particulier les quartiers prioritaires de la politique de la ville".

La FAR, nouvelle task force au chevet d'un quartier

Dernier volet, d'une autre nature, évoqué par Élisabeth Borne : la "Force d'action républicaine" (FAR). Une idée qui figurait dans le programme électoral du candidat Macron. La Première ministre l'a décrite en ces termes devant les élus : "Concentrer dans un quartier tous les efforts de l’État, à vos côtés, pendant plusieurs mois. À partir d’un diagnostic commun, nous déploierons des moyens pour traiter les difficultés que les populations rencontrent, en matière de sécurité, mais aussi pour des réponses judiciaires, éducatives ou sociales."

"La mission de la FAR est de mener une action coup de poing de tous les services de l’État ; la FAR, c’est une équipe pluridisciplinaire, composée sur mesure pour répondre aux besoins spécifiques d’un quartier. Elle réunit tous les acteurs publics et mobilisent les moyens nécessaires, humains et financiers, pour rétablir la paix publique, traiter la délinquance à la racine et, au-delà, aider les familles, lutter contre le décrochage, favoriser l’insertion, éduquer à la citoyenneté, ouvrir l’accès à la culture, au sport et aux loisirs", explique Matignon. La première étape d'une intervention sera celle de l'expertise, qui pourra par exemple être menée par des corps d'Inspection (Éducation nationale, Igas…). Viendra ensuite l'intervention d'équipes pendant quelques mois, qu'il s'agisse de magistrats ou de personnels éducatifs et sociaux. "Ces interventions se feront en accord avec les acteurs locaux. La FAR sera pilotée localement par le maire, le préfet et le procureur de la République", précise Matignon.

Élisabeth Borne a annoncé les trois premières villes sur lesquelles sera "déployée" cette FAR, et ce "d'ici la fin de l'année". Il s'agit de Besançon, Valence et Maubeuge.

 

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