Médicaments essentiels : quels sont les sept nouveaux projets soutenus par l'État ?
L'État va investir 14 millions d'euros dans l'usine d'Ipsophène, près de Toulouse, pour produire jusqu'à 3.400 tonnes de principe actif de paracétamol par an à partir de 2025. Ce projet phare dans la relocalisation de "médicaments essentiels" figure parmi les sept lauréats de France 2030 dévoilés lundi.
Quelques mois après la cession tourmentée d'Opella, la filiale de Sanofi commercialisant le Doliprane, au fonds d'investissement américain Clayton, Dubilier & Rice (CD&R), l'exécutif cherche à reprendre la main sur le thème de la "souveraineté sanitaire". Lundi, le gouvernement a annoncé, dans le cadre du plan France 2030, le soutien à sept nouveaux projets d'investissements visant à relocaliser la production de médicaments dits "essentiels", s'ajoutant à sept projets déjà annoncés en 2023. Près de 50 millions d'euros d'aides provenant du plan d'investissement ont été mobilisés au total sur ces 14 projets pour un investissement total de 300 milliards d'euros (dont 120 liés aux nouveaux projets), indique Bercy qui insiste sur le fait que "les financements publics seront octroyés en contrepartie d’engagements des industriels sur une sécurisation de l’approvisionnement du marché français".
Plus d'usine de paracétamol depuis 2009 en Europe
Parmi les sept nouveaux lauréats, l'un des projets les plus attendus est celui porté par l'entreprise Ipsophène qui va produire sur son site de Toulouse le principe actif du paracétamol dès 2025, à partir d'un procédé innovant. L'État, qui avait déjà apporté 20% des 65 millions d'euros du projet concurrent de Seqens à Roussillon (Isère) dans le cadre du plan de relance, va débloquer une aide de 14 millions d'euros pour un coût total estimé à 28 millions d'euros. Ce sont les pénuries de paracétamol apparues pendant la crise sanitaire qui avaient poussé les fondateurs d'Ipsophène à se lancer en 2021. "Jusqu'à 3.400 tonnes de principe actif seront produites par an avec un procédé très innovant de production en continu qui optimise la productivité en passant de 7 jours nécessaires aujourd’hui à 5 heures seulement, ce qui réduit considérablement la consommation d’énergie et divise par 20 la quantité de déchets générée", se félicitait, il y a quelques mois, le vice-président de la région Occitanie chargé de l'économie, Jalil Benabdillah. La région a d'ailleurs contribué au projet à hauteur de 4,2 millions d'euros dont 1,5 millions d'euros de prêt souverain et 1,2 millions d'euros en capital par l’intermédiaire de son agence de développement Aris. Avec ces 3.400 tonnes, Ipsophène pourra répondre à 38% de la consommation française ou 7% de celle de l’Union européenne, souligne le gouvernement. L'approvisionnement sur le marché français fait d'ailleurs partie du "deal" passé par le gouvernement avec CD&R (voir notre article du 21 octobre 2024). Jusqu'ici, pour fabriquer ses célèbres boîtes jaunes de Doliprane, Opella devait se fournir aux États-Unis, en Chine ou en Turquie. Car la dernière usine de paracétamol en Europe avait fermé en 2009. C'était celle de Rhodia, à Roussillon. Déjà !
Concurrence féroce et "parfois déloyale"
"Il y a un enjeu fondamental qu'on a découvert au moment de la crise Covid : notre vulnérabilité à l'égard d'un certain nombre de fournisseurs extra-européens en matière de médicaments et de principes actifs et il y a un enjeu de sécurité sanitaire", a déclaré le ministre de l'Industrie, Marc Ferracci, cité par l'AFP, lors d'une visite à Vertolaye (Puy-de-Dôme), lundi, aux côtés du nouveau ministre de la Santé, Yannick Neuder, chez le fabricant français de principes actifs pharmaceutiques Euroapi, autre bénéficiaire de l'État. En difficulté depuis des mois, l'entreprise qui emploie 700 salariés, a vu le mois dernier la démission de son directeur général et de la présidente de son conseil d'administration. Afin de rebondir, elle devrait recevoir "plusieurs dizaines de millions d'euros", a indiqué le ministre sur France Bleu Auvergne, précisant avoir obtenu le feu vert de la Commission européenne. Les entreprises françaises sont "confrontées à une concurrence qui est féroce, qui est parfois déloyale. Lorsque vous avez des concurrents chinois ou indiens qui sont subventionnés par leurs États, vous devez donner à vos entreprises la capacité à lutter à armes égales (…). C'est un combat qui se mène au niveau européen, car il faut parfois convaincre les institutions européennes d'être plus souples dans les régimes des aides d'État", a-t-il soutenu.
Alliance européenne
Euroapi ne fait toutefois pas partie des sept projets listés lundi. Parmi les autres lauréats figurent le site de chimie fine Zach System, basé à Avrillé (Maine-et-Loire), Delpharm Lille, installé à Lys-lez-Lannoy (Nord), spécialisé dans la fabrication et le conditionnement de produits solides (comprimés et gélules) hormonaux, Delpharm Tour, situé à Chambray-lès-Tours (Indre-et-Loire) et spécialisé pour sa part dans la production stérile et aseptique d’ampoules, flacons, collyres et seringues, AdhexPharma qui prévoit de relocaliser à Chenôve (Côte-d'Or) la production de médicaments essentiels (patchs et films oro-dispersibles). Benta Lyon s’engage à produire sur son site de Saint-Genis-Laval du Doliprane buvable, "afin de limiter les ruptures sur ce médicament à destination des enfants".
Seul projet francilien, NextPharma Limay (Yvelines) veut créer une nouvelle zone de fabrication dédiée aux liquides non-stériles, notamment pour assurer la production du Lévétiracetam, un médicament antiépileptique.
Cette politique s'inscrit dans une stratégie européenne qui s'est traduite par la création d'une "alliance pour les médicaments critiques" (Critical Medicines Alliance) en avril 2024, dont les conclusions sont attendues au mois de février. La France demande à la Commission d'établir une liste européenne de médicaments vulnérables, de lancer un plan d'investissement européen coordonné, d'améliorer le cadre de la commande publique pour favoriser la production européenne et de promouvoir une concurrence équitable.