Mayotte : environnement, eau, PMI, sécurité... En attendant les assises des Outre-mer
C'est un déplacement de quatre jours que la ministre de l'Outre-mer a consacré à Mayotte, du 31 juillet au 3 septembre. Les médias locaux n'ont pas manqué de noter qu'il s'agissait d'un "record en termes de durée de séjour pour un membre de gouvernement" dans le 101e département français. Echanges avec des lycéens et des représentants de la communauté éducative, signature d'une convention sur la protection maternelle et infantile, rencontre avec des fonctionnaires, visite d'une gendarmerie et de diverses structures locales (crèche, foyer…), immersion dans la forêt de Coconi, discours aux élus… Le programme était dense pour un déplacement qu'Annick Girardin souhaitait placer "sous le signe de la jeunesse, de la sécurité et du développement durable".
Lors de son discours d'orientation aux élus de Mayotte, la ministre les a invités à être "moteurs" pour le développement de leur territoire. "Ne fuyons pas les problèmes, restons lucides mais pensons à demain", a-t-elle déclaré. "Les Mahoraises et les Mahorais se battent quotidiennement pour des besoins essentiels", a-t-elle affirmé, jugeant "inacceptable qu’en France en 2017, l’accès à l’eau ne soit pas garanti sur un territoire de la République", en référence aux mois de pénurie d'eau en début d'année. Annick Girardin a demandé aux élus mahorais d'être "la pierre angulaire" des prochaines Assises des Outre-mer, promesse de campagne d'Emmanuel Macron. "Vous serez les porte-voix" des préoccupations de la population "et nous savons tous ici combien elles sont nombreuses : jeunesse, éducation, infrastructures, santé, sécurité".
En matière de sécurité et d’immigration, elle a reconnu que "la situation dramatique" des Mahorais face à l'immigration massive venue des Comores "est parfois méconnue en métropole". "Notre responsabilité collective, en tant qu’élus, c’est de ne pas laisser les discours et les comportements extrémistes s’imposer dans le débat public et en poser les termes", a-t-elle déclaré.
Trois principales annonces ont ponctué ce déplacement.
Une réserve naturelle nationale en projet
Un projet de création d'une réserve naturelle nationale, visant à protéger 3.000 hectares de forêts publiques, est en préparation à Mayotte, avec le soutien des ministres de la Transition écologique et des Outremer, ont fait savoir vendredi 1er septembre les deux ministères.
L'initiative, menée avec le conseil départemental de Mayotte, concernera 3.000 hectares dans six massifs forestiers, a souligné la ministre des Outre-mer Annick Girardin lors de son déplacement. Selon elle, l'objectif est de "renforcer le rôle de régulation de la forêt dans l'accès à l'eau, lutter contre le ravinement qui menace le lagon, et sauvegarder la biodiversité unique de Mayotte". Nicolas Hulot souligne de son côté qu'"il ne s’agit pas seulement de freiner la destruction des écosystèmes mais de la stopper et, au-delà, d'entrer dans une démarche de réparation", ajoutant que "la création d’une réserve naturelle nationale des forêts publiques de Mayotte répond à ce devoir qui nous incombe".
Les contours précis du projet de RNN vont être discutés dans les prochaines semaines avec l'ensemble des élus de Mayotte, a précisé dans un communiqué Soibahadine Ibrahim Ramadani, le président du conseil départemental. "Les forêts de Mayotte font l'objet de pressions anthropiques grandissantes alors qu’elles jouent un rôle de régulation fondamental, notamment sur les ressources en eau", explique le communiqué. "L'intérêt écologique exceptionnel de ces forêts hygrophiles, reconnu au niveau mondial, ainsi que la présence de nombreuses espèces endémiques et indigènes menacées, justifie la mise en place d'une protection forte adaptée au territoire", ajoute-t-il.
Crise de l'eau : 17,3 millions d'euros engagés en 2017
Plus de 17 millions d'euros seront engagés d'ici à la fin de l'année "pour sécuriser et augmenter la ressource en eau" à Mayotte avant la prochaine saison des pluies, dans le cadre du plan d'urgence signé après la pénurie du début d'année, a en outre annoncé vendredi la ministre des Outre-mer.
Annick Girardin a rappelé "la plus grave crise de l’approvisionnement en eau" que Mayotte a connue en début d'année, à cause de l’arrivée tardive de la saison des pluies. "Des communes sans eau courante, où des mesures de rationnement ont été mises en place. Des écoles qui ne peuvent accueillir les élèves que quelques heures par jour, faute d’assurance sur les conditions d'hygiène et sanitaire. Les secteurs de la restauration ou du tourisme qui se trouvent pénalisés, une population qui subit", a-t-elle énuméré.
Des "tours d'eau" pour économiser l'eau avaient notamment été mises en place au sud de Grande Terre de décembre 2016 à avril 2017. Le plan d'urgence eau, signé en février par l'ancienne ministre des Outre-mer Ericka Bareigts, prévoit au total "des investissements pour un montant total de 42,2 millions d’euros jusqu’en 2021". "D’ici à la fin de l’année, 17,3 millions d’euros du plan eau seront engagés pour sécuriser et augmenter la ressource en eau avant l’entame de la prochaine saison des pluies", a indiqué Annick Girardin.
L'essentiel (79%) de l'alimentation en eau potable de Mayotte provient de deux retenues collinaires, l'une située à Dzoumogné (nord) et l'autre à Combani (centre). Généralement, la saison des pluies permet de remplir les deux retenues, mais fin décembre 2016, faute de précipitations, les deux retenues étaient quasiment vides.
La ministre s'est engagée à ce que les travaux pour l’interconnexion des deux retenues collinaires soient "terminés avant décembre". Le plan d'urgence prévoit également la réhabilitation de forages, une deuxième usine de désalinisation et une troisième retenue collinaire.
Une convention a été signée vendredi en présence de la ministre, entre l'Agence française de développement (AFD) et le Syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement (SIEAM), à hauteur de 2,5 millions d'euros, pour renforcer l'ingénierie du SIEAM dans la gestion de l’eau potable et de l’assainissement du territoire.
Enfance : 120 millions d'euros pour la PMI
Dans le domaine sanitaire et social, Annick Girardin a notamment annoncé que l’Etat va verser 120 millions d’euros au conseil départemental de Mayotte pour compenser le transfert de compétence en matière de protection maternelle et infantile (PMI).
"La PMI de Mayotte est la plus importante PMI de France par son activité", a dit la ministre, qui a posé la première pierre de la nouvelle PMI de Vahibé, avant de signer une convention dans laquelle "l'Etat reconnaît le droit à compensation" de la compétence en matière de PMI transférée au conseil départemental dès 2009.
"Les chiffres de la santé à Mayotte sont alarmants", a-t-elle affirmé, citant les "10.000 naissances prévues" pour 2017, un "taux de mortalité infantile et maternelle quatre fois plus élevé qu’en métropole", une population où "plus de la moitié des habitants a moins de 20 ans". "Des indices de fécondité élevés", une "couverture vaccinale faible chez les plus jeunes" sont également des facteurs d'inquiétude. "Plus de 80% de la population mahoraise vit sous le seuil de pauvreté", a dit la ministre. "Cela n’est pas acceptable. Cela n’est pas tolérable".
"De nombreuses mères originaires des Comores viennent accoucher à Mayotte. L’accès à la santé dans les conditions prévues par les lois de la République est à l'évidence un facteur d’incitation à la migration, qui a des conséquences sur le système de santé mahorais", a-t-elle dit. "Aider les Comores à développer sur leur territoire une offre de santé est l’un des enjeux de la coopération régionale", a ajouté la ministre.
Elle a cité les besoins en effectifs des PMI de Mayotte, qui ne compte que "3 postes de médecins occupés sur les 12 budgétés", 8 postes de sages-femmes sur les 20 budgétés, 21 infirmiers diplômés d’état (IDE) sur les 24 prévus", et "un pharmacien". L'enveloppe de 120 millions d'euros "doit servir à répondre aux urgences", a-t-elle dit, comme "le lancement des travaux pour la rénovation des structures déjà existantes, la remise en état de fonctionnement optimal des équipements, la mise en conformité aux normes d'hygiène", mais aussi financer le "recrutement de personnel soignant et les aides à la formation", et à plus long-terme, "l’ensemble des secteurs mahorais dédiés à la petite enfance".
Mansour Kamardine : "La région la plus pauvre d'Europe ne peut attendre"
Le député LR de Mayotte Mansour Kamardine appelle le gouvernement à agir "au plus vite" sur l'île, estimant que les prochaines assises des Outre-mer ne doivent pas être "prétexte à différer l’action de l’Etat" pour "la région la plus pauvre d’Europe". Saluant ce lundi 4 septembre dans un communiqué la récente visite d'Annick Girardin, il dit avoir eu "le sentiment d'une prise de conscience" des "graves difficultés de Mayotte et de la nécessité d'une action urgente". Pour lui, l'annonce du "versement de la moitié des arriérés de l'Etat en matière de protection maternelle et infantile" est "un premier pas dans le bon sens".
Le député juge cependant qu'il faut "hiérarchiser les priorités", notamment en ce qui concerne la proposition de la ministre d'un visa outre-mer pour les étudiants des pays voisins. Cette question "pourra être examinée sereinement si l’immigration illégale et massive que subit Mayotte est endiguée", dit-il.
Il insiste aussi sur la sécurité. "La mise en place de politiques de rattrapage dans le plus grand désert médical de France et le plus grand désert éducatif de France ne sera efficace que si les personnels de santé et de l’éducation nationale vivent à Mayotte dans des conditions matérielles et sécuritaires décentes", affirme-t-il.
Mansour Kamardine appelle le gouvernement "à examiner au plus vite" "le renforcement des moyens humains et matériels de lutte contre l’immigration clandestine et contre l’insécurité", "la création d’une zone de sécurité prioritaire", "la création d’une agence régionale de santé" et "d'un rectorat en lieu et place du vice-rectorat", et "l'amélioration du traitement indemnitaire des agents publics" pour améliorer l'attractivité du territoire.
Enfin, il invite à examiner "les éventuels abus d'acteurs économiques en position dominante (transport aérien, distribution d’essence, etc.) qui obèrent les conditions de vie et le pouvoir d’achat des Mahorais".