Matières fertilisantes : un projet de décret "socle commun" qui inquiète les collectivités

Véritable arlésienne, le décret "socle commun" fixant les critères de qualité agronomique et d'innocuité des matières fertilisantes et des supports de culture reste toujours dans les limbes. Les projets de texte mis en consultation à la fin de l’an dernier inquiètent toutefois les collectivités, puisqu’ils menaceraient le retour au sol des matières organiques qu’elles collectent. Une aberration, s’insurgent plusieurs associations, au moment même où l’on demande aux Français de trier leurs biodéchets et où l’on entend diminuer les importations d’engrais.

Le décret "socle commun" n’en finit plus de polluer le débat sur les matières fertilisantes et supports de culture, qu’il est pourtant censé apaiser. Prévu par l’article 14 de la loi du 29 juillet 2020 relative à la prévention et à la gestion des déchets, il tarde toujours à prendre corps, au point de faire désormais figure d’arlésienne (voir l’encadré de notre article du 28 avril 2023). 

Approche à pas (très) comptés

Dans une réponse à la député Danielle Brulebois, le ministère de l’agriculture annonçait toutefois en juin 2023 son entrée en vigueur "pour 2024". Certes, ce ne serait pas, loin s’en faut, la première fois qu’une telle annonce ne serait pas suivie d’effet. Mais l’issue semble cette fois se dessiner. Pour preuve, le projet de réglementation (deux décrets et deux arrêtés) a fait l’objet d’une consultation publique en novembre dernier. 

Reste qu’il avance à pas comptés. Le Conseil national d’évaluation des normes, le Comité de l’eau et le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques n’ont encore pas eu l’occasion de se prononcer sur le projet. Et ce dernier n’a pas encore été notifié à la Commission européenne au titre des règles techniques. Bref, rien ne semble encore définitivement acté. C’est sans doute ce qui conduit plusieurs associations* à tenter d’infléchir le cours de cette future réglementation, qu’elles jugent néfaste. Dans un communiqué commun, elles se disent à la disposition du gouvernement pour corriger le tir.

Un socle commun… peu commun

Sur le papier, l’objectif paraît simple : s’assurer de la qualité des matières fertilisantes (engrais, amendements, biostimulants) et des supports de culture, quelle que soit leur origine : matières naturelles d’origine végétale, animale (dont les effluents d’élevage) ou minérale ; matières issues de synthèse chimique ou du traitement de produits résiduaires. Et ce, afin de préserver la qualité des sols (en limitant les flux, autrement dit la fréquence et la quantité des apports) et de limiter les transferts des contaminants (via des teneurs limites). 

Mais la réalité est toute autre. "L’objectif initial était de mettre tout le monde à égalité face aux enjeux à la fois agronomiques, sanitaires et toxicologiques", rappelle à Localtis le délégué général d’Amorce, Nicolas Garnier. Or, pour ce dernier, les textes proposés vont à rebours de cette ambition : "On se retrouve avec quatre familles, pour lesquelles les exigences ne sont pas du tout, du tout les mêmes. On est totalement permissif avec les amendements agricoles et sur-contraignant, sur-contrôlant avec les amendements des collectivités locales, en particulier les boues et les composts issus des déchets ménagers." Un traitement discriminatoire que les associations jugent d’autant plus inique qu’il serait "sans réel fondement scientifique". "Cela fait des années que l’on demande la création d’un Observatoire des sols, ce qui éviterait de publier des valeurs limites en s’appuyant sur une compilation de bibliographies plus ou moins solides", grince l’expert.

Mauvaise nouvelle pour la collectivité…

Pour les associations, la réglementation prévue menace d’interdire dans les faits le retour au sol des matières "issues des déchets alimentaires, des déchets verts et des boues de stations d’épuration" qu’elles collectent, et "qui risquent de finir, faute de solutions, en unité de valorisation énergétique, ou en stockage". Une incongruité, au moment même où l’on "demande aux Français de trier leurs biodéchets", relèvent-elles. Et où on les contraint à ne plus brûler leurs déchets verts pour les véhiculer en déchetterie, où ils risqueraient donc de finir… incinérés. "Pourquoi faire contribuer les usagers d’un service public d’assainissement à des infrastructures de traitement performantes si cela revient fatalement à incinérer les boues d’épuration ?", interrogent les associations signataires de l’appel.

"Par quoi va-t-on remplacer ces amendements qui contribuent très fortement à la rétention d’eau, qui permettent de retenir les pesticides et les fertilisants, qui enrichissent les sols et contribuent à stocker du carbone ? Par des fertilisants chimiques dont la production hyper-énergivore est génératrice de gaz à effet de serre et qui sont importés pour la plupart ?", interroge encore le délégué général d’Amorce. Les associations ne manquent d’ailleurs pas de souligner la contradiction avec la volonté gouvernementale – récemment affichée dans un rapport du gouvernement d’évaluation de la souveraineté agricole et alimentaire de la France – de "nous autonomiser" des intrants que "nous importons massivement" et dont il est relevé que le prix "en hausse constante, est de plus en plus volatil". Nicolas Garnier souligne encore les conséquences pour le contribuable local : "Incinérer des boues de station d’épuration plutôt que de les épandre, ça coûte aussi beaucoup plus cher." 

Vingt fois sur le métier…

Les associations appellent donc le gouvernement à remettre une fois encore l’ouvrage sur le métier, avec un décret socle commun ayant cette fois vraiment "la même approche pour toutes les matières fertilisantes, en se basant uniquement sur leur qualité, et pas sur leur origine". Mais aussi avec des valeurs limites fondées sur de "réelles études scientifiques, éprouvées d’un point de vue sanitaire, proportionnelles à la fréquence d’usage des matières". Et Nicolas Garnier de préciser : "Une véritable étude d’impact mesurant l’effet des différentes valeurs limites sur la santé et l’environnement, et non pas une étude sur le coût de l’incinération des matières, ce qui suppose que l’on a déjà acté le fait de ne pas les réutiliser." 

Pour convaincre, les associations rappellent encore "que la valorisation agronomique des boues et biodéchets est utilisée par la quasi-totalité des pays de l’UE". Si comparaison n’est pas raison, le dossier n’est pas sans rappeler la réutilisation des eaux usées traitées, sujet pour lequel les comparaisons internationales sont également prisées. "En France, moins de 1% de l’eau usée est retraitée pour être utilisée une seconde fois. C’est 10, 15, 20 fois moins que […] les meilleurs dans le monde", avait ainsi déploré le président de la République en dévoilant son plan Eau l’an passé (voir notre article du 30 mars 2023).

 

AmorceAfaïa (le syndicat des acteurs de la filière des supports de culture, paillages, amendements organiques, engrais organiques et organo-minéraux et biostimulants), la Fedene (fédération professionnelle des entreprises de services pour l’énergie et l’environnement), la Fnade (fédération nationale des activités de dépollution et de l’environnement), la FNCC (fédération nationale des collectivités de compostage), Méthéor (association de promotion de la méthanisation des déchets organiques des collectivités), le Rispo (réseau pour un retour au sol de l’organique maîtrisé et pérenne), le Snefid (syndicat national des entrepreneurs de la filière déchets) et le Syprea (syndicat des professionnels du recyclage par valorisation agronomique).

 

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