Massivement aidé durant la crise sanitaire, le secteur du tourisme ne s'est pas suffisamment transformé
Que ce soit en matière numérique, énergétique ou de recrutement, le secteur du tourisme n'a pas entamé de véritable transformation durant la crise sanitaire, en dépit d'aides économiques massives, selon un rapport de la Cour des comptes.
Malgré des aides massives qui lui ont permis de surmonter la crise sanitaire, le secteur du tourisme n'en a pas profité pour réaliser sa transformation, que ce soit en matière énergétique, numérique ou de recrutement, déplore la Cour des comptes dans un rapport publié le 8 février.
En 2019, le tourisme était on ne peut plus florissant en France, première destination mondiale. Il représentait alors près de 7,5% du PIB, alimentés par 320.000 entreprises employant deux millions de salariés directs et indirects. Puis la crise sanitaire est passée par là. La "baisse inédite" de chiffre d’affaires du secteur a atteint 43% en 2020, puis 49,3% en 2021, avec des chutes vertigineuses de -90% de mars à mai 2020.
Dès février 2020, l'État annonçait des mesures de soutien exceptionnelles. Au total, le secteur a bénéficié de 45,5 milliards d'euros d’aides publiques de la part de l’État et de ses opérateurs en 2020 et 2021 – dont près de 31 milliards de subventions –, soit 21% du total des aides d'urgence accordées sur cette période. Ces aides, dont ont bénéficié 98% des entreprises du secteur, ont permis de compenser 88% des pertes d’excédent brut d’exploitation et 25,8% de la perte de son chiffre d’affaires, quand, à titre de comparaison, la perte de chiffre d’affaires du secteur du commerce n'était compensée qu'à hauteur de 11%.
Un secteur "préservé"
Dès lors, les magistrats ont cherché à mesurer l’impact de ces mesures en répondant à trois questions. Il s'agissait d'abord de savoir si la forme qu'avait prise ce soutien avait permis de préserver la viabilité des entreprises. Ensuite, si les mesures d’urgence avaient permis un redémarrage de l’activité touristique et répondu au retour des touristes à partir de l’été 2020 et en 2021. Et enfin si le secteur du tourisme avait débuté sa transformation.
En ce qui concerne la viabilité des entreprises, le bilan est plus que positif. D'un côté, les faillites d’entreprises du tourisme ont diminué de près de 44% en 2020 et 2021 par rapport à 2019. De l'autre, les effectifs du secteur se sont stabilisés, avec une baisse de seulement à 0,4% entre fin 2019 et fin 2021. En outre, le niveau de trésorerie des entreprises du secteur a augmenté de 50% par rapport à 2019. Tout cela fait dire à la Cour des comptes que ce secteur a été "préservé".
Ces aides – couplées avec des mesures telles que campagnes de communication, protocoles sanitaires spécifiques, annulation gratuite des réservations, "colos apprenantes" ou augmentation du plafond journalier des tickets-restaurant – ont favorisé une reprise régulière de l’activité touristique dès la levée des restrictions de mobilité. Le nombre de nuitées en hôtels, campings et autres hébergements collectifs s'est redressé à 157 millions à l’été 2020 (soit une baisse de 22% par rapport à 2019), puis a atteint 188 millions en 2021 (-7% par rapport à 2019) avant de dépasser de 3% son niveau d’avant-crise durant l’été 2022. Toutefois, si les littoraux, les territoires ruraux, la location saisonnière et les activités en plein air étaient plébiscités, le tourisme d’affaires, le tourisme urbain, les foires et salons ont peiné à retrouver leur niveau d’activité, précise le rapport.
Une ambition plusieurs fois affirmée
Avec les aides dont il a bénéficié et la reprise qui a été la sienne, le secteur du tourisme aurait dû, selon la Cour des comptes, nourrir une ambition "plusieurs fois affirmée en 2020 et 2021", à savoir entamer sa transformation structurelle en matière de développement numérique, d’amélioration énergétique et de recrutement. Las, cette ambition, identifiée dès 2015 comme un moyen de gagner en compétitivité et d’accroître les recettes touristiques dans un contexte de forte concurrence internationale, a été peu financée et les besoins ne sont, in fine, qu’imparfaitement traités.
Dans un secteur où "le développement du numérique […] a été confronté à la taille des entreprises" et dont les dirigeants "restaient réfractaires au changement", la Cour juge que les confinements "ont mis en lumière avec acuité" la nécessité de savoir attirer via les outils numériques : réseaux sociaux, animation d'une communauté, réservations en ligne et, plus largement, prestations limitant les contacts physiques.
Au final, le "chèque numérique" de 500 euros, conçu pour prendre en charge une part fixe des dépenses de transformation des microentreprises, a été sollicité par 18.922 entreprises mais n'a pas eu l'effet de levier escompté. Et l'usage du numérique n'a plus été renforcé par l’"aide au diagnostic numérique". 68% des bénéficiaires des aides numériques du tourisme ayant répondu à l’enquête de la Cour des comptes n'ont ainsi pas accru leurs pratiques numériques entre 2020 et 2021 ou estiment que cette transformation n'a pas été favorisée par les aides.
Pas de "transformation verte"
En matière énergétique, les dispositifs de soutien – à commencer par le fonds de soutien à l’émergence de projets du tourisme durable – ont certes conduit à de petites améliorations mais n'ont pas permis au secteur déjà "sous pression écologique avant la crise sanitaire" d’entamer sa "transformation verte".
Parmi les raisons, la Cour avance une ambition "limitée" des mesures "conçues pour être simples et rapides et permettre d’établir un premier contact avec les professionnels du tourisme". Par ailleurs, "l’impact écologique du transport dans le secteur du tourisme a été délibérément non traité", tandis que "la rénovation thermique des hébergements et restaurants a été exclue de la commande initiale" et que "la dégradation du patrimoine naturel et la fréquentation des sites fragiles n’a pas fait l’objet de soutien autre que ceux qu’ont pu prendre certaines collectivités territoriales".
Moins de candidats saisonniers
Il est une autre difficulté sur laquelle le secteur du tourisme n'a pas progressé à la faveur des aides liées à la crise sanitaire : le manque d'attractivité et de fidélisation des personnels. Ces problèmes semblent même s'être accrus depuis 2020 et pourraient entraver le développement du secteur.
Traditionnellement soumis à une forte rotation, le secteur a subi pendant la crise sanitaire un phénomène de "non-retour" de nombreux salariés. Les entreprises du secteur ont ainsi fait face durant l'hiver 2021-2022 "à des tensions majeures de recrutement avec moins de candidats saisonniers postulant sur les postes proposés, des profils éloignés des attentes et des entreprises qui ne sont pas parvenues à constituer des équipes au complet". Mise en place en mai 2021, la plateforme monemploitourisme.fr a été l'une des rares réponses à cette difficulté de recrutement, mais elle "ne semble pas avoir encore rencontré son public", reconnaît la Cour, qui demande un audit sur le sujet.
Les magistrats ne restent toutefois pas sur ces constats négatifs. Ils considèrent que les mesures ont constitué "des préliminaires à une nouvelle dynamique de transformation". Pour aller plus loin, ils émettent trois recommandations. D'abord, réaliser un bilan des conséquences des aides sur les entreprises bénéficiaires et sur les consommateurs. Ensuite, procéder au plus tard d’ici fin 2023 à un bilan de la plateforme monemploitourisme.fr, soit pour améliorer le service, soit pour le supprimer. Enfin, en lien avec les collectivités territoriales, établir avec les professionnels du tourisme une stratégie nationale en faveur de la transition écologique du tourisme comportant des objectifs quantitatifs et précisant les engagements des signataires. Autrement dit, ils attendent un retour sur les investissements de l'État…