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Marchés publics : le sous-traitant a son mot à dire

Dans un arrêt du 27 janvier 2017, le Conseil d'Etat a réglé une affaire relative au droit au paiement direct des sous-traitants. Dans le cadre d'un marché public, l'entreprise titulaire peut décider de faire exécuter une partie du marché par une entreprise sous-traitante. Cette dernière devra être acceptée par le maître d'ouvrage et les conditions de paiement agréées par lui. Dès lors, si les conditions d'acceptation et d'agrément sont satisfaites, le sous-traitant aura droit au paiement direct par le maître d'ouvrage. Toutefois, se posait la question de savoir si, en l'absence de modification du contrat de sous-traitance passé entre le sous-traitant et le titulaire du marché, le maître d'ouvrage et le titulaire pouvaient conclure un acte spécial modificatif réduisant la rémunération du sous-traitant.

En l'espèce, le port autonome de Marseille, devenu grand port maritime de Marseille, avait conclu un marché de travaux relatif à la construction d'un atelier avec la société Gardiol. Cette dernière a décidé de sous-traiter les prestations de menuiserie aluminium et les a confiées à la société Dervaux. L'acceptation et l'agrément de ce sous-traitant ont été formalisés par la signature d'un acte spécial par l'établissement public et l'entreprise titulaire. Cela a ouvert, au bénéfice de la société sous-traitante, un droit au paiement direct d'un montant de 116.375 euros. Toutefois, deux ans plus tard, le port autonome de Marseille et la société titulaire Gardiol ont conclu un acte spécial modificatif, ramenant le montant des prestations de la société sous-traitante à 59.796 euros.
Contestant cette décision, la société Dervaux a saisi le tribunal administratif de Marseille afin que le maître d'ouvrage soit condamné à lui verser le reste de la somme initialement prévue au titre de son droit au paiement direct. Les juges ont rejeté cette demande et la société Dervaux a porté l'affaire devant la cour administrative d'appel (CAA) de Marseille, qui a confirmé le premier jugement. La société sous-traitante a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat : ce dernier a annulé l'arrêt d'appel et a renvoyé l'affaire devant la CAA de Marseille qui a de nouveau rejeté la demande de la société Dervaux. Cette dernière a donc saisi le Conseil d'Etat afin qu'il statue définitivement sur ce litige.

Pas de modification sans l'accord du sous-traitant

En l'occurrence, le maître d'ouvrage faisait valoir que l'entreprise sous-traitante n'avait pas correctement assuré ses prestations et que le montant de son dédommagement devait donc être revu en conséquence. C'est pourquoi, avec le titulaire du marché, ils ont décidé de modifier l'acte spécial. Le Conseil d'Etat a censuré cette pratique : en l'absence de modification du contrat de sous-traitance, l'acte spécial ne peut être révisé. Comme l'a précisé le rapporteur public Gilles Pellissier lors de l'audience, "la modification de la situation des sous-traitants ne doit pas être laissée à la discrétion des parties". La CAA a donc commis une erreur de droit en appliquant l'acte spécial modifié et son arrêt a, par conséquent, été annulé.

Rappel des régimes de responsabilités

Sur le fond, le maître d'ouvrage justifiait la modification de l'acte spécial par la défaillance de l'entreprise sous-traitante. Pour sa défense, il a donc tenté de mettre en cause la responsabilité de la société Dervaux. Toutefois, le Conseil d'Etat a rejeté cette justification et rappelé les régimes de responsabilité existants. S'il veut obtenir la réparation d'un dommage imputable à conception ou à l'exécution d'ouvrage, le maître d'ouvrage peut rechercher la responsabilité contractuelle du titulaire du marché. Si la responsabilité de son co-contractant ne saurait être utilement recherchée, le maître d'ouvrage pourra alors tenter d'engager la responsabilité du sous-traitant sur le terrain quasi-délictuel, ces deux entités n'étant pas contractuellement liées. Ce type de responsabilité ne pourra toutefois être invoqué qu'en cas de " violation des règles de l'art ou [de] la méconnaissance de dispositions législatives et règlementaires ". Une faute résultant de l'inexécution d'une prestation par le sous-traitant ne serait donc pas suffisante pour que le maître d'ouvrage engage sa responsabilité à ce titre.
En l'espèce, le port autonome de Marseille ne pouvait ni modifier le montant des prestations de la société sous-traitante, ni rechercher sa responsabilité. Il a été condamné à verser le complément du montant de la prestation auquel avait le droit la société sous-traitante au titre du paiement direct.

Référence : CE, 27 janvier 2017, n°397311