Lutte contre l'illectronisme : miser uniquement sur la formation ne suffira pas
Le syndicat de la presse sociale (SPS) estime illusoire de former les 11 millions de personnes souffrant "d'illectronisme". Le livre blanc qu'il vient de publier met l'accent sur le design des services, le changement des pratiques des administrations et l'innovation technologique.
Ce qui caractérise la fracture en matière d'usages numériques, c'est avant tout son ampleur estime le syndicat de la presse sociale (SPS) dans un livre blanc publié le 25 juin. Réalisé en partenariat avec une dizaine de contributeurs – CNum, Cnaf, Dinsic, Orange, Pole emploi, UFC Que choisir… - cet ouvrage propose différentes pistes pour lutter contre l'illectronisme. Un terme préféré à celui de "fracture numérique" qui domine dans les médias et les discours politiques. La notion de fracture serait en effet "stigmatisante" car elle laisse entendre qu'il y aurait "d’un côté les utilisateurs efficients d’internet et des nouvelles technologies d’information et de communication, de l’autre les hésitants, les réticents, les "peu à l’aise", les réfractaires…". Or les difficultés concernent aussi bien un cadre supérieur qui n'arrive pas à réaliser une formalité – mais saura se faire aider par un proche – que la personne âgée isolée qui remplissait sans problème sa déclaration d'impôt jusqu’à sa dématérialisation ou encore un jeune de 25 ans très à l'aise sur les réseaux sociaux mais incapable de remplir un formulaire administratif. Et elle est présente aussi bien dans les villes que dans les campagnes.
Changer radicalement d'approche
Ce constat établi, l'ampleur du chantier se révèle énorme et il n'est pas certain que la stratégie actuelle soit à la hauteur de l'enjeu. "L'accent mis sur la formation des usagers ne pourra suffire à résoudre un sujet qui impacte le quotidien de 11 millions de français, le numérique s'imposant partout et dans tous les domaines. Il faut prendre le problème dans l'autre sens et agir sur la conception des services en ligne" estime Philippe Marchal, président du SPS. Avec comme chantier le plus urgent l'administration en ligne qui devrait être exemplaire mais se révèle très en retard en matière d'ergonomie et d'interface par rapport aux services commerciaux. Face à des concepteurs de sites créant des sites pour eux-mêmes et qui n'ont jamais entendu parler d'illectronisme dans leur formation à l'UX design - conception des interfaces numériques - le syndicat appelle à sensibiliser à ces questions les développeurs et l'ensemble des personnes intervenant dans la création de ces services. Il souligne aussi que les règles existent parfois - comme en matière d'accessibilité où le respect des normes du référentiel général d'accessibilité (RGAA) contribue à obliger les administrations à clarifier les étapes d'un formulaire, à expliquer le vocabulaire - mais sont trop rarement appliquées par les administrations. Il s'agit aussi de se préoccuper dès la phase de conception des (télé)services, des parcours hors numérique, pour répondre aux besoins des personnes qui resteront à jamais exclues de la dématérialisation comme les personnes dépendantes, les illettrés ou les étrangers ne maîtrisant pas la langue française.
Explorer le potentiel de l'intelligence artificielle
Le livre blanc invite également à explorer les dernières avancées de l'intelligence artificielle et du "machine learning" pour simplifier leur réalisation et éviter les formulaires. Les technologies d'interaction avec la voix – popularisées par les enceintes connectées comme Alexa ou Google home – seraient ainsi particulièrement prometteuses pour les personnes n’ayant pas la capacité ou la possibilité de lire et d’écrire sur un ordinateur ou un smartphone. Une technologie qui devra cependant être pleinement maîtrisée par les administrations publiques - il ne s'agit pas de s'en remettre aux Gafas pour lutter contre l'illectronisme ! - et adaptées aux contraintes du RGPD pour des domaines potentiellement extrêmement sensibles (impôts, situation sociale…).
6 recommandations pour des sites internet plus utilisables
1) Intégrer les contraintes des publics spécifiques dès la rédaction du cahier des charges
2) Sensibiliser et mieux former les concepteurs de sites web
3) Sensibiliser et former tous les producteurs de contenus
4) Faire participer les publics en situation d’illectronisme à la conception des interfaces de contenus
5) Convaincre du bénéfice économique d’une interface facile à utiliser par tous les publics
6) Se préoccuper des parcours "hors numérique"