Lutte contre les incendies : un modèle "au bord de la rupture"
Alors que les pompiers tiennent leur congrès à Nancy cette semaine, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a convenu devant la commission des Lois du Sénat que le modèle de la sécurité civile avait besoin d’être changé, à la suite d’un été où il a été mis à rude épreuve. Mais s'agissant des financements, il a appelé les départements à leurs responsabilités, fermant une nouvelle fois la porte à une revalorisation de la taxe sur les assurances. En marge de ce congrès, le président de Départements de France François Sauvadet a estimé que le modèle est aujourd’hui "au bord de la rupture".
Au 17 septembre, 65.000 hectares de forêts françaises sont partis en fumée, selon les données du Système européen d’information sur les feux de forêts (SEIFF). "C’est une multiplication par sept par rapport à la moyenne des quinze dernières années" (9.000 hectares), a alerté la sénatrice LR du Var Françoise Dumont, mercredi 21 septembre, lors de l’audition du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la Lopmi (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur). "Il s’agit de très loin de la plus grande surface brûlée depuis que nous disposons de données consolidées à l’échelle européenne, soit 2006."
L’occasion pour le locataire de la place Beauvau de dresser le bilan de cet été désastreux et sur les orientations qu’il souhaite prendre. "Nous devons à coup sûr changer notre modèle de sécurité civile", a-t-il affirmé au moment même où les pompiers tiennent leur congrès annuel jusqu’au 24 septembre à Nancy. "Il y a eu quasiment autant de feux au Nord de la Loire qu’au Sud, la 'saison de feux' ne veut plus dire grand-chose", a-t-il estimé, considérant qu’il pourrait y avoir désormais des incendies jusqu’au mois de décembre. "Neuf feux sur dix sont d’origine humaine", soit criminels, soit involontaires, a-t-il ajouté, dans un contexte de conditions climatiques exceptionnelles, avec un taux d’hygrométrie très inférieur à la normale en Gironde (qui a perdu 30.000 hectares cet été), "couplé à des vents, couplé au fait qu’un grand nombre de forêts n‘étaient pas entretenues". Selon un bilan provisoire présenté par la gendarmerie vendredi 23 septembre, 48 personnes impliquées dans des incendies cet été ont été interpellées.
Fractures territoriales
Interrogé sur le financement des Sdis (Services départementaux d’incendie et de secours), dont certains sont à bout de souffle, l'ancien ministre des Comptes publics semble avoir une nouvelle fois fermé la porte à une revalorisation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance demandée par les départements (voir notre article du 6 septembre 2022). Cette taxe a été "créée pour financer les Sdis mais (elle ne leur) est pas versée (…) Elle est versée aux départements qui ne versent pas l’intégralité de cette recette aux Sdis", a-t-il dénoncé, s’interrogeant sur la possibilité d’un versement direct aux services de secours. "Quand on réclame la décentralisation, il faut accepter aussi la responsabilité qui va avec la décentralisation", a-t-il sèchement lancé aux départements.
Le lendemain, lors du congrès des pompiers à Nancy, le président des Départements de France, François Sauvadet a pourtant lancé un appel. "On est au bord de la rupture. Il faut qu’on travaille ensemble, collectivités, Etat et départements, avec les pompiers, pour améliorer notre réponse et qu’on l’adapte à ce changement climatique", a-t-il déclaré à la presse, en marge du congrès. "Je rappelle que l’Etat met 500 millions d’euros et que nous, nous mettons 5 milliards d’euros (…) Il y a aujourd’hui des départements qui ne peuvent plus faire face (…) il ne faut plus revivre des fractures territoriales liées à la prise en compte du risque. Nous avons besoin d’une solution nationale." Le président du département de la Côte-d’Or a justifié le fait que "les assurances participent davantage à ce financement", sachant que l’intervention des Sdis leur a permis "d’éviter les surprimes".
"La flotte la plus moderne d’Europe"Interrogé par les sénateurs sur l’état de la flotte aérienne de lutte contre les incendies et les commandes en cours, alors que ces incendies exceptionnels pourraient être amenés à se répéter, selon les experts du Giec, Gérald Darmanin a estimé que la France dispose actuellement de "la flotte la plus moderne d’Europe". Selon le rapport annexé de la Lopmi, les hélicoptères vieillissants des flottes d’hélicoptères du ministère seront intégralement renouvelés "sur les cinq prochaines années et au-delà". 36 appareils sont concernés. Le ministre de l'Intérieur n’a pas exclu que ces appareils puissent être "mutualisés" entre la sécurité civile et la gendarmerie, notamment pour assurer la surveillance des forêts. "Nous devons agrandir notre flotte aérienne pour mieux repérer les feux naissants", a souligné le ministre, indiquant que 95% des feux naissants sont éteints avant d’atteindre 5 hectares. S’agissant des deux Canadairs commandés en 2017, "ils vont arriver en 2017 car il faut d’abord construire l’usine", a-t-il dit. Le coût d’un tel avion est de 60 millions d’euros, a-t-il précisé mais "le problème n’est pas d’acheter des Canadairs, le problème est de les produire et il n’y a plus d’usine qui produise des Canadairs". C’est pourquoi le président de la République a récemment plaidé pour une commande groupée à l’échelle européenne. La France prévoit de porter de 12 à 16 sa flotte de Canadairs "sans compter la flotte européenne appelée de ses vœux par Emmanuel Macron". Ce n’est pas tout à fait ce que dit le rapport annexé qui indique que 2 de ces 16 avions bombardiers d’eau (ABE) seront en réalité "financés à 90% dans le cadre du programme RescUE pour la création d’une flotte européenne". La ministre déléguée aux collectivités territoriales Caroline Cayeux était justement à Bruxelles "la semaine dernière" pour discuter avec la Commission du déploiement de cette flotte européenne (voir aussi notre article du 19 septembre 2022). |