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Lutte contre la prolifération des plantes invasives : comment mieux traiter le problème à la racine

La mission d'information de l'Assemblée nationale "sur la prolifération des plantes invasives et les moyens pour endiguer cette situation" a présenté son rapport ce 21 juillet. Face à un phénomène qui s'amplifie sur tout le territoire, elle plaide pour des moyens accrus en faveur de la recherche-action, la mise en place d'un système de détection précoce fondé notamment sur la participation des acteurs nationaux et des collectivités territoriales et des efforts de gestion concentrés sur les milieux les plus exposés, en recourant au secteur de l'économie sociale et solidaire.

Créée le 4 novembre 2020, la mission d’information de l'Assemblée nationale "sur la prolifération des plantes invasives et les moyens pour endiguer cette situation", dont les deux rapporteurs sont Nadia Essayan (MoDem, Cher) et Patrice Perrot (LREM, Nièvre), a été chargée de "faire un état précis de la situation au niveau national et des initiatives locales", de "préconiser des mesures législatives et réglementaires pour limiter les flux des espèces exotiques envahissantes", de "mieux contrôler leur introduction, notamment dans les îles ultramarines", et de "promouvoir des plans de reconquêtes par des financements croisés entre les acteurs locaux et nationaux", selon le communiqué résumant ses travaux. Après avoir entendu une soixantaines d’acteurs au cours de dix-neuf auditions et tables rondes et s'être déplacée à l’université de Haute-Savoie Mont-Blanc, au Centre permanent d’initiatives pour l’environnement Seignanx et Adour (Landes) et à Voies navigables de France Centre Bourgogne, la mission a présenté son rapport ce 21 juillet devant la Commission du développement durable.

État des lieux préoccupant

Le document fait d'abord un état des lieux préoccupant montrant que la France est particulièrement touchée par la prolifération des plantes invasives. Pire, ce phénomène tend à s’amplifier, aussi bien en métropole, en raison notamment de sa situation géographique et de son climat tempéré, qu’en outre-mer qui concentre 80% de la biodiversité terrestre et maritime du pays et où sont présentes plus de la moitié des espèces les plus envahissantes. De 1 à 10% des 1.379 espèces végétales exotiques recensées en France peuvent être aujourd'hui être considérées comme invasives. Depuis 1979, six espèces envahissantes supplémentaires sont recensées tous les 10 ans dans chaque département métropolitain et aucun territoire ni aucun milieu (terrestre, aquatique et marin) n'est aujourd'hui épargné, soulignent les rapporteurs.

Problèmes multiples

Outre les coûts économiques engendrés par les pertes de production, les coûts de contrôle, d’éradication, de suivi, de restauration ou encore la perte de tourisme estimés à 38 millions d’euros par an en France pour les espèces exotiques végétales et animales, la prolifération d’espèces invasives est considérée comme la deuxième cause d’extinction des espèces par le GIEC. Certaines comme l'ambroisie à feuilles d’armoise ou la berce du Caucase posent aussi des problèmes de santé publique, tandis que d'autres comme le pin d'Alep, présent sur le pourtour méditerranéen, peuvent favoriser les incendies.
Les rapporteurs regrettent que la prévention soit encore "insuffisante" que ce soit du fait de manques de financements, de carence dans la coordination entre la recherche scientifique et les acteurs de terrain ou le manque de sensibilisation du grand public. Ils s’inquiètent aussi de la détection "souvent trop tardive" du caractère invasif d’une espèce.

Coûts élevés des techniques de gestion

Autre constat : l’impossibilité d’éradiquer une espèce envahissante une fois installée et les coûts élevés des techniques de gestion, d'autant que l'utilisation des produits phytosanitaires doit être évitée. A titre d'exemples, le coût d'arrachage de la renouée du Japon sur les bords du lac du Bourget représente 11.000 euros par an environ, sans compter la main d'œuvre, celui de l'égérie dense sur une surface d'environ 33.000 m2 sur le canal latéral de la Loire représente 176.500 euros tandis que le traitement sur quatre ans de la jussie dans les barthes de l'Adour, dans les Landes, se chiffre à 276.000 euros.
Pour les rapporteurs il faut donc mener des actions à "deux niveaux" : "prévenir l’introduction et la dissémination des plantes invasives plutôt que de les gérer et les gérer pour ne pas en subir les dégâts". Leurs 23 recommandations visent d'une part encourager la recherche et la prévention des introductions d’espèces invasives et d'autre part à améliorer la gestion et plus précisément la réactivité et la coordination des politiques à mener au niveau national et territorial.

Mieux coordonner les intervenants

Ils préconisent ainsi, pour le prochain projet de loi de finances, un décupler le budget de la recherche-action contre les espèces invasives (il est aujourd'hui de 3,5 millions d'euros) et, dans le cadre du programme Biodiversité du plan de relance, d'encourager les services de l'État à lancer des appels à projets visant spécifiquement les espèces exotiques envahissantes. "Mais ce n'est pas seulement une question de financement, souligne Nadia Essayan. Il faut améliorer la coordination des intervenants – ONF, OFB, Dreal, communautés de communes, départements, régions – pour définir des actions et des espaces prioritaires dans le traitement en s'appuyant sur la recherche". Pour intégrer la question des invasions biologiques à toutes les politiques publiques, un référent pourrait être désigné dans toutes les collectivités, préconise le rapport, qui insiste aussi sur l'importance de promouvoir sur le terrain des actions qui permettraient à un public non professionnel d'être sensibilisé aux risques posés par les plantes invasives et d'inciter à la participation des citoyens pour en faire des acteurs du signalement.
Les rapporteurs jugent aussi nécessaire d'"établir un schéma clair de gouvernance national et régional afin de définir les acteurs responsables de la lutte contre les plantes invasives". "Quelle que soit l'architecture retenue, il semble souhaitable que pour chaque acteur en charge d'un aspect de la politique de lutte contre les plantes invasives, il existe une administration ou une personne référente auprès du préfet de département, estiment-ils. Ce référent devrait lui-même avoir un interlocuteur au niveau régional qui puisse centraliser les informations et avoir une vision d'ensemble sur les politiques menées au niveau régional".

Rôle des collectivités

Selon eux, la politique de lutte contre les espèces exotiques envahissantes doit "reposer essentiellement sur les administrations de l'État en termes de pilotage et de centralisation afin d'assurer une égalité de traitement sur l'ensemble du territoire français et d'être à même d'identifier les financements et les priorités.". Mais "le concours des collectivités territoriales dans l'identification de la présence d'espèces végétales envahissantes ne peut bien sûr être écarté". Si les collectivités disposent de moyens financiers et peuvent être maîtres d'ouvrage pour des opérations de traitement sur leur territoire, il n'est pas question de laisser reposer sur elles toute la charge financière de cette politique, insistent-ils. Selon eux, les fonds structurels européens, dont les régions sont les gestionnaires, peuvent aussi "avoir une réelle utilité pour financer des projets de protection de la biodiversité et donc notamment de lutte contre les espèces exotiques envahissantes." Ils citent notamment les fonds alloués par l'Union européenne dans ce domaine à travers le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et le fonds européen de développement régional (Feder), de même que via les programmes "Life". Au titre de la prévention des introductions, ils recommandent en outre l'instauration d'une obligation de surveillance des plantes invasives par le maître d'ouvrage pour tout chantier de travaux publics.

Promouvoir les chantiers d'insertion

Pour améliorer la réactivité et la coordination des politiques de gestion, ils préconisent notamment la création d'un fonds d'urgence qui permettrait d'intervenir rapidement contre les plantes invasives émergentes sur un territoire déterminé. En plus des moyens financiers, la politique de lutte contre les espèces invasives nécessite aussi beaucoup d'"huile de coude", soulignent les rapporteurs. Ils proposent ainsi de promouvoir les chantiers d'insertion pour la gestion des plantes invasives en ayant recours aux entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS), aux territoires "zéro chômeur", au service civique et aux personnes condamnées à des travaux d'intérêt général. Ils veulent aussi inciter à la signature de contrats d'insertion pour les demandeurs d'emploi ou bénéficiaires du RSA dans des structures publiques ou privées qui se consacrent au traitement des plantes invasives. "Ce sont des travaux valorisants et économiquement porteurs pour traiter les problèmes en avance et en amont", insiste Nadia Essayan.
Autre défi à relever : encourager le traitement différencié des déchets issus des espèces exotiques envahissantes dans le cadre d'un programme de lutte, notamment en traitant les déchets pour en extraire de l'énergie (biomasse), en permettant le compostage, la méthanisation ou l'extraction de molécules d'intérêt issues de ces espèces, même si cette dernière solution a ses limites car elle ne doit pas avoir l'effet inverse de celui recherché en incitant au développement de ces plantes, reconnaissent les rapporteurs.
Après avoir remis leurs conclusions à Bérangère Abba, les deux députés accompagneront la secrétaire d'État à la Biodiversité lors du Congrès mondial de la nature de l'UICN, qui se tiendra en septembre prochain à Marseille. Pour Patrice Perrot, la mission peut ainsi être le "point de départ [du renforcement de la lutte contre les plantes invasives] au-delà des frontières des territoires français, sur l'ensemble des continents".

 

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