Elections locales - Loi Valls : un nouvel élu pour le département
A qui revient la paternité du "binôme paritaire" qui s'apprête à rentrer dans la postérité ? A la présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, comme le prétend le gouvernement ? Au groupe majoritaire de l'Assemblée des départements de France, comme le soutiennent des députés UMP ? Ou encore au "think tank" Terra Nova, proche du parti socialiste, comme l'assure le sénateur radical Jacques Mézard ? Pas facile de le savoir.
Quoi qu'il en soit, le "binôme" mis en place par le projet de loi Valls sur les élections locales, que les députés ont définitivement adopté ce 17 avril par 273 voix pour (247 voix contre, 20 abstentions), va faire évoluer profondément les conseils généraux, qui seront au passage rebaptisées "conseils départementaux". "L'adoption définitive par le Parlement du nouveau mode de scrutin marque une date importante dans l'histoire de l'institution départementale", a d'ailleurs déclaré ce 17 avril Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France.
Les "tickets" composés obligatoirement d'un homme et d'une femme seront élus pour la première fois en 2015. L'élection aura lieu dans toute la France, puisque les parlementaires ont mis fin au renouvellement par moitié des élus départementaux. Deux noms figureront sur le bulletin de vote, ce qui, dans le cadre d'un scrutin majoritaire, aura un caractère totalement inédit en France et même dans le monde, a souvent répété l'opposition. Elus ensemble, les membres du tandem paritaire représenteront tous deux le même canton, mais de manière indépendante, pouvant même être rattachés à deux partis différents, ce qui pourrait être source de confusion, a pointé l'opposition de droite. S'il est vrai que le conseiller territorial était un "être hybride", le conseiller départemental le sera a fortiori, a-t-elle ironisé.
Redécoupage des cantons
Dès 2015, les conseils généraux seront composés pour moitié de femmes, alors qu'aujourd'hui la présence féminine dans ces instances y est marginale (14%). A l'image des instances exécutives régionales, celles des conseils départementaux seront paritaires. Considérés comme l'un des derniers bastions politiques des hommes, les conseils généraux vont donc, d'un seul coup, devenir une institution exemplaire sur le plan de la parité, en avance notamment sur les assemblées parlementaires.
Le changement de mode de scrutin va s'accompagner d'une profonde refonte de la carte des cantons. Celle-ci est la conséquence de l'instauration du binôme. En laissant quasi-inchangé le nombre des élus départementaux (environ 4.000), les pouvoirs publics n'ont d'autre choix que de diviser par deux le nombre des cantons. Par cette opération qu'il compte boucler juste avant les élections municipales de mars 2014, le ministre de l'Intérieur entend aussi réduire les très grands écarts de population entre les cantons d'un même département - écarts qui, selon le Conseil constitutionnel, remettent en cause l'égalité devant le suffrage.
Avec la nouvelle carte des intercommunalités et l'évolution probable des limites de certains arrondissements, la nouvelle carte des cantons servira de base à la réforme des services déconcentrés de l'Etat, y compris à une nouvelle répartition des forces de gendarmerie, a indiqué Manuel Valls.
Elus dans des territoires en moyenne deux fois plus grands, les conseillers départementaux resteront des élus de proximité. Le ministre en est convaincu, contrairement à l'opposition. D'autant que le projet de loi l'autorise, par une liste d'"exceptions", à créer des cantons de taille plus modeste dans les territoires ruraux. Accusé par la droite de mettre à mal la représentation des territoires ruraux, le ministre sera très attendu sur ce point lors de la mise en oeuvre de la réforme.
Un front d'oppositions
Les conseils départementaux hériteront des décennies passées un scrutin majoritaire, auquel une majorité d'élus sont attachés dans la mesure où, affirment-ils, il crée de forts liens avec l'électeur. Le gouvernement tenait absolument à le conserver. D'où son rejet, tout au long de la discussion parlementaire, d'un scrutin proportionnel défendu à la fois par les écologistes, le Front de gauche et les centristes.
Ne tolérant aucune concession sur la parité et le scrutin majoritaire – donc sur le binôme –, le gouvernement ne pouvait que rencontrer l'hostilité de ces partis, alliés de circonstance de l'UMP aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Résultat : le Sénat a rejeté le texte à chacune des lectures, tandis qu'à l'Assemblée, seuls les socialistes, majoritaires, l'ont approuvé. "C'est la première fois dans la Ve République qu'un gouvernement imposera un mode de scrutin contre l'avis de tous les partis politiques en dehors de la majorité", a dénoncé François Sauvadet, député UDI de Côte-d'Or et héraut de l'opposition à la réforme.
Le gouvernement Fillon avait rencontré en 2010 de grosses difficultés à faire approuver la réforme territoriale qui conduisait à la création du conseiller territorial. On aurait pu penser le projet de loi Valls plus consensuel, parce que ne s'attaquant pas à un niveau de collectivité et parce que guidé par de louables intentions, comme le renforcement de la parité. Finalement, le parcours législatif aura donc été tout de même assez chaotique.
On notera que le vote de la réforme intervient un an avant la date prévue pour l'examen du projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale (le troisième texte de réforme de la décentralisation), qui doit traiter des compétences des départements.
Scrutin de liste à partir de 1.000 habitants
L'autre grand volet du projet de loi, concernant l'élection des conseillers municipaux et communautaires, intervient, lui, moins d'un an avant les élections municipales de mars 2014. Il était temps que les modalités du scrutin de l'an prochain soient connues. Il aura fallu ainsi attendre plus de deux ans après la loi de réforme des collectivités territoriales, qui a instauré le principe de l'élection au suffrage universel direct des délégués communautaires, pour qu'elles soient adoptées par le Parlement.
L'an prochain, 85% des électeurs seront en droit d'élire leurs conseillers communautaires. Le scrutin de liste actuellement en vigueur dans les communes de 3.500 habitants et plus sera en effet appliqué à toutes les communes de 1.000 habitants et plus. Ce qui conduit à maintenir le scrutin majoritaire avec panachage dans 74% des communes. Fallait-il étendre au plus grand nombre possible de communes la parité et l'élection directe des conseillers communautaires par le choix d'un seuil de 500 habitants ? Ou fallait-il se prémunir contre les risques de politisation et les difficultés pour constituer des listes complètes et paritaires ? La première option a convaincu les députés, tandis que la seconde a été jugée plus réaliste et prudente par les sénateurs. La volonté de donner des gages au Sénat et le lobbying efficace de l'Association des maires de France (AMF) ont finalement permis à la position défendue par les sénateurs de l'emporter.
Dans les communes de 1.000 habitants et plus, les électeurs trouveront sur leur bulletin de vote deux listes distinctes de candidats. L'une pour le conseil municipal et l'autre pour le conseil communautaire. Une présentation qui "suscitera l'incompréhension des modalités du scrutin par les électeurs comme par les candidats", critique l'AMF. L'association regrette, en outre, "la dissociation" qui est faite entre des fonctions pourtant "complémentaires". A l'inverse, l'Assemblée des communautés de France (ADCF) salue une solution qui renforcera "la visibilité de l'élection intercommunale et des futurs élus". Les deux mouvements d'élus s'accordent toutefois sur les modalités du fléchage imaginées par le Sénat, qui laisseront aux candidats à l'élection une relative souplesse, contrairement à l'option retenue au départ par le gouvernement, qui consistait à orienter automatiquement les candidats têtes de liste aux élections municipales vers l'intercommunalité. Les candidats au conseil communautaire ne seront donc pas forcément le maire et ses adjoints.
De nouvelles évolutions en 2020 ?
Dans les communes de moins de 1.000 habitants, le panachage, qualifié parfois de "tir aux pigeons", subsistera et les délégués communautaires seront désignés, comme maintenant, par le conseil municipal, dans l'ordre du tableau. Mais contrairement à aujourd'hui, il faudra nécessairement être candidat pour être élu – les candidatures devant être déposées à la préfecture ou à la sous-préfecture. Dans les communes de moins de 100 habitants, sept conseillers seront élus, au lieu de neuf aujourd'hui, ce qui facilitera un peu la constitution des équipes municipales.
L'élection en 2014 selon les modalités du scrutin en vigueur aujourd'hui à Paris, Lyon et Marseille est considérée comme un premier pas. Le gouvernement ne se dit pas opposé à une élection directe des conseillers communautaires des plus grandes agglomérations et ce, dans une seule et même circonscription correspondant au territoire de la communauté. Des parlementaires pourraient être tentés, dès l'examen du projet de loi sur les métropoles qui qui commencera fin mai au Sénat, d'inscrire cette perspective dans la loi.