Loi Immigration : une salve de huit décrets publiés in extermis

Pas moins de huit décrets d'application de la loi Immigration ont été publiés ce mardi 16 juillet au Journal officiel. Ils portent notamment sur le "contrat d'engagement au respect des principes de la République" que devra signer tout étranger pour obtenir un titre de séjour, sur les conditions de délivrance d'une autorisation de travail ou encore sur les expulsions et assignations à résidence.

Pas moins de huit décrets d'application de la loi Immigration ont été publiés ce mardi 16 juillet au Journal officiel, à quelques heures de la démission d'un gouvernement Attal qui jusqu'à nouvel ordre sera simplement chargé de "gérer les affaires courantes". La publication de ces décrets intervient près de six mois après la promulgation de cette loi controversée et partiellement censurée par le Conseil constitutionnel.

  • Contrat d'engagement

Désormais, tout étranger sollicitant un titre de séjour en France devra s'engager, via un contrat, à respecter "les principes de la République". Sont concernés "la liberté personnelle, la liberté d'expression et de conscience, l'égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République, l'intégrité territoriale et la laïcité". Le décret d'application de l'article 46 de la loi immigration précise que la signature de ce contrat conditionne la délivrance du document de séjour et que son signataire "peut se voir refuser le renouvellement de son document ou se le voir retirer en cas de manquement caractérisé à l'un de ces principes". Les étrangers dont le titre de séjour est en cours de validité n'ont pas à signer ce contrat maintenant mais devront le faire lors de leur demande de renouvellement. Le modèle de ce contrat (qui devra le cas échéant être traduit "dans une langue que l'intéressé comprend") figure en annexe du décret. Chacun des sept "principes" sont développés en une ou plusieurs phrases. Ainsi par exemple, sur le dernier point, celui de la laïcité, on lira : "Au sein des services publics, je m’engage à ne pas contester la légitimité d’un agent public ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public, en me fondant sur mes propres croyances ou considérations religieuses".

Décret n° 2024-811 du 8 juillet 2024 relatif au contrat d'engagement au respect des principes de la République, prévu par l'article L. 412-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

  • "Conditions matérielles d'accueil"

Un autre décret renforce le dispositif de refus ou de cessation "des conditions matérielles d'accueil" des demandeurs d'asile et supprime le "recours administratif préalable obligatoire" en cas de refus de ces "conditions matérielles d'accueil". Celles-ci correspondent aux conditions proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de sa demande et pour la durée de la procédure (allocation pour demandeur d'asile, hébergement). Il est précisé qu'il doit être tenu compte de "la situation particulière et [de] la vulnérabilité de la personne concernée".

Décret n° 2024-809 du 5 juillet 2024 portant modification du dispositif de refus ou de cessation des conditions matérielles d'accueil

  • Autorisations de travail

Une amende administrative est par ailleurs créée pour sanctionner l'emploi de ressortissants étrangers non autorisés à travailler, remplaçant les contributions spéciales et forfaitaires appliquées jusqu'à présent. Le dispositif est désormais géré non plus par l'Ofii mais par le ministère de l'Intérieur. L'article 34 de la loi prévoit que pour déterminer le montant de l'amende, sont pris en compte "les capacités financières de l'auteur d'un manquement, le degré d'intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière". Le même décret modifie les conditions de délivrance des autorisations de travail vis-à-vis de l'employeur : conditions de travail des salariés (santé et sécurité), obligations sociales… En outre, "l'autorisation de travail peut être refusée lorsque le projet de recrutement est manifestement disproportionné au regard de l'activité économique de l'employeur, du donneur d'ordre, de l'entreprise utilisatrice ou de l'entreprise accueil". Enfin, "lorsque la demande concerne un emploi saisonnier, le pétitionnaire fournit la preuve que le travailleur disposera, pour la durée de son séjour, d'un logement lui assurant des conditions de vie décentes".

Décret n° 2024-814 du 9 juillet 2024 relatif à l'amende administrative sanctionnant l'emploi de ressortissants étrangers non autorisés à travailler et modifiant les conditions de délivrance des autorisations de travail

  • Expulsions et assignations à résidence

L'un des décrets réajuste le partage de compétence entre le ministre et les préfets pour le prononcé des décisions d'expulsion, rationalise l'organisation des commissions d'expulsion, précise les modalités de convocation devant ces commissions des étrangers contestant une décision d'expulsion et augmente le nombre maximum de pointages (auprès d'un commissariat) dans le cadre d'une assignation à résidence précédant une expulsion.

Un autre décret prévoit que "l'édiction d'une obligation de quitter le territoire français doit intervenir dans un délai de 15 jours suivant l'information de l'autorité préfectorale de l'expiration du droit au maintien du demandeur d'asile, sous réserve de la délivrance d'un titre de séjour".

Un troisième, enfin, adapte les dispositions relatives à l'assignation à résidence et à la rétention "au cas particulier des demandeurs d'asile, notamment les modalités contentieuses et de prise en compte de leur vulnérabilité et besoins particuliers".

Décret n° 2024-808 du 5 juillet 2024 portant dispositions relatives à la procédure d'expulsion et aux mesures d'assignation à résidence prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; décret n° 2024-812 du 8 juillet 2024 pris pour l'application de l'article 64 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ; décret n° 2024-813 du 8 juillet 2024 relatif aux cas d'assignation à résidence ou de placement en rétention des demandeurs d'asile prévus par l'article 41 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

  • Refonte de France-Visas

Un décret est centré sur le traitement de données à caractère personnel relatif aux étrangers sollicitant la délivrance d'un visa. Il s'inscrit dans le cadre d'une refonte de France-Visas tel qu'il existe aujourd'hui, utilisé pour l'instruction des demandes. Avec des finalités similaires mais quelques changements, dont la possibilité d'enregistrer dans France-Visas les empreintes digitales des demandeurs ainsi que des données issues de plusieurs autres fichiers. L'objectif étant de prévenir "les fraudes documentaires, les usurpations d'identité et les détournements de procédure". Le décret définit notamment les catégories de personnes ayant accès aux données (agents des préfectures, agents de police…).

Décret n° 2024-810 du 6 juillet 2024 relatif au traitement de données à caractère personnel relatif aux étrangers sollicitant la délivrance d'un visa dénommé France-Visas

  • Échange d'informations entre États de l'UE

Est prévue une "obligation d'information de l'Ofii et de l'Ofpra par le préfet compétent pour l'enregistrement d'une demande d'asile, lorsque celui-ci dispose d'informations relatives à la protection au titre de l'asile dont bénéficie un demandeur d'asile dans un autre Etat membre de l'Union européenne".

Décret n° 2024-815 du 12 juillet 2024 relatif à la transmission d'informations relatives à la protection au titre de l'asile dont bénéficie un demandeur d'asile dans un État membre de l'Union européenne

  • Cour nationale du droit d'asile

Enfin, un décret publié quelques jours plus tôt, le 14 juillet portait sur la réforme de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) voulue par le gouvernement, qui prévoit une décentralisation en plusieurs chambres territoriales et la généralisation d'un juge unique.

Décret n° 2024-800 du 8 juillet 2024 pris pour l'application de l'article 70 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration et relatif à l'organisation et à la procédure applicable devant la Cour nationale du droit d'asile

"Que ce soit le droit d'asile ou le contrat d'engagement républicain ou les procédures d'expulsion plus expéditives, il y a énormément d'aspects restrictifs" dans les décrets publiés, relève auprès de l'AFP Serge Slama, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes, pointant une "régression d'ampleur" du droit d'asile.