Loi Énergie-Climat : malgré la crise, le retard d’application se comble
Avec un taux proche de 60% de textes réglementaires pris, la loi Énergie-Climat ne peut pas encore prétendre à sa pleine applicabilité. Les retards induits par le contexte de crise sont cependant en passe d’être rattrapés grâce à un échéancier de publication qui devrait s’accélérer au premier trimestre 2021.
Le premier bilan d’étape de la loi du 8 novembre 2019 dite "Énergie-Climat" a été présenté à l’Assemblée nationale, ce 17 février, devant la commission des affaires économiques, par Marie-Noëlle Battistel (Soc., Isère) et Anthony Cellier (LREM, Gard). Ce rapport d'application qui devait intervenir à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur de la loi arrive avec un décalage important en raison de l’épidémie de Covid-19. Le processus de consultation des différentes autorités et du public qu’impliquaient la plupart des mesures d’application de la loi Énergie-Climat en a été considérablement ralenti, justifient les rapporteurs. D'autant que concernant les ordonnances, la loi d’urgence du 23 mars 2020 a en outre prévu la prolongation de quatre mois des délais d’habilitation donnée au gouvernement.
À quelque chose malheur est bon. Le moment est en effet particulièrement opportun. Cette "photographie de ce qui est en application" constitue ainsi "un jalon utile" dans la perspective de l’examen du projet de loi Climat et résilience, souligne Anthony Cellier, qui tenait le rôle de rapporteur de la loi Énergie-Climat. Un bilan particulièrement bienvenu au vu du calendrier législatif et des discussions qui s’amorceront ces prochaines semaines autour de ce véhicule législatif qui abordera à nouveau notamment la question de la maîtrise de la consommation énergétique des logements. Faute de recul, il est en revanche encore "trop tôt pour évaluer les effets de la loi Énergie-Climat", explique Marie-Noëlle Battistel. Ce sera l’objet d’un rapport d’évaluation présenté quant lui à l’issue d’un délai de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
Mi-parcours
Près d’une vingtaine de mesures d'application réglementaires ont été prises, soit un taux d’application de 47%, et moins de la moitié des ordonnances, soit 44%, d’après les chiffres du ministère chargé des relations avec le Parlement figurant dans le rapport. En incluant la publication des arrêtés ministériels, on parvient à un taux de 59% de textes réglementaires pris à la mi-janvier. Et 80% le seront "à la fin du premier trimestre 2021", selon l'estimation des rapporteurs. Quinze mois après la publication de la loi, ces taux d’application apparaissent "plutôt satisfaisants" au regard de ce contexte difficile, remarque Anthony Cellier, à rebours des députés présents qui ont massivement exprimé leur frustration, y compris dans les rangs de la majorité. Le nouveau président du Conseil supérieur de l’énergie (CSE) se veut confiant, la plupart des mesures d’application manquantes devraient être prises d’ici avril. La publication au Journal officiel, ce 18 février, de l’ordonnance (prévue à l’article 52 de la loi) définissant le cadre cadre de soutien applicable à l'hydrogène, ainsi que la possibilité de son transport, son stockage et sa traçabilité, paraît abonder dans son sens.
Ne pas rater le rendez-vous de la loi quinquennale
Dans le volet "objectifs de la politique énergétique", un texte est particulièrement attendu. Il s’agit du décret qui doit préciser les modalités de la concertation préalable adaptée pour la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). La loi Energie-climat a permis de cranter un rendez-vous quinquennal au travers d’une loi programmatique fixant les grands objectifs énergétiques en termes d’énergies renouvelables, de consommation d’énergie, de sortie des énergies fossiles et du niveau minimal et maximal d’obligation des certificats d’économies d’énergie (CEE). "Désormais, les parlementaires ne la regarderont plus passer comme un train mais pourront s’impliquer, l’amender, la faire avancer", relève Anthony Cellier. Les rapporteurs soulignent donc la nécessité de prendre "rapidement" le décret "afin que celui-ci soit pleinement applicable avant le début de l’examen de la première loi quinquennale, celle-ci devant être adoptée avant le 1er juillet 2023". Ils estiment en outre qu’il serait nécessaire "d’associer les parlementaires à l’élaboration de ce décret structurant pour notre politique climatique". Le Conseil d’Etat devrait en être saisi ce mois-ci laissant espérer une publication en mars.
CEE : l’arsenal anti-fraude au complet
Le projet de décret fixant les obligations de la cinquième période des CEE (2022-2025) a été dévoilé. Il prévoit une obligation totale de 2.400 TWhc, en hausse de 12,5% par rapport à la quatrième période du dispositif. "Il faudra que le niveau d’obligation coïncide avec ce qui sera adopté dans la future loi [quinquennale] et qu’il soit adapté le cas échéant", relève Marie-Noëlle Battistel. La rapporteure se félicite par ailleurs que l’article 36 de la loi Énergie-Climat et les arrêtés pris en mars dernier pour son application, dont le référentiel d’accréditation applicable aux organismes d’inspection, renforcent la lutte contre la fraude aux CEE "grâce à des procédures de contrôles plus précises et plus fiables". Le décret n° 2020-655 du 29 mai 2020 "bien que non prévu par l’article 36 de la loi" permet en outre de procéder aux adaptations nécessaires en raison des dispositions législatives introduites. Il en est ainsi de la durée de validité des CEE et des sanctions applicables aux obligés en cas de manquement à leurs obligations déclaratives.
Régulation du secteur de l'énergie
Dans cette liste des mesures pleinement applicables figure le dispositif des garanties d’origine du biogaz (décrets n°2020-1700 et n°2020-1701 du 24 décembre 2020). Celui (prévu à l’article 33 de la loi) sur le soutien public aux projets de production d’électricité et de biogaz utilisant des technologies innovantes est encore dans les tuyaux... Le rapport mentionne également la publication du décret (n°2020-1414 du 19 novembre 2020) relatif aux modalités de calcul du complément de prix et de sa répartition entre EDF et les fournisseurs dans le cadre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) ou encore de l’ordonnance (n°2020-161 du 26 février 2020 et décret n° 2020-1320 du 30 octobre 2020) permettant au président de la CRE de transiger sur les demandes de remboursement de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Et la tâche est immense : 55.000 demandes de restitution ayant été déposées devant elle et 15.000 litiges étant pendants devant le tribunal administratif de Paris. Le décret (n° 2020-1561 du 10 décembre 2020) précisant la notion de communes rurales bénéficiaires des aides à l’électrification rurale a quant à lui été pris en toute fin d’année.
Fermeture des centrales à charbon
Au chapitre "Climat", la mesure prévue par l'article 12 de la loi a particulièrement retenu l'attention des rapporteurs. Le décret (n°2019-1467 du 26 décembre 2019) instaurant un plafond d’émissions de gaz à effet de serre pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles entrera en vigueur en 2022. Ce plafond annuel d’émissions - fixé à 0,7 kilotonne d’équivalents dioxyde de carbone par mégawatt de puissance électrique installée - "rend inéluctable la fermeture effective des centrales à charbon compte tenu de leur régime actuel de fonctionnement". L’ordonnance (n°2020-921 du 29 juillet 2020) relative à l’accompagnement des salariés touchés par ces fermetures a également été publiée. Des inquiétudes persistent toutefois sur "la période entre la fin des mesures de soutien et le retour à l’emploi et concernant l’ancrage territorial des mesures d’accompagnement des salariés", relève le rapport, qui reconnait cependant l’effort de concertation salué par les organisations syndicales.
Performance énergétique des logements : des dispositifs à coordonner
L’ordonnance - prévue à l’article 15 de la loi Énergie-Climat - doit permettre d’harmoniser dans les textes en vigueur la notion de bâtiment ou partie de bâtiment à consommation énergétique excessive. En réalité, l’habilitation prévue par l’article 45 du projet de loi Climat et résilience devrait s’y substituer. La révision du diagnostic de performance énergétique (DPE) et la définition d’un "logement à consommation excessive" auront vocation à aiguiller les débats et à être utilisés systématiquement dans les textes. Sur le critère de décence des logements, un second décret devrait paraître au premier semestre 2021, fixant des seuils plus exigeants et qui entreront en application plus tardivement. Le décret (article 22 de la loi) définissant les critères d’exonération au regard desquels certains bâtiments à usage d’habitation pourront excéder le seuil de 330 kilowattheures de consommation d’énergie primaire par mètre carré et par an (passoires thermiques), à compter de 2028, est annoncé pour mars.
Des textes toujours en attente…
Sur le fondement de l’article 40 de la loi, un arrêté du 21 novembre 2019 (complété par un arrêté modificatif du 14 octobre 2020) a déterminé les critères, notamment de proximité géographique, de l’autoconsommation collective étendue. Par ailleurs, le même article a introduit en droit interne les "communautés d'énergie renouvelables", dont les modalités d'application doivent être précisées par un décret, annoncé "à la fin du premier semestre 2021", une coordination étant nécessaire avec les mesures de transposition des directives du "paquet d’hiver".
Sur l’autoconsommation collective, le décret précisant les conditions de mise en œuvre des projets par des organismes HLM devrait passer au CSE cette semaine. Tout comme le décret relatif au comparateur d’offres vertes du médiateur national de l’énergie. Sur l’article 59 qui permet aux collectivités et aux opérateurs des zones non interconnectées de mettre en œuvre des actions de maîtrise de la demande d’électricité et de ce fait de bénéficier d’une compensation par l’État, seule la collectivité de Corse a pour l’instant manifesté un intérêt. Un arrêté concernant cette seule collectivité devrait donc être pris dans les prochaines semaines.
Plusieurs rapports sont enfin attendus, notamment dans le logement, sur l'atteinte des objectifs de rénovation énergétique (article 25 de la loi), et concernant la contribution des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires aux politiques de transition écologique et énergétique (Sraddet) (article 68).