Habitat - Logement : le choc de l'offre va-t-il manquer d'Elan ?
Le commissariat général au développement durable (CGDD) a publié le 27 juillet les chiffres de la construction de logements au 30 juin 2018. Après que le secteur a frôlé les 500.000 logements neufs en 2017 (voir notre article du 29 janvier 2018), ceux-ci confirment le ralentissement de la production de logements, à l'œuvre depuis le second semestre de l'an dernier (voir nos articles du 9 février et du 2 mai 2018). Il s'agit toutefois d'un tassement et non d'un effondrement, toute la question étant désormais de savoir si les mesures incitatives prévues par la loi Elan ("portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique") - qui ne produiront progressivement leurs effets qu'après la parution des textes d'application - permettront véritablement de créer le "choc de l'offre" annoncé par le gouvernement, dans un marché qui tend au contraire à se contracter.
Recul pour les autorisations et les mises en chantier au deuxième trimestre
Au deuxième trimestre 2018, le nombre de logements autorisés à la construction (autrement dit les permis de construire) marque un recul de 0,6% après +1,1% au premier trimestre, en données corrigées des variations saisonnières et des jours ouvrables (CVS-CJO). L'écart dans les tendances se creuse toutefois entre les différentes catégories : les autorisations de logements collectifs (y compris en résidence) continuent de progresser (+5,1% après +2,5%), alors que les logements individuels poursuivent et amplifient leur baisse (-8,8% après -0,9%).
Toujours au second trimestre 2018, les mises en chantier continuent, pour leur part, de reculer (-2,8% après -3,6%). Cette baisse se manifeste aussi bien dans le logement individuel (-4,9% après +1,4%) que dans le collectif y compris en résidence (-1,3% après -7,0%).
Sur un an, baisse des autorisations et hausse des mises en chantier
Si on considère les douze derniers mois (du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018), les autorisations de logements enregistrent une légère baisse de 0,7% par rapport aux douze mois précédents. Le fléchissement touche surtout les logements individuels (-1,9%), alors que le nombre de logements collectifs, y compris en résidence, stagne à +0,1% (+1,2% pour les logements collectifs ordinaires et -7,8% pour les logements en résidence). Au final, les permis de construire délivrés sur une année glissante représentent 486.600 logements.
La situation est meilleure en matière de mises en chantier, avec une progression globale de +5,2%, correspondant à la mise en chantier de 422.700 unités sur un an. Cette hausse se répartit en +3,1% pour les logements individuels et +6,7% pour les logements collectifs (+8,2% pour les logements collectifs ordinaires et -3,8% pour les logements en résidence).
Compte tenu des délais moyens d'ouverture de chantier après l'obtention du permis - soit 5,1 mois pour les logements individuels et 11,2 mois pour les logements collectifs - le recul des autorisation de constructions du second semestre se traduira par un baisse des mises en chantier à la fin de cette année et en 2019.
La Bretagne et l'Île-de-France s'en tirent bien
En termes géographiques, la situation est comme toujours très contrastée. En cumul sur les douze derniers mois (1er juillet 2017 - 30 juin 2018) et tous types de logements confondus, les autorisations de logements progressent de 12,9% dans la région Grand Est, alors qu'elles reculent de 10,6% en Centre-Val de Loire. Les autres régions en positif sont la Bretagne (+7,5%), la Corse (+4,4%), l'Île-de-France (+1,3%) et les Pays de la Loire (+0,7%). La Nouvelle-Aquitaine stagne et les autres régions (DOM compris) enregistrent des baisses comprises entre -10% et 0%.
La situation est différente du côté des mises en chantier, où toutes les régions enregistrent des hausses, à l'exception de la Corse (-22,9%), des DOM dans leur ensemble (-8,2%), de la Nouvelle-Aquitaine (-4,3%) et des Hauts-de-France (-1,2%). A l'inverse, les plus fortes hausses des mises en chantier concernent la Normandie (+17,3%), la Bretagne (+13,9%) et l'Île-de-France (+12%).
Des signes avant-coureurs
Au-delà des chiffres du CGDD, un certain nombre de signaux laissaient entrevoir ce tassement de la production de logements. Côté logement social tout d'abord. Évoquant un "choc systémique" à propos de la baisse des APL, puis de la RLS (réduction de loyer de solidarité) et aujourd'hui du projet de loi Elan, la Fédération des offices publics de l'habitat (OPH) - qui représente la moitié du parc social avec 2,4 millions de logements - indiquait, dans une enquête présentée lors de son assemblée générale annuelle à Grenoble, les 7 et 8 juin derniers, que la moitié des OPH se préparent à réduire leurs investissements (voir notre article du 12 juin 2018).
Sur un créneau plus étroit, Jaques Mézard, le ministre de la Cohésion des territoires, reconnaissait récemment que l'objectif de 10.000 logements en pensions de famille et de 40.000 logements en intermédiation sociale - annoncé dans le cadre du plan Logement d'abord - serait difficile à atteindre (voir notre article du 9 juillet 2017).
Et, du côté des politiques, Philippe Dallier, sénateur (LR) de la Seine-Saint-Denis, soulignait, à l'occasion de l'examen du projet de loi Elan, les efforts du Sénat pour "éviter le pire, alors que la chute de la construction provoquée par la loi de finances a déjà commencé".
Le secteur privé s'inquiète aussi
L'optimisme ne règne pas non plus chez les acteurs privés du logement. Alain Dinin, le PDG de Nexity, prédit ainsi, dans un entretien à l'AFP, que "le gouvernement va constater en 2019 une baisse [...] des logements mis en production". Évoquant, lui aussi, le secteur du logement social - acquéreur de programmes immobiliers via la Vefa (vente en l'état futur d'achèvement) -, le patron du premier promoteur français estime que "la recomposition du monde HLM fait que pendant qu'ils ne savent pas, ils ne produisent pas...".
Même son de cloche du côté de la FFB (Fédération française du bâtiment), lors de sa dernière conférence de presse trimestrielle sur la conjoncture du bâtiment, le 11 juillet. Pour Jacques Chanut, son président, "le gouvernement en place fin 2017 a raboté le PTZ et le Pinel, supprimé l'APL accession et profondément bouleversé le modèle du logement social ; un effondrement s'en suit presque mécaniquement. [...] Nous tirons aujourd'hui la sonnette d'alarme : les aspects positifs à long terme de la loi Elan ne permettront pas de compenser cette menace à court terme". Dans sa note de conjoncture, la FFB indique que "les ventes, dans le neuf, sont entraînées dans une même dynamique négative : -5,1% au premier trimestre 2018 pour la promotion immobilière, et -14,3% dans l'individuel diffus sur les cinq premiers mois de l'année".
Le PTZ, vous dis-je...
Pour sa part, LCA-FFB (Les Constructeurs et aménageurs - Fédération française du bâtiment, qui représente les artisans et petites entreprises du bâtiment) avait déjà jeté un froid en début d'année, en indiquant que la construction de maisons individuelles - principale bénéficiaire du financement par le PTZ -, après avoir très fortement progressé en 2015 (+13,7%) et 2016 (+19,5%), a connu un sérieux coup de frein en 2017, avec une progression de seulement 1% (voir notre article du 9 février 2018).
Le recul du PTZ semble d'ailleurs se confirmer. Au premier trimestre 2018, selon le rapport d'application de la loi fiscale (Ralf) publié le 18 juillet par la commission des finances de l’Assemblée nationale (voir l'encadré de notre article du 25 juillet 2018), les attributions de PTZ étaient en baisse de 37% par rapport au premier trimestre 2017. La production de PTZ n'était plus que de 12.154 au premier trimestre 2018, contre 19.000 un an plus tôt. Une baisse liée au recentrage du PTZ sur les zones tendues (voir notre article du 4 janvier 2018).
Enfin, dernier indice : après plusieurs mois de hausse, l'intérim dans le bâtiment a reculé de 6,4% au mois de mai 2018 par rapport au même mois de 2017. Ce recul est d'autant plus significatif que, d'après les chiffres de Prism'emploi (la fédération professionnelle de l'intérim), l'activité est en hausse dans tous les autres secteurs, qu'il s'agisse des transports (+14,1%), des services (+4,5%), du commerce (+2%) et même de l'industrie (+0,8%).
Choc de l'offre : Elan prend du retard
Après la rapide remontée de la production de logements en 2016 (+14,2% pour les autorisations de logements) et 2017 (+8,4%) - au point de frôler les 500.000 autorisations à la fin de 2017 (voir notre article du 29 janvier 2018) -, un tassement était à prévoir. Le gouvernement l'avait d'ailleurs anticipé, en annonçant un "choc de l'offre" à travers sa stratégie en matière de logement (voir notre article du 20 septembre 2017).
Celui-ci doit notamment passer par l'intermédiaire du projet de loi Elan. Plusieurs mesures de ce texte devraient en effet contribuer à ce "choc de l'offre" (voir notre article du 20 avril 2018) : création du projet partenarial d'aménagement (PPA) et des grandes opérations d'urbanisme (GOU) pour "soutenir une dynamique de construction", simplification des procédures imposées aux opérations d'aménagement, mesures en faveur de la libération du foncier, facilitation de la transformation de bureaux en logements, simplification des procédures d'urbanisme, aménagement du régime de la Vefa, sécurisation des autorisations de construire contre les recours abusifs, restructuration du secteur du logement social, accélération de la vente de logements sociaux (avec réinvestissement dans la production de logements neufs), encadrement des locations meublées touristiques...
Mais le projet de loi Elan prend du retard. En raison de l'affaire Benalla et de ses suites (commissions d'enquête, motion de censure...), la commission mixte paritaire (CMP) qui devait se tenir fin juillet - juste avant la fin de la session parlementaire - pour tenter de rapprocher les version de l'Assemblée et du Sénat a dû être reportée en septembre.
Même en faisant abstraction de ce retard imprévu, il faudra de toute façon plusieurs semaines ou plusieurs mois pour prendre les textes d'application nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures, et des délais plus longs encore pour qu'elles produisent leurs effets.
Elan et les autres
Le projet de loi Elan n'est toutefois pas le seul vecteur d'un éventuel "choc de l'offre", même s'il doit en être l'outil principal. Le gouvernement a pris en effet, ces derniers mois, plusieurs autres dispositions en ce sens. On peut citer par exemple l'annonce, par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) - sur l'insistance pressante du chef de l'Etat et du gouvernement - d'une quinzaine de mesures pour permettre la relance immédiate des mises en chantier de logements dans le périmètre de l'Anru sur l'ensemble du territoire (voir notre article du 30 mai 2018).
Pour accélérer la libération de foncier constructible, le gouvernement n'a pas hésité à faire adopter des mesures fiscales très favorables, à la portée nettement plus large que la seule libération du foncier public, qui peine à décoller (voir nos articles ci-dessous du 23 octobre et du 8 décembre 2017 et du 3 juillet 2018).
Le financement du logement social n'a pas été oublié avec la signature d'une nouvelle convention tripartite entre l'État, la Caisse des Dépôts et Action logement pour mettre en place une enveloppe de deux milliards d'euros de prêts de haut de bilan, assimilables à des "quasi-fonds propres" (voir notre article du 5 juin 2018).
Une course contre la montre, mais où est la ligne d'arrivée ?
Enfin, certains éléments de contexte restent favorables, à l'image de taux immobiliers qui restent au plus bas : 1,44% en moyenne sur les crédits immobiliers, toutes durées confondues, en juin 2018, après 1,46% en mai. Mais ces taux bas ne suffisent toutefois plus à compenser la hausse des prix dans la pierre (+3,5% sur un an au premier trimestre 2018 selon les chiffres des notaires).
De même, la confiance des acteurs est loin d'avoir complètement disparu. En même temps qu'elle "tirait la sonnette d'alarme" sur un possible "effondrement" de la production de logements (voir plus haut), la FFB annonçait, lors de sa conférence de presse du 11 juillet, le lancement à la rentrée un plan massif de recrutement de 15.000 personnes, dirigé en priorité vers les jeunes et les demandeurs d'emploi issus des quartiers de la politique de la ville.
Au final, c'est bien une course contre la montre qui s'engage entre une offre de logements qui montre des signes tangibles d'affaiblissement susceptibles de s'aggraver dans les prochains mois et un choc de l'offre qui doit la relancer mais ne produira pas ses effets avant plusieurs mois. Les perceptions et anticipations des acteurs vont donc jouer un rôle essentiel.
Le tout avec une question dont on attend toujours la réponse depuis des années : quel doit être le choc de l'offre - ou plus précisément le bon niveau annuel de production de logements - dans un pays qui compte 2,8 millions de logements vacants, soit 8% du parc, et où ces derniers croissent depuis des années 2 fois plus vite que la population, 2,5 fois plus vite qu'entre 2000 et 2010 et 6 fois plus vite qu'entre 1990 et 2000 ? Une situation "terrible" qui, selon les termes de Julien Denormandie, le secrétaire d'État auprès du ministre de la Cohésion des territoires, "pourrit le secteur du logement aujourd'hui"... (voir notre article du 28 juin 2018).