Archives

Economie - L'OCDE incite la France à plus de réformes

Les recommandations de l'OCDE pour l'économie française constituent une "base de travail" pour la France, a estimé le ministre de l'Economie, mardi. Au menu de ce rapport de coloration libérale : fusion des petites communes, suppression des départements, plus de "flexicurité" (assouplissement des licenciements, diminution du Smic...), extension du RSA, assouplissement des règles d'urbanisme commercial, renforcement de l'autonomie des universités... Un catalogue qui n'est pas sans rappeler un certain rapport Attali de 2008...

Le gouvernement français doit multiplier les réformes structurelles sans pour autant durcir la rigueur budgétaire, estime l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son étude économique consacrée à la France publiée ce mardi 19 mars. Selon ce rapport, la stagnation de l'activité va se poursuivre, avec une prévision de croissance pour 2013 révisée à la baisse à 0,1%, contre 0,3% attendu en novembre dernier. L'organisation rejoint ainsi la Commission européenne dans son diagnostic. Le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, a assuré qu'il s'agissait là d'une "base de travail" pour la prévision gouvernementale attendue dans les prochains jours. Pour 2014, l'OCDE table toujours sur une croissance modeste de 1,3%. Cette reprise très progressive devrait permettre au chômage de "se stabiliser fin 2013" autour de 11,25% de la population active. L'emploi des jeunes et des seniors reste "le talon d'Achille de la société française", a néanmoins prévenu le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria.
L'OCDE ne recommande pas au gouvernement de prendre de nouvelles mesures d'austérité. "Compte tenu de l'effort déjà réalisé, nous pensons qu'il convient de ne pas ajouter davantage de rigueur à la rigueur cette année", a lancé Angel Gurria à Pierre Moscovici lors d'une conférence de presse. Selon son étude, c'est bien la poursuite de réformes structurelles qui "permettrait de minimiser les risques". "Le calendrier politique offre une occasion unique de mettre en oeuvre une stratégie ambitieuse de réformes permettant d'accroître l'efficacité et de réduire le coût des politiques publiques", insiste le club des pays riches. "L'enjeu, c'est de réaliser partout des gains d'efficience pour préserver le haut niveau de protection sociale cher aux Français", a insisté Angel Gurria.
A ce titre, les experts ne manquent pas d'imagination... Ils publient ainsi tout un catalogue de mesures - pour la plupart d'inspiration libérale - susceptibles, selon eux, de diminuer le niveau des dépenses publiques, dont la France détient le record au sein de l'OCDE juste derrière le Danemark. Parmi ces recommandations,  certaines sont déjà à l'étude (amélioration de la formation professionnelle, réforme des retraites, dispositions en matière d'éducation...). D'autres ont en revanche beaucoup moins de chances de séduire les esprits français. Un grand nombre d'entre elles, en tout cas, devraient faire grincer des dents. Comme un petit air de rapport Attali... y compris pour la proposition choc de l'ex-commission pour la libération de la croissance qui, en 2008 et 2010, recommandait que l'on supprime le département.

Des institutions locales… et de leurs finances
"Fusionner les plus petites communes et supprimer les départements." Cette recommandation a sans doute le mérite d'être claire. Radicale. Elle tombe toutefois comme un cheveu sur la soupe au moment où les élus français s'apprêtent à entamer de longs mois de débats autour de chacune des subtilités du projet de loi de décentralisation attendu pour le 10 avril en Conseil des ministres. La logique de l'OCDE est lapidaire : "Simplifier la structure des administrations infranationales, notamment en fusionnant les plus petites des 36.700 communes et en supprimant les départements, engendrerait des économies d'échelle substantielles." L'intercommunalité à la française n'aurait, selon les experts internationaux, rien arrangé : alors qu'elle "aurait dû permettre de rationaliser les dépenses entre communes", elle serait en réalité venue "surtout ajouter un niveau supplémentaire à une organisation territoriale déjà complexe". Des experts qui considèrent en outre que le cumul des mandats "représente un obstacle à la réforme profonde de l'organisation territoriale et, au-delà, au bon fonctionnement des institutions", probablement parce qu'ils estiment que les parlementaires qui sont en même temps élus locaux ont fort peu de chances de voter un texte qui supprimerait un niveau de collectivité.
L'OCDE voit d'un bon œil la "pression actuelle à la baisse des dotations aux communes", en ce qu'elle est "de nature à encourager la mutualisation des services et de dégager ainsi des économies". Ces dotations pourraient même être réduites davantage "lorsque les gains de productivité réalisables, déterminés sur la base d'analyses comparatives, sont importants". Enfin, toujours pour "mieux maîtriser les dépenses" des collectivités, le rapport préconise de "transformer les recettes fiscales pré-affectées en dotations budgétaires". Citant l'exemple de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, ex-TIPP), ses auteurs estiment en effet qu'aujourd'hui, "toute recette fiscale inattendue a tendance à être dépensée" par les collectivités.

Marché du travail
Angel Gurria a félicité le gouvernement pour l'adoption récente du crédit d'impôt compétitivité emploi et l'accord de janvier entre partenaires sociaux sur la sécurisation de l'emploi en qui il voit "des signaux bienvenus et très importants". Mais il a exhorté le ministre de l'Economie à aller plus loin dans le sens de la "flexicurité". Alors que le projet de loi sur la sécurisation de l'emploi (traduisant l'accord de janvier) présenté en Conseil des ministres le 6 mars passera à l'Assemblée début avril, l'OCDE suggère d'élargir la définition de licenciement économique, de simplifier les procédures de licenciement et de reclassement, et d'allonger les périodes d'essai des CDI... Elle s'en prend également au Smic dont le niveau est "plus élevé que dans n'importe quel pays de l'OCDE". Rappelant que le chômage des 20-24 ans n'est pas descendu en dessous de 16% depuis trente ans, Angel Gurria juge qu'il y a "urgence" à améliorer leur situation économique. Sa solution : "poursuivre la modération salariale", en réduisant le Smic... Le rapport propose d'instaurer un Smic progressif en fonction de l'âge et d'envisager dans le même temps un niveau du Smic au niveau régional "si des analyses plus approfondies montrent que le coût du travail constitue un frein important à l'emploi régional".
Le rapport propose par ailleurs de "faire remonter le pilotage des missions locales au niveau régional (tout en préservant l'implication sur les bassins d'emplois locaux)", ce qui "engendrerait des gains d'efficience". Dans le même temps, les missions d'orientation remonteraient au niveau régional, comme le prévoit le projet de loi de décentralisation.

Un RSA élargi
L'OCDE rappelle que la "garantie jeunes" prévue dans le plan de réduction de la pauvreté présenté en janvier ne viserait que 100.000 jeunes, soit 10% des jeunes qui ne sont "ni à l'école, ni en formation ni en emploi"… Elle propose donc d'étendre le RSA aux jeunes adultes ayant terminé leurs études selon un barème progressif en fonction de l'âge (le barème serait identique à celui du "Smic progressif"), en contrepartie d'une "stratégie d'activation efficace" : formation, démarches actives de recherche d'emploi… L'opération pourrait être "intégralement financée par la suppression des allégements régressifs procurés par le rattachement des jeunes majeurs au foyer fiscal familial et des prestations familiales auxquels ils donnent droit"…
Alors que le plan de réduction de la pauvreté prévoit une meilleure articulation entre le RSA et la prime pour l'emploi (le député Christophe Sirugue remettra un rapport sur le sujet fin mai), l'OCDE préconise une fusion des deux dispositifs.
Elle se montre sceptique vis-à-vis des deux dispositifs phares de la politique d'emploi du gouvernement : les emplois d'avenir devant être limités "à de l'intervention contra-cyclique d'urgence" et le contrat de génération qui vient d'entrer en vigueur cette semaine. "Il serait préférable de s'attaquer directement aux effets négatifs du mode de formation des salaires de ces catégories de salariés, ce qui permettrait en outre d'éviter de grever les comptes publics", argue le rapport.

Formation professionnelle
Le corollaire de cet assouplissement du marché du travail est le serpent de mer de la réforme de la formation. Le rapport ajoute un couche supplémentaire à la somme de critiques accumulées depuis des années sur le système français, "qui absorbe 1,5% du PIB, bénéficie peu à ceux qui en ont le plus besoin (les titulaires de contrats temporaires et les peu qualifiés) et délivre souvent des formations de mauvaise qualité". Ce sera le chantier du projet de loi préparé par le ministre délégué Thierry Repentin qui a annoncé le 18 mars un projet de loi pour "l'hiver prochain".

Urbanisme commercial
En dépit de la loi de modernisation de l'économie de 2008, fortement critiquée par les élus locaux, l'OCDE estime que les règles d'urbanisme commercial sont encore trop restrictives. "Une autorisation spéciale reste requise pour l'ouverture d'une surface supérieure à 1.000 m2 alors que les critères d'attribution des permis de construire prennent déjà en compte des objectifs d'aménagement du territoire, d'urbanisme et d'environnement (…). Les demandes d'autorisation d'ouverture de grandes surfaces devraient être examinées et consenties sur la base des critères établis dans les plans d'urbanisme généraux et sans discrimination fondée sur la taille." Outre la suppression des autorisations spéciales pour l'urbanisme commercial, l'organisation appelle à élargir les compétences de l'intercommunalité en matière de permis de construire et de plan local d'urbanisme.

Transports
L'OCDE pointe le secteur du rail comme un autre secteur dans lequel la France est en retard sur la plupart des pays européens en termes de libéralisation et de concurrence. Elle considère que la décision récente du gouvernement de fusionner le gestionnaire du réseau (RFF) et la SNCF est "un pas en arrière", même si la façon dont la séparation avait été conduite en 1997 n'a pas permis à ses yeux de renforcer suffisamment la concurrence. Elle juge aussi souhaitable la séparation juridique et fonctionnelle des gares vis-à-vis de la SNCF et, en se fondant sur l'exemple allemand, plaide pour l'abandon du statut de cheminot pour les nouvelles recrues de l'opérateur historique, un point essentiel selon elle pour accroître la concurrence dans le secteur. La concurrence dans les transports étant aussi intermodale, l'OCDE veut aussi doter l'ensemble du secteur - y compris le transport aérien et routier, aujourd'hui mal régulés - d'un régulateur indépendant.

Inégalités scolaires
L'OCDE recommande une série de mesures en matière scolaire, s'efforçant d'être "budgétairement neutres" : réaffecter une partie des dépenses d'éducation du secondaire vers le primaire ("la dépense par élève dans le primaire représente environ la moitié de celle du deuxième cycle du secondaire contre quatre cinquièmes en moyenne dans les pays de l'OCDE", note le rapport) et vers la scolarisation dès deux ans pour les enfants de milieux défavorisés ; consacrer les dépenses publiques supplémentaires allouées à l'éducation à rendre l'éducation prioritaire "réellement prioritaire" (voir ci-dessous) ; valoriser davantage les pratiques pédagogiques dans la formation des enseignants ; réduire rapidement le recours au redoublement et renforcer l'individualisation de l'enseignement ; adapter les rythmes scolaires au biorythme des enfants, séparer nettement les fonctions d'orientation de celles de psychologue pour les conseillers d'orientation-psychologues…
Bref, rien que ne pourrait renier Vincent Peillon… Il est toutefois fort peu probable que le ministre de l'Education nationale reprenne un jour à son compte cette pique de l'OCDE : "Il semble paradoxal que persistent en France de fortes inégalités scolaires en amont et qu'une protection sociale généreuse mais fort coûteuse soit mobilisée en aval afin de corriger les inégalités socio-économiques qui en découlent." 

Education prioritaire
La politique française d'éducation prioritaire est jugée "erratique" par l'OCDE qui observe également qu'elle a "conduit à des résultats décevants", d'autant que "les moyens mis en œuvre sont très limités quoique mal identifiés". Elle recommande, sur la base d'expériences réussies à l'étranger, d'y consacrer des ressources supplémentaires "conséquentes", soit "d'environ 0,13 % du PIB par an" (c'est-à-dire, note-t-elle, un "ordre de grandeur (qui) correspond peu ou prou aux montants dégagés par le gouvernement pour créer 60.000 postes dans l'éducation au cours du quinquennat"). Ces moyens seraient utilisés suivant trois axes : le renforcement de la qualité du corps enseignant (incitations financières, formation spécialisée, équipe pluridisciplinaire) ; l'amélioration de l'efficacité des équipes de direction (formation, sélection, autonomie et soutien des directeurs) ; et l'implication des parents. Elle recommande également de développer le soutien scolaire individualisé.
L'OCDE ne semble pas hostile à "remettre en question l'idée même de zonage qui engendre de forts effets de stigmatisation". Le zonage serait remplacé par des enveloppes budgétaires supplémentaires qui seraient allouées aux écoles en fonction des caractéristiques individuelles des élèves qui y sont scolarisés, comme aux Pays-Bas.

Autonomie des écoles primaires
L'OCDE recommande de développer l'autonomie des écoles primaires et de leurs directeurs, estimant que "les responsabilités des directeurs d'école primaires ne sont pas claires", car "ils ne disposent ni de l'autorité leur permettant d'assumer une réelle responsabilité pédagogique, ni des moyens suffisants pour remplir leurs responsabilités administratives". Elle note également que "la rationalisation des moyens est également déficiente en raison de la persistance d'un grand nombre de petites écoles, lui-même lié à la multitude de petites communes".

Autonomie des universités
"Rééquilibrer le financement public de l'enseignement supérieur en faveur des universités et accroître leur autonomie", recommande l'OCDE, pointant du doigt le fait que "malgré des efforts récents, les ressources financières des universités restent insuffisantes en comparaison internationale et par rapport aux autres établissements d'enseignement supérieur". Elle suggère de prendre exemple sur "le succès des grandes écoles [qui] s'est construit sur un environnement très sélectif et une autonomie relativement forte". Dès lors, "l'accroissement de l'autonomie pourrait offrir aux universités une plus grande liberté dans la fixation des droits d'inscription, la sélection de leurs étudiants et la gestion des ressources humaines".

Logement des jeunes
L'OCDE pointe un "système hybride [qui] hésite entre autonomie et solidarité familiale, et est inéquitable car les jeunes sans emploi et dépourvus d'un soutien familial solide financièrement se retrouvent dans des situations difficiles", le tout dans un contexte d'offre insuffisante de logements étudiants et de petits logements dans le parc social.

Marché du logement
Un court paragraphe dans le rapport de l'OCDE invite à "améliorer le fonctionnement du marché du logement", parce que "au-delà de son impact sur le pouvoir d'achat et les inégalités, l'augmentation des prix immobiliers peut peser sur la compétitivité des entreprises" et que "la hausse des prix immobiliers aurait contribué aux mauvaises performances des exportations françaises". Le rapport renvoie alors aux recommandations d'une précédente étude de l'OCDE faisant la promotion de mesures telles que : élargir certaines compétences au niveau intercommunal (en matière de permis de construire, plan local d'urbanisme…), fusionner les organismes de logement social à un niveau supra-municipal, réviser le système d'attribution, ouvrir le marché du logement social aux prestataires privés, rapprocher les loyers du logement social des prix du marché (plutôt que les rattacher aux coûts supportés au moment de leur construction), continuer de centrer l'attribution des logements sociaux sur les ménages les plus défavorisés et accroître la sortie du parc des ménages dont le revenu est supérieur au revenu médian…

 

Pour aller plus loin

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis