Locaux commerciaux : l'actualisation des valeurs locatives pourrait être reportée
Une mise à jour des "paramètres collectifs" utilisés pour l'évaluation des valeurs locatives des locaux professionnels devait entrer en vigueur l'an prochain. Avec à la clé de possibles variations très significatives des montants dus par certaines entreprises au titre des impositions locales et donc, côté collectivités, d'éventuelles évolutions des ressources. Mais l'exécutif penche désormais pour un report de la réforme. Les associations d'élus locaux et l'Afigese plaidaient pour cette option.
Catégories de référence, secteurs, coefficients de localisation… les paramètres qui servent à la fixation des valeurs locatives des locaux professionnels, lesquelles sont au cœur du calcul de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises (CFE) dues par le monde économique, devaient être revus cette année, pour une mise en application en 2023. Mais il pourrait ne pas en être ainsi, si l'on en croit les déclarations récentes de plusieurs élus locaux. Évoquant le dossier le 14 septembre, jour de son élection à la présidence de Villes de France, Gil Avérous, maire (LR) de Châteauroux indiquait ainsi qu'"il y a une prise de conscience de la part de Gabriel Attal là-dessus". L'élu qui venait de rencontrer le ministre délégué en charge des comptes publics, dans le cadre d'une réunion de concertation, ajoutait, en parlant de l'exécutif : "Ils vont vraisemblablement suspendre cette réforme." L'information est confirmée par Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France, qui lui aussi a rencontré Gabriel Attal le 14 septembre. Le ministre aurait déclaré à cette occasion : "On met [le dossier] sur pause." La promesse pourrait trouver sa traduction par le dépôt d'un amendement au projet de loi de finances pour 2023, qui sera présenté le 26 septembre et débattu dans le courant de l'automne.
Les élus de Villes de France, France urbaine et Intercommunalités de France, qui de concert demandaient un moratoire de l'entrée en vigueur de l'actualisation des paramètres utilisés pour la détermination des valeurs locatives des locaux commerciaux, auraient donc été entendus. De même que l'Afigese, association qui fédère les responsables des services financiers des collectivités et intercommunalités. Celle-ci appuyait sa demande de report sur des constats et des propositions initiés par son groupe de travail interne dédié à la fiscalité et aux dotations, en partenariat avec France urbaine et Intercommunalités de France.
Photographie trop floue
L'association avait communiqué au cœur de l'été à Bercy les résultats de ces travaux, qui seront par ailleurs présentés le 23 septembre prochain, à Rennes, dans le cadre d'un "forum" des assises annuelles de l'Afigese. Les observations ont été dressées par les représentants d'"environ 25 collectivités et intercommunalités" membres du groupe de travail. Des experts qui ont fait remonter des informations sur le fonctionnement et les décisions prises par les commissions départementales des valeurs locatives (CDVL), après la consultation des commissions communales et intercommunales des impôts directs.
Il ressort que dans la plupart des cas, les CDVL ont eu à faire des observations sur les projets de révision présentés par l'administration fiscale. En outre, elles ont souvent réclamé, avant même les associations d'élus locaux, un report de l'application de l'actualisation des paramètres de l'évaluation des valeurs locatives des locaux commerciaux. En cause : la collecte des loyers, qui est au cœur du système, et qui est considérée comme trop faible. Les services fiscaux ont réuni des données concernant "entre un quart et un tiers des loyers" dus par les locaux commerciaux, révèle Christelle Gaucher, pilote du groupe de travail de l'Afigese. "C'est un niveau bien inférieur à celui qui était constaté pour la mise en œuvre [en 2017] de la révision des valeurs locatives [des locaux commerciaux], où on se situait à environ 50% de collecte".
Conséquence directe : "l'explosion" du recours à la méthode dite par capillarité. Faute de disposer de loyers en nombre suffisant dans une commune, l'administration fiscale se fonde sur les loyers constatés dans les communes limitrophes. Avec des résultats parfois surprenants, comme le constate Sébastien Miossec dans la commune de Riec-sur-Bélon (Finistère), dont il est le maire. Les locaux commerciaux qui s'y trouvent auraient vu leurs loyers peu augmenter ces dernières années. Mais la direction départementale des finances publiques prévoit que ceux-ci passent dans une catégorie supérieure, à l'instar des locaux commerciaux présents dans les communes voisines (qui eux ont enregistré des augmentations de loyers plus significatives). "Il y a un bug", s'alarme l'élu PS, qui est par ailleurs président de Quimperlé communauté. Dans d'autres territoires, "on constate que des hôtels cinq étoiles voient leurs tarifs passer en dessous de ceux des hôtels classés une étoile", fait remarquer Christelle Gaucher.
Manque de simulations
Les élus locaux membres des CDVL ont relevé des incohérences, mais ils ont eu souvent de la peine à faire des propositions, faute de simulations. "Celles-ci étaient attendues à deux titres, précise Christelle Gaucher : d'abord s'agissant des effets de l'actualisation sur les contribuables, et ensuite concernant l'impact sur les recettes à venir des collectivités." Mais les services fiscaux n'ont pas fourni de telles études. En outre, ils auraient fait valoir une obligation de secret fiscal s'appliquant aux données communiquées lors des réunions des CDVL. Un principe qui aurait empêché dans certains cas que les experts territoriaux jouent pleinement leur rôle de conseil auprès des élus.
Autre problème qui est remonté : la difficulté pour les élus de "s'approprier" un dispositif très technique, comme le font savoir Intercommunalités de France. Laquelle pointe aussi des problèmes liés à l'agenda des élus. Or, les textes ne facilitent pas les choses, puisque les maires désignés pour représenter les communes de leur département au sein de la CDVL n'ont pas la capacité d'être suppléés par de simples conseillers municipaux.
Le sujet est pourtant d'une importance majeure. Une application telle quelle, dès l'année prochaine, des paramètres mis à jour de l'évaluation des valeurs locatives pourrait entraîner des évolutions significatives des montants d'imposition dus par les professionnels. "Des variations de bases de plus ou moins 20% à l'échelle d'une commune ou d'un EPCI sont fréquentes", indique le cabinet Klopfer, qui a analysé plusieurs projets présentés par les services fiscaux.
Enjeu de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation
Des élus locaux, dont certains siègent au comité des finances locales, brandissent de leur côté le risque d'une augmentation des cotisations mises à la charge des commerces de centre-ville, et à l'inverse une diminution de celles qui sont perçues sur les commerces situés en périphérie… À rebours des politiques visant à redynamiser les centres-villes. Il faut dire qu'en amont de l'entrée en vigueur de la révision des valeurs locatives des locaux commerciaux en 2017, des simulations de Bercy avaient mis en évidence de telles perspectives. Il faut toutefois demeurer prudent quant à ce risque, tant que l'analyse ne peut pas s'appuyer sur des données robustes, estime la spécialiste de l'Afigese. Qui préfère, avec les responsables de France urbaine et Intercommunalités de France, mettre en avant un autre enjeu : la réussite de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, prévue pour 2026. Un immense chantier qui reposera sur les mêmes méthodes et principes que la révision des valeurs locatives des locaux commerciaux…
"Le système [sur lequel repose la révision des valeurs locatives] est bien conçu, mais la mise en œuvre pêche", conclut Christelle Gaucher. Alors que l'objectif même de la révision est d'aboutir à des valeurs locatives conformes aux valeurs de marché, il est nécessaire de disposer d'une photographie nette, insiste l'experte. À cette fin, l'Afigese propose non seulement l'instauration d'un moratoire sur la réforme (qui ouvrirait la voie à une prolongation de la collecte), mais aussi une refonte de la méthode de collecte des loyers. Il s'agirait d'abandonner le système de déclaration effectuée par les exploitants, qui "n'a pas de caractère obligatoire", et de privilégier une déclaration par les propriétaires eux-mêmes – au moyen du nouveau service en ligne "Gérer mes biens immobiliers", qui a été créé pour eux. Bonne nouvelle, c'est cette option-là que les services fiscaux ont retenue pour recueillir les informations sur les loyers des locaux d'habitation, dans le cadre de la révision à venir.