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Habitat - L'Observatoire de la mixité sociale livre un premier rapport compilant divers regards sur les politiques de peuplement

La mixité sociale "tarte à la crème" des lois Logement depuis 30 ans ? Ce n'est pas tout à fait ce qui transparaît du premier rapport publié par l'Observatoire de la mixité sociale (OMIS) présenté le 11 avril.  Sans complaisance, ce recueil d'articles est autant de regards portés sur la lutte contre toutes les formes de ségrégation urbaine. Parallèlement, le président de l'observatoire Airbnb signe une note pour la Fondation Jean-Jaurès accusant le phénomène de plateforme touristique d'accélérer la gentrification des espaces urbains (notre encadré).

"L'idée que la mixité, le mélange et la rencontre de populations différentes dans une ville sont préférables à la ségrégation ferait sans doute l'unanimité. Mais entre l'idéal et la pratique, il y a un monde", selon  la sociologue-urbaniste Christine Lelévrier, présidente du comité scientifique de l'Observatoire de la mixité sociale (OMIS).
Créé en 2016 par Habitat et Humanisme, l'OMIS publie son premier rapport, intitulé "Regards sur la mixité sociale, comment les villes construisent le vivre-ensemble". Il appréhende la façon dont les villes d'Ile-de-France ont appliqué et appliquent encore les lois successives affichant un objectif de mixité : la loi SRU de 1999, la loi Borloo de 2003, la loi Lamy de 2014, la loi Egalité et Citoyenneté de 2017, et bientôt la loi Elan avec sa volonté de fluidifier l'occupation du parc social...

La loi SRU "un formidable accélérateur de la transformation sociale"

En l'occurrence, à entendre Christine Lelévrier, et Bernard Devert, président-Fondateur d'Habitat et Humanisme, on n'a jamais fait mieux depuis la loi SRU. Pour Bernard Devert, elle a été (et est toujours) "un formidable accélérateur de la transformation sociale". "En Europe, la France est le seul pays à avoir adopté une loi visant à faire, sur l'ensemble du territoire, de la mixité par une répartition équilibrée des nouveaux logements sociaux construits", souligne Christine Lelévrier. Une politique qui, selon elle, "reste assez ambitieuse" même si "il ne faut pas attendre des politiques du logement qu'elles résolvent à elles seules des problèmes qui relèvent de la cohésion sociale".
Le rapport compile, sur près de 200 pages, une série d'articles livrant chacun un "regard" singulier sur l'impact des politiques de l'habitat sur la mixité sociale depuis 30 ans. Les cinq chercheurs du comité scientifique y ont naturellement contribué : la présidente Christine Lelévrier (avec notamment son article " Mixité sociale : pourquoi tant de controverses"), la sociologue Stéphanie Vermeersch ("Les classes moyennes, boucs émissaires"), les géographes Lionel Rougé ("Des espaces de plus en plus fragmentés") et Christophe Noyé ("La difficulté de montrer ce qu'on ne peut pas définir"), les urbanistes Claire Carriou ("Un terme récent, une notion ancienne") et Eric Charmes ("Ghettos ou quartiers-tremplins", "Tortues rouges et vertes, la théorie de Thomas Schelling").

Des tortues rouges et vertes pour expliquer la ségrégation et l'appréhender politiquement

Eric Charmes revient sur la théorie de Thomas Schelling sur les "Tortues rouges et vertes", "grand classique de la théorie sociale" élaborée au tournant des années 70 pour expliquer les mécanismes de ségrégation. Une théorie qui sert toujours de lecture aux politiques de peuplement. "On peut distinguer deux points de vue", résume l'urbaniste : "Le premier consisterait à dire qu'il est vain et moralement douteux de vouloir lutter contre la spécialisation sociale de l'espace et qu'il faut concentrer l'action publique sur la redistribution des ressources plutôt que sur la redistribution des populations. L'autre souligne que si la diversité ne peut pas être obtenue par le seul jeu du marché immobilier, alors même qu'elle est tolérée, voire désirée, les pouvoirs publics doivent intervenir pour permettre un peuplement conforme aux idéaux collectifs, par exemple en imposant des formes de mixité".

Des élus de tout bord entrepreneurs de la mixité

Visiblement, à la lecture du rapport, des élus locaux de droite comme de gauche ont choisi la seconde solution. A droite : François de Mazières, le maire de Versailles qui "construit des HLM contre l'entre-soi", ou encore Jean-Marie Tétart, maire de Houdan qui "au risque de déplaire à ses administrés, (...) favorise l'installation de ménages modestes dans sa commune" et illustre ainsi ce que Eric Charmes se plait à appeler "le périurbain au-delà des clichés". Ces visions politiques voisinent par exemple avec celle du communiste Patrick Braouezec, président de Plaine Commune pour qui "Le communautarisme n'a jamais empêché l'intégration", et de Ian Brossat, adjoint logement à la mairie de Paris, convaincu que "Les logements sociaux doivent être mieux répartis".
Le rapport comporte également d'autres signatures : celles des sociologues Monique Pinçon-Charlot (qui signe un article intitulé "Un comportement de charité, mais pas de solidarité") et Marie-Hélène Bacqué ("Il est illusoire de vouloir quantifier la mixité sociale"), celles des économistes Jean-Paul Fitoussi ("Chaque individu est un livre : plus vous faites des rencontres, plus votre bibliothèque s'étoffe") et Sandrine Levasseur ("La loi SRU a bien un impact positif mais il est faible"), ou encore celle de la journaliste économique Catherine Sabbah ("Comment les promoteurs ont découvert le logement social")...
 

LA MIXITÉ SOCIALE EN PRISE AVEC LA RÉALITÉ AIRBNB ?

Le fondateur de l'Observatoire Airbnb, Matthieu Rouveyre, par ailleurs conseiller municipal de Bordeaux et vice-président du département de la Gironde, cosigne avec la sociologue Johanna Dagorn une note pour la Fondation Jean-Jaurès intitulée "La Mixité sociale en prise avec la réalité Airbnb". Chiffres et témoignages à l'appui, l'élu local et la chercheure tendent à démontrer que "le phénomène Airbnb accélère la gentrification des centres et leur périphérie". Les logements concernés étant majoritairement des studios, T1 et T2 (pour près de 80%), "la location de ces petites surfaces aux touristes s'opère alors au détriment des jeunes, des étudiants et des familles les plus modestes", observent-ils. Car "dans une approche purement comptable, les propriétaires des petites et moyennes surfaces en bon état ont tout intérêt à dédier leur logement aux touristes". Selon leurs calculs, il suffirait en effet de louer son bien dix jours par mois pour qu'il dégage plus de recettes qu'un mois de location classique.
Et pour les appartements qui demeurent à la location, "la concurrence est telle que seuls les dossiers des familles présentant les meilleurs revenus sont acceptés". Restent les appartements "vétustes" qui ne répondent pas "aux canons de la location touristique". "Cette pénurie de logements étudiants renforce par ailleurs des comportements prédateurs de propriétaires qui n'hésitent pas à profiter de la situation pour réclamer toutes sortes de faveurs en échange d'une location ou d'un canapé", assurent-ils. "Là encore, Airbnb n'est pas la cause de tous les maux mais l'absence ou la trop faible régulation du phénomène de la location touristique aggrave des situations sociales déjà précaires".
Pour Matthieu Rouveyre et Johanna Dagorn, "le renversement de ce processus passe par l'affirmation d'un 'droit à la ville', parmi les droits de l'homme et du citoyen" qui devrait "être porté collectivement et surtout politiquement".
V.L.

 

 

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