L'Ipsos sonde les ressorts et les craintes d'une France "fracturée"

"Mesurer l’opinion des Français sur l’état de la société, leurs valeurs et leur perception des grandes forces politiques". Tel est l'objet de l'étude "Fractures françaises" réalisée par l'Ipsos. Un baromètre qui, pour sa douzième édition, ne reflète guère l'insouciance et l'optimisme... Sur le terrain politique, seuls les maires semblent bénéficier encore d'un capital confiance.

Une France morcelée, plus préoccupée que jamais, excessivement tournée vers son passé, n'ayant plus confiance en ses représentants, jugée "en déclin" et violente ? C'est un peu le dessin qui apparaît lorsque l'on parcourt rapidement la présentation des résultats de la douzième édition de "Fractures françaises", étude Ipsos réalisée pour le Monde, le Cevipof, la fondation Jean-Jaurès et l’institut Montaigne. Objectif de ce sondage en ligne réalisé en novembre auprès d'un échantillon de 3.000 personnes et publié ce 2 décembre : "mesurer l’opinion des Français sur l’état de la société, leurs valeurs et leur perception des grandes forces politiques". Une mesure qui attirera forcément plus encore au terme d'une année politique mouvementée et pour le moins inédite.

Mais ce baromètre apporte en fait des indications sur un nombre de sujets beaucoup plus large et des appréciations souvent plus nuancées qu'il n'y paraît au premier coup d'œil : opinion des personnes interrogées sur leur propre situation et sur celle du pays, valeurs jugées centrales, regards sur les enjeux de justice sociale et d'environnement, rapport à la politique et aux institutions… Malgré toutes les limites que l'on peut opposer à ce type de sondages, sa consultation aura ainsi de quoi intéresser les décideurs locaux.

On saura ainsi que, interrogés sur les enjeux qui les préoccupent le plus "à titre personnel", les Français placent en tête "les difficultés en termes de pouvoir d'achat" (38%), devant "la protection de l'environnement" (23%) et "le niveau de la délinquance" (22%). L'enjeu du pouvoir d'achat est jugé prioritaire sauf chez les sympathisants du parti de droite Les Républicains (LR) qui s'inquiètent d'abord du "niveau de la délinquance" (34%). Chez les soutiens du Rassemblement national, c'est sans surprise avant tout "le niveau de l'immigration" (50%) qui passe en priorité.

Autre enseignement : le pays serait "en déclin" pour près de neuf Français sur dix (87%, 18 points en plus par rapport à l'élection présidentielle en 2017). "Les Français sont horrifiés, voire tétanisés par les évènements d'extrême violence dont ils sont témoins, en direct ou par médias interposés", analyse Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos. Mais 53% d'entre eux considèrent que ce "n'est pas irréversible". Et seuls 3% des Français se disent "satisfaits ou apaisés" lorsqu'ils sont interrogés sur leur sentiment d'appartenir à un pays "en colère et très contestataire".

Sur le terrain politique, l'Ipsos évoque "une défiance toujours plus forte envers le personnel politique". Cela touche tous les acteurs : chef de l'État, parlementaires, partis… sauf les maires. Pas moins de 70% des sondés affirment en effet faire confiance aux maires (12% "tout à fait", 58% "plutôt"). Une confiance plus forte chez les sympathisants PS, Renaissance et LR (82-86%) que chez les sympathisants LFI/PCF et RN (62-64%).

Ce que dit cette étude*

LA PERCEPTION DE SA SITUATION ET DE CELLE DU PAYS

L’OPINION DES FRANÇAIS SUR LEUR SITUATION

L’inquiétude pour le pouvoir d’achat demeure de loin la première préoccupation des Français.
Le mécontentement demeure massif cette année, même si le sentiment d’appartenir à une France "en colère et très contestataire" recule très légèrement après plusieurs années de fortes hausses.
La satisfaction des Français sur la vie qu’ils mènent apparait plutôt mitigée.
Les cadres et les personnes les plus aisées affichent une satisfaction de vie importante, à l’inverse des ouvriers.
La majorité des Français a le sentiment de n’appartenir ni à la France d’en bas, ni à la France d’en haut.
Les sympathisants LFI/PCF et RN sont les plus nombreux à se situer en bas de l’échelle sociale.
Les Français font état d’une baisse de leur niveau de vie et d’un sentiment de ne pas recevoir le respect qu’ils méritent.
Le sentiment de ne pas recevoir le respect mérité est particulièrement élevé chez les sympathisants RN.
Les difficultés financières concernent une majorité de Français. Ce sont surtout les sympathisants LFI/PCF et RN qui déclarent en rencontrer.
Les Français se montrent très partagés sur la différence entre leur situation et celle de leurs parents au même âge.
Ce sentiment d’une situation plus mauvaise que celle de ses parents au même âge est particulièrement élevé chez les sympathisants RN.
Les Français ont globalement le sentiment que les jeunes sont trop favorisés par rapport aux générations précédentes - une perception plus présente chez les séniors, mais tout de même majoritaire chez les plus jeunes.

L’OPINION SUR LA SITUATION DU PAYS

Le déclinisme connaît de nouveau une hausse importante cette année. Néanmoins, la perception d’un déclin irréversible reste stable.
Le sentiment d’une France en déclin est désormais majoritaire chez les sympathisants de toutes les grandes forces politiques.

LA CONFIANCE DANS LES INDIVIDUS ET LES ORGANISATIONS

Le sentiment de défiance vis-à-vis d’autrui repart à la hausse cette année.
Les personnes se déclarant proches des partis de droite se montrent plus méfiantes que celles proches des partis de gauche.
Après une baisse déjà forte l’an dernier, la confiance dans l’Union européenne recule de nouveau cette année.
Dans un contexte de crise politique à l’Assemblée nationale, la confiance dans les députés est en fort recul.
À l’inverse, la confiance dans les entreprises progresse. Même si celle dans les grandes entreprises demeure minoritaire, elle atteint le plus haut niveau jamais mesuré.
Le niveau de confiance est en hausse pour de nombreux acteurs : les PME, les institutions régaliennes, l’école ou encore le secteur du nucléaire.
À l’inverse, les institutions politiques (présidence de la République, Assemblée nationale, députés) enregistrent une confiance faible et en baisse.
La confiance dans les maires est élevée chez les sympathisants des différentes forces politiques.
La confiance dans les grandes entreprises est plus faible chez les cadres que chez les autres catégories socioprofessionnelles.
La confiance dans les députés est minoritaire chez les sympathisants de toutes les forces politiques.
Les Français sont partagés sur la capacité de l’école à donner les mêmes chances à tous, les sympathisants de gauche étant particulièrement critiques.

LE RAPPORT À LA VIOLENCE

Plus de neuf Français sur dix ont le sentiment de vivre dans une société violente, une proportion qui reste stable.
La majorité des Français estime également que la violence dans la société augmente beaucoup, une proportion là aussi stable cette année.
Ce sentiment d’une violence en augmentation est moins fort sur le lieu de résidence des Français, même s’il concerne près d’un Français sur deux.
L’expérience de l’insécurité, que ce soit pour soi ou pour ses proches, au cours des dernières années concerne plus d’un quart des Français.
Près d’un quart des Français jugent que le recours à la violence peut parfois être justifié, une proportion relativement stable depuis 2019.
Cette justification de la violence est plus importante à droite qu’à gauche

LES VALEURS DES FRANÇAIS

Les éléments qui définissent les Français sont variés, même si la nationalité et la génération sont les deux plus cités.
On observe des différences importantes selon les catégories. Par exemple, les séniors se définissent beaucoup plus souvent par leur génération que les plus jeunes.

L’ATTACHEMENT AUX VALEURS DU PASSÉ ET LA PERCEPTION DE L’AVENIR

La nostalgie à l’égard du passé reste forte chez les Français.
Les valeurs du passé sont une source d’inspiration pour l’ensemble des catégories de la population (sauf les sympathisants écologistes) avec un impact plus important à droite et chez les sympathisants RN.
Les sympathisants RN et LR, et dans une moindre mesure PS, sont les plus nostalgiques vis-à-vis du passé.
Les plus jeunes sont plus optimistes que leurs aînés, mais une minorité d’entre eux seulement voit un avenir plein d’opportunités et de possibilités.

LE RAPPORT À L’AUTORITÉ

L’adhésion aux valeurs autoritaires reste forte cette année.
L’idée selon laquelle l’autorité est trop souvent critiquée est particulièrement forte à droite, mais est aussi majoritaire à gauche.
Le soutien à l’idée qu’il faut à la France un pouvoir autoritaire recule chez les sympathisants PCF/FI et EELV, même s’il demeure majoritaire.
La peine de mort reste un sujet très clivant socialement et politiquement.

LE RAPPORT DES FRANÇAIS AU MONDE ET À L’EUROPE

La défiance envers la mondialisation progresse de nouveau et atteint le plus haut niveau jamais mesuré depuis 2013.
Seuls les sympathisants Renaissance ont une perception positive de la mondialisation.

LES ATTITUDES ET OPINIONS RACISTES ET XÉNOPHOBES

Le sentiment que l’on "ne se sent plus chez soi comme avant" est stable.
Le clivage politique entre les sympathisants de gauche et de droite demeure très important sur cette question.
La part de Français estimant que le racisme est présent dans la société française atteint un niveau record.
L’antisémitisme est également perçu comme présent en France.
Les perceptions négatives de l’immigration sont en baisse cette année.
La question du nombre d’étrangers est très clivée politiquement. Cette année, les sympathisants des différents partis de gauche sont plus proches sur cette question qu’en 2023.
Les sympathisants de gauche et Renaissance font peu le lien entre le nombre d’immigrés et le niveau du chômage. Une différence s’observe à droite entre sympathisants RN et LR, ces derniers étant partagés sur cette question.
Sur la question de l’intégration, les sympathisants Renaissance sont plus proches de la gauche que de la droite.
La part de Français estimant l’immigration nécessaire pour l’économie française demeure minoritaire mais est en hausse cette année.

LA PERCEPTION DES PRINCIPALES RELIGIONS

La place de la religion dans la vie personnelle des Français n’est pas très importante. Elle est néanmoins plus forte chez les plus jeunes.
Seule une minorité de Français considère l’Islam compatible avec les valeurs de la société française – un chiffre qui reste stable.
La compatibilité entre la religion catholique et les valeurs de la société française ne fait débat dans aucune catégorie de la population.
Le constat est globalement similaire en ce qui concerne le judaïsme, qui est accepté par l’ensemble de la population.
Un clivage générationnel important demeure sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la société française.

JUSTICE SOCIALE ET ÉCONOMIE

L’idée qu’il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres atteint son niveau le plus haut jamais mesuré.
La question de la redistribution recoupe largement le clivage gauche-droite, à l’exception des sympathisants du RN.
À l’inverse, sur le sentiment que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient, on observe une proximité entre Renaissance, LR et le RN.
L’adhésion à la théorie du ruissellement est majoritaire au centre et à droite, y compris chez les sympathisants du RN.
Pour la première fois depuis 2021, une majorité de Français estiment nécessaire pour relancer la croissance de donner plus de liberté aux entreprises.
Le clivage droite-gauche s’est accentué sur la question du rôle de l’Etat dans l’économie.
Le sentiment qu’il y a trop d’"assistanat" en France est stable cette année, à un niveau bas comparé à l’ensemble de l’historique.
Le rejet de l’assistanat reste largement majoritaire au centre ainsi qu’à droite.

L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Près d’un Français sur deux a le sentiment que l’égalité homme-femme est au bon niveau mais près d’un sur cinq estime qu’on est allé trop loin.
Chez les plus jeunes, une différence particulièrement forte s’observe entre hommes et femmes sur leur perception de l’égalité entre les femmes et les hommes.

LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT

La perception du changement climatique est globalement stable, avec une hausse de la part des Français considérant l’activité humaine comme responsable.
Le réchauffement climatique est associé à l’activité humaine chez une majorité de sympathisants, quelle que soit la force politique.
Conscients de sa réalité, les Français se montrent préoccupés par le changement climatique.
Pour les Français, la limitation du changement climatique passe par des modifications dans les modes de production et dans les modes de vie.
Les changements dans les modes de production des entreprises sont particulièrement cités par les sympathisants de gauche.

LE RAPPORT DES FRANÇAIS À LA POLITIQUE ET AUX INSTITUTIONS

LE RAPPORT AUX ÉLUS ET À LA DÉMOCRATIE

Malgré la situation politique, la confiance des Français dans le système démocratique reste stable cette année.
Les sympathisants RN sont 1 sur 2 à estimer que d’autres systèmes peuvent être aussi bons que la démocratie.
L’image du personnel politique se détériore fortement cette année.
Le sentiment d’une corruption généralisée des personnalités politiques augmente de 5 points et est partagé par les sympathisants de nombreuses forces politiques à l’exception des sympathisants Renaissance.
À l’exception des sympathisants Renaissance, une large majorité des sympathisants des différentes forces politiques estime que le système démocratique fonctionne mal.
La perception des hommes et femmes politique agissant principalement pour leurs intérêts personnels est en hausse de 8 points en un an.

(* reprise textuelle des intitulés tels que formulés par l'Ipsos dans ses slides de présentation de l'étude)

 

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