L’IGN s’adapte à la nouvelle donne de l’information géographique
Modèle 3D de la totalité du territoire, cartes du changement climatique, animation de l’écosystème... L'IGN a présenté fin novembre 2021 sa nouvelle stratégie pour adapter l'institut à l'ère des Gafam et de l'anthropocène. Avec la volonté de fournir une expertise aux territoires et de faciliter la création de "géo-communs".
Trois ans après le rapport sur les données géographiques souveraines, qui avait appelé l’État à soutenir pleinement la transformation du vénérable institut géographique national (notre article du 24 juillet 2018), et quelques mois après l'arrivée de Sébastien Soriano à la tête de l’IGN, l'établissement public a dévoilé sa stratégie de "pivotement". Une stratégie qui vise à adapter son offre aux enjeux de l’anthropocène, à faire face à l’offensive des Gafam et à modifier en profondeur le positionnement de l’institut au sein de l’écosystème national de l’information géographique. L’ambition est articulée autour de trois axes : l'observation du territoire en continu, l'animation de la communauté des acteurs des "géo-communs" et la valorisation de carte en tant qu'outil de médiation. Pour marquer ce tournant, l’IGN se dote d’une nouvelle signature : "IGN, changer d'échelle".
Observation en continu du territoire
Concrètement, l’IGN va produire des cartes thématiques sur l’impact du changement climatique, l’urbanisation ou encore la biodiversité. Une "observation en continu" que l'institut va mener en s'appuyant sur les technologies satellitaires, l'intelligence artificielle et les acteurs du terrain. Première concrétisation de ce projet, le nouveau référentiel à grande échelle de l'occupation des sols (OCS GE), aujourd’hui en phase de test dont la vocation est d’aider au pilotage de l’objectif gouvernemental "zéro artificialisation nette d'ici à 2050". D’autres projets sont en cours, tels que le suivi de la reconstitution des haies bocagères et l’observatoire du bois et de la forêt. L'IGN entend également proposer son expertise dans des situations d’urgence. Lors de la tempête Alex d’octobre 2020, des vues aériennes réalisées quelques jours après la catastrophe, comparées aux images antérieures, avaient ainsi permis de mesurer l’étendue des dégâts et d’aider à la gestion de la catastrophe.
Un jumeau numérique pour tous les territoires
L’IGN va ensuite réaliser un modèle 3D de l’intégralité du territoire. Avec à la clé des données (ouvertes) qui devraient profiter avant tout aux territoires ruraux, les grandes métropoles en étant pour la plupart déjà dotées. En ligne de mire, la possibilité de créer des "jumeaux numériques" utiles au pilotage des politiques publiques, aux simulations de phénomènes (inondations, sécheresse…), ou encore au déploiement du véhicule autonome. En pratique, l’IGN se donne 5 ans pour réaliser une cartographie Lidar haute densité - technologie Laser permettant de collecter des données ultraprécises sur le bâti comme le végétal - de l’ensemble du territoire. Un projet doté de 60 millions d’euros soutenu par le fonds pour la transformation de l'action publique (21,55 millions d'euros) et le plan France Relance (22 millions d'euros). La Corse, la majeure partie de la région Paca et une grande partie du Grand Est ont d’ores et déjà été modélisés. En cours de validation, les données seront disponibles début 2022 pour de premières expérimentations menées avec les acteurs intéressés.
Animation de l’écosystème des géo-communs
Concernant les référentiels de données existants, en open data depuis janvier 2021, l’institut souhaite associer davantage les producteurs de géodonnées et les citoyens pour bâtir des "géo-communs". Ces données coproduites seront hébergées sur une nouvelle géoplateforme de l’IGN (coût : 14,4 millions d’euros) permettant un "accès rapide et simplifié aux géodonnées". Parmi les contributeurs d’ores et déjà impliqués plusieurs CRIGE (centres de ressources en information géographique), le GIP Pigma ou encore l’ONF, l’Insee et l’Ademe. La géoplateforme sera aussi alimentée par des "appels à communs" et des initiatives telles que celle menée en collaboration avec OpenStreetMap pour créer un "street view libre" utilisable par un GPS. L’institut va enfin s’ouvrir d’avantage au contributions citoyennes tout en privilégiant le "community sourcing", à savoir la collaboration avec des communautés labellisées et habilitées à mettre à jour "en toute autonomie" la "BD France", sur l’occupation des sols. Dans cet esprit, le conseil départemental du Gard ou le SDIS 29 contribuent par exemple dès à présent à l’amélioration des données sur les tronçons routiers.
Expertise et carte numérique
Au-delà de l’écosystème de l’information géographique avec qui l’IGN collabore dans le cadre de son "IGNFab", l’institut souhaite accompagner "toutes les administrations locales ou nationales désireuses d'utiliser la carte dans leur modernisation". Il s’agira notamment d’aider les services publics à se saisir des techniques de géovisualisation sur des thématiques telles que les ilots de chaleur, l’artificialisation des sols, l’aménagement urbain ou encore la géolocalisation des établissements publics ouverts au public. Les moyens affectés à cette mission ne sont cependant pas précisés.
L’IGN souhaite enfin regagner en notoriété auprès du grand public en faisant de la carte un outil "d’émancipation, de sensibilisation et de vulgarisation". La carte de randonnée papier, qui reste la marque de fabrique de l’institut (et une de ses dernières sources de revenus), va ainsi être pérennisée et améliorée. L’institut n’a en revanche pas réussi à s’imposer sur les smartphones malgré un certain succès pour IGN rando. L’IGN promet d’y remédier en annonçant une application cartographique généraliste à même de rivaliser avec celles de Google et d’Apple. Il s’agira d’un module de cartographie "nativement numérique", adapté aux smartphones et "ouvert", contrairement aux solutions des Gafam. Concrètement les utilisateurs pourront adapter ce fond cartographique – création de plans de villes, de cartes touristiques… – tout en gardant la maitrise de leurs données. Sur ce créneau où OSM est déjà largement positionné, l’IGN promet de mener ce projet en s’appuyant sur les initiatives existantes.
Enjeux humains et financiers
Pour faire sa mue, l’institut va avoir besoin de recruter – 100 à 150 recrutements annoncés - notamment des spécialistes de la datascience et de l’intelligence artificielle. Cette dernière technologie apparait décisive pour automatiser l’analyse d’images et de données pour créer plus rapidement des cartes. Ne pouvant plus commercialiser ses données, l’IGN doit compter sur ses ressources propres - 180 millions d'euros en 2021, en hausse de plus de 10% - mais elles ne suffiront pas. L’institut a par exemple dû rechercher des partenariats (publics) pour boucler la modélisation 3D de la France ou la géoplateforme. Enfin, l’institut fait partie des administrations qui ont pu bénéficier de la manne du plan de relance.