Les prix de l’énergie flambent, les pouvoirs publics craignent l’embrasement
La Commission européenne vient de présenter une "boîte à outils" à destination des États membres visant à atténuer l'impact de la flambée des prix de l'énergie sur les ménages et les entreprises. À plus long terme, elle insiste sur la nécessité de renforcer les capacités de stockage de l'énergie et d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables.
À Paris comme à Bruxelles, la flambée des prix de l’énergie sent la poudre. "Très préoccupée", la commission des affaires économiques du Sénat vient d’engager le 12 octobre un cycle d’auditions sur la souveraineté énergétique. Et ce 13 octobre, c’est au tour de la Commission européenne, sous la pression de certains États membres, d’adopter une communication présentant à ces derniers – pour l'essentiel – "une boîte à outils" pour y faire face.
Augmentation vertigineuse
L'augmentation est vertigineuse : entre 2019 et 2021, le prix du gaz (vente en gros) a augmenté de 429% en moyenne dans l'Union européenne. Elle atteint même 562% en France (le record étant détenu par la Belgique avec 592%). Avec les conséquences que l'on devine sur les ménages – 31 millions de personnes en situation de précarité énergétique dans l'UE, 6% des ménages présentant des arriérés de facture, indique la Commission européenne – mais aussi sur les entreprises. Notablement, le secteur des transports ou celui des industries énergivores, comme les producteurs d'engrais – secteur désormais non rentable, avec les effets en chaîne à prévoir sur la production et les prix alimentaires. Une hausse qui vient encore entraîner une baisse de l'approvisionnement en matières premières, dont le magnésium, indispensable au secteur automobile.
Conjonction de facteurs
Les raisons de cette flambée étaient prévisibles, comme le souligne le sénateur Daniel Grémillet, rappelant qu'il avait alerté dès le printemps 2020 sur "un effet inflationniste en sortie de crise, les prix étant susceptibles de 'flamber' si l’offre d’énergie déstabilisée ne parvenait pas à accompagner la demande" (voir son rapport d'alors). Cette explosion de la demande – qui concerne toutes les énergies, et singulièrement le gaz naturel –, induite par la reprise et la relance post-Covid, constitue la principale cause du phénomène. Elle n'est pas la seule. Comme redouté, l'offre est en partie défaillante, entre autres du fait du report d'opérations de maintenance à cause de la pandémie ou de conditions météorologiques défavorables aux énergies renouvelables. S'y ajoute le modèle du marché européen de l'électricité, où le prix est fonction du coût de production marginal de la dernière centrale électrique appelée. Concrètement, plus la demande est importante, plus on a recours aux sources de production les plus coûteuses – les centrales au gaz –, qui fixent alors le prix pour l'ensemble de la production. S'y ajoute encore, dans une moindre mesure, la hausse du prix du carbone, qui a doublé cette année. Une augmentation elle aussi principalement engendrée par la hausse d'activité, qui entraîne un recours accru aux énergies fossiles, et donc aux demandes de quotas. Pour ne rien arranger, si la crise est mondiale, l'Europe est particulièrement exposée, du fait de sa faible indépendance énergétique : elle dépend à 61% des importations (44% pour le charbon, mais 90% pour le gaz et 97% pour le pétrole). Redonnant du lustre au nucléaire (voir notre article).
Mesures d'urgence
Cette hausse des prix n'est malheureusement pas terminée. La Commission estime qu'elle devrait culminer au cours de l'hiver, n'escomptant une baisse qu'à compter d'avril prochain, sans que l'on retrouve toutefois les prix de ces dernières années. Pour y faire face, la Commission propose aux États membres plusieurs mesures, dont certaines ont déjà été mises en œuvre (vingt États membres ont déjà œuvré en ce sens). Pour les plus vulnérables, elle recommande des "paiements forfaitaires" (entendre, des chèques énergie), des dispositifs empêchant toute déconnexion en cas d'impayés ou encore de réduire fiscalité et prélèvements, qui représentent en moyenne dans l'Union 41% du prix de l'électricité pour les ménages et 34% pour les industriels. Elle rappelle également que des aides aux entreprises peuvent être accordées pour traverser la crise, dans la mesure où elles sont "technologiquement neutres et non discriminatoires", et que des mesures réduisant le coût de l'énergie pour l’ensemble des consommateurs finaux ne constituent pas des aides d'État. Elle propose encore d'encourager les accords d'achat d'énergie renouvelable à long terme. Autant de mesures qui pourraient être financées en partie grâce aux revenus supplémentaires générés par le système d'échange de quotas d'émission (26,3 milliards d'euros entre septembre 2020 et août 2021, soit un gain inattendu de 10 milliards), les taxes et prélèvement sur l'énergie ou les taxes environnementales, souligne-t-elle…
Renforcer les capacités de stockage
Pour la Commission, le risque de pénurie – agité par les sénateurs – doit pour l'heure être écarté. Pour autant, elle juge que "la sécurité d'approvisionnement, les niveaux de stockage de gaz et le bon fonctionnement du marché nécessitent une surveillance particulière en amont de la saison hivernale". Pour conjurer tout risque à l'avenir, et alors que seule la moitié des États membres se sont dotés de réserves stratégiques, elle entend renforcer les capacités de stockage du gaz (et soutenir par ailleurs le développement du stockage de l'électricité), via la révision en décembre du règlement sur la sécurité d'approvisionnement en gaz. Elle évaluera également la piste, proposée par l'Espagne, de l'achat conjoint de stocks de réserve de gaz, qui avait déjà été présentée, sans succès, dans les années 2000 (et encore par l'ancien président du Conseil européen Donald Tusk en 2014). Elle prévoit également d'adopter en novembre un règlement instituant de nouveaux groupes régionaux de risques gaziers transfrontaliers pour conseiller les États membres sur la conception de leurs plans d'action de prévention et d'urgence et proposer d'ici décembre une recommandation leur fournissant des orientations "sur la meilleure façon de traiter les aspects sociaux et du travail de la transition écologique". Elle souhaite de même renforcer les pouvoirs et droits du consommateur (meilleure information, facilitation du changement de fournisseurs, clarification des règles visant à les protéger contre la défaillance de ces derniers et le fonctionnement des fournisseurs de dernier recours, etc.).
Accélérer le déploiement des énergies renouvelables
Renvoyant une fois de plus la balle aux États membres, la Commission les appelle encore à continuer de promouvoir les investissements dans les réseaux transeuropéens, sur la base de "projets d'intérêt commun". Elle insiste enfin sur la nécessité d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables, et singulièrement sur celle "d'accélérer la délivrance des autorisations en réduisant les procédures d'autorisation longues et complexes qui constituent l'un des principaux obstacles au développement d'infrastructures énergétiques propres". Elle publiera des orientations en la matière en 2022, de même qu'elle lancera en début d'année prochaine des travaux sur un "code des réseaux afin de supprimer les barrières réglementaires au développement de la flexibilité du côté de la demande".