Les personnes âgées pauvres, oubliées des politiques publiques ?
Le rapport annuel de l'association Les Petits Frères des Pauvres publié le 30 septembre montre que 2 millions de personnes de 60 ans et plus vivent sous le seuil de pauvreté monétaire. Dont un nombre important de personnes "sans emploi ni retraite". Parmi les constats : "plus d’une personne âgée pauvre sur deux ne bénéficie d’aucune aide et s’estime mal informée". Les préconisations de l'association portent notamment sur un meilleur accès à ces aides.
Deux millions de personnes vivent le troisième âge sous le seuil de pauvreté, indique le rapport annuel de l'association Les Petits Frères des Pauvres publié ce 30 septembre. Ce chiffre de 2 millions correspond aux personnes de 60 ans et plus qui vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, un niveau relatif fixé à 60% du niveau de vie médian (soit 1.216 euros par mois pour une personne seule, 1.824 euros pour un couple), précise l'association, tout en soulignant d'emblée que la pauvreté est aussi "multidimensionnelle" (matérielle, sociale, subjective, relationnelle…).
La pauvreté touchait 10,6% des 65-74 ans en 2022, contre 7,5% en 2017, selon l'Insee. Les seniors sont toutefois moins touchés que la population générale : neuf millions de personnes en France vivent sous le seuil de pauvreté, soit 14,4% de la population. La pauvreté concerne 18,8% des personnes âgées seules, contre 6,4% de celles vivant en couple, selon l'Insee. Logiquement, les femmes sont donc plus exposées. En outre, le moindre travail des femmes parmi les générations plus âgées, des carrières hachées pour suivre leur mari en mutation professionnelle, des temps partiels pour s'occuper de leurs enfants ou de leurs proches, ont eu pour conséquence des pensions de retraite plus faibles. A cela s'ajoutent divorces et séparations qui réduisent leur niveau de vie.
Le rapport rappelle un fait qui explique pour une part non négligeable le chiffre de 2 millions : "le minimum vieillesse est inférieur de 16,8% au seuil de pauvreté pour une personne seule - soit un différentiel de 204 euros - et de 14% pour un couple sans enfants - soit un différentiel de 254 euros". Or en 2020, 635.300 personnes bénéficiaient du minimum vieillesse.
Ce rapport se base à la fois sur une étude quantitative (réalisée auprès de 755 individus âgés de 60 ans et plus vivant sous le seuil de pauvreté) et sur une étude qualitative (entretiens en face à face auprès de personnes accompagnées par les Petits Frères des Pauvres âgées de 61 à 94 ans). Il a pour dessein d'"alerter" sur la hausse du taux de pauvreté depuis plusieurs années avec, notamment, un nombre important de personnes "sans emploi ni retraite". Mais aussi de "sortir de l’invisibilité ces vieilles et ces vieux pauvres", de "changer les regards sur cette vieillesse défavorisée, si différente des idées reçues", selon les termes d'Anne Géneau, la présidente de l'association.
L'étude quantitative montre que les deux tiers des personnes âgées pauvres ont connu au moins une privation ces douze derniers mois sur des besoins essentiels que sont le chauffage, l'alimentation, la santé… mais aussi le "lien social". Un tiers déclarent en outre "faire face à des difficultés pour payer les factures du quotidien" et plus de la moitié estiment que leurs conditions de vie se sont dégradées depuis cinq ans. "Améliorer son habitat, partir en vacances, faire plaisir à ses proches seraient les priorités dans l’hypothèse de revenus plus importants", résume le rapport quant aux souhaits de ces personnes.
L'un des enseignements retiendra tout particulièrement l'attention : "plus d’une personne âgée pauvre sur deux ne bénéficie d’aucune aide et s’estime mal informée, mais seulement 31% d’entre elles souhaitent être accompagnées pour connaître leurs droits". A cela s'ajoute le fait que les trois-quarts de ces personnes se disent en difficulté face à la dématérialisation des démarches.
Des aides départementales et locales nombreuses mais mal connues
Devant cettte "poche de pauvreté" persistante, ces difficultés d'accès aux aides et ce non-recours, un volet du rapport est consacré aux politiques publiques tournées vers les personnes âgées pauvres. L'association regrette que les personnes âgées aient été absentes des stratégies pluriannuelles de lutte contre la pauvreté successivement mises en place depuis 2013. Et dans le Pacte des solidarités présenté en septembre dernier, "on ne trouve à nouveau aucune mesure spécifique les concernant", déplore-t-elle, en rappelant en outre que le projet d'une loi Grand Âge n'a eu de cesse d'être reporté. L'association souligne par ailleurs que les plans "Logement d'abord" n'ont pas été pensés pour les personnes âgées, alors même que le sans-abrisme concerne aussi cette tranche d'âge : "18% des appelants du 115 et 19% des personnes hébergées dans les centres d’hébergement ont 60 ans et plus".
Sur le non-recours, le rapport note que celui-ci concerne même les droits à la retraite : "à 70 ans, un tiers des assurés n’a pas fait valoir tous ses droits à la retraite". Il concerne également la pension de réversion. Mais aussi, de façon plus massive, l'Aspa, autrement dit le minimum vieillesse. Une étude de 2016 a ainsi montré que la moitié des personnes seules éligibles au minimum vieillesse n’y recourent pas. Plusieurs explications sont avancées : méconnaissance de la prestation, complexité perçue des démarches, peur de la stigmatisation, rejet lié à la récupération sur succession. Un rapport parlementaire de 2016 sur l'accès aux droits sociaux (rapport Biémouret/Costes) préconisait d'ailleurs d’"expérimenter l’octroi automatique de l’Aspa pour les bénéficiaires du RSA, de l’ASS ou de l’AAH qui atteignent l’âge requis".
L'association se penche par ailleurs sur "le dédale des aides extralégales ou facultatives" destinées aux personnes âgées : "il existe de nombreuses aides proposées par des acteurs très divers et dont les conditions d’accès, de ressources et les prestations peuvent différer d’un organisme à un autre et d’un territoire à un autre". Ce sont en premier lieu les aides départementales, y compris au-delà de l'APA et de l’aide sociale à l’hébergement (ASH). Mais aussi les aides locales dispensées par les CCAS ou CIAS. En sachant que "plus la commune est grande, plus les prestations d’action sociale qui y sont dispensées sont nombreuses". Et que "les villes moyennes se concentrent souvent sur des offres de transport, de livraison de repas et de téléassistance", tandis que "les grandes villes peuvent aussi proposer des restaurants municipaux ouverts aux personnes âgées, des cartes seniors permettant de bénéficier d’offres culturelles ou de loisirs à tarif préférentiel". La prestation la plus distribuée, toutes tailles de communes confondues ? Le colis de fin d’année…
A la lecture de cette étude, Olivier Richefou, le président de la Mayenne et président du groupe de travail Grand âge de Départements de France, dont les propos sont cités dans le rapport, se dit frappé par "la méconnaissance des dispositifs d’accompagnement (...), que ce soit l’APA, qui pour les départements est l’alpha et l’omega de l’accompagnement de la perte d’autonomie, ou les aides à l’amélioration du logement alors que beaucoup de départements ont mis en place des dispositifs complémentaires aux aides existantes". "Il y a un effort considérable à faire sur le développement des aides et leur connaissance, car il ne suffit pas de les développer pour penser qu’elles sont connues", reconnaît l'élu. En estimant que "c’est en binôme avec les maires et les CCAS que l’information et la communication pourront passer".
L’étude qualitative met en lumière un quotidien "fait de calculs et de privations" et "vécu comme une stigmatisation". Pourtant, dans le même temps, il apparaît que les personnes interrogées ne s'approprient pas le terme de "pauvreté" : "La pauvreté renvoie, dans leur perception, à une définition économique et sociale qui n’est pas la leur. La pauvreté fait référence tout d’abord à des situations bien plus graves que la leur ; et précisément ils dédient toute leur énergie à ne pas 'devenir pauvre'". Des situations plus graves… qui, selon l'association, pourraient se multiplier : "À l’aune de la fragilisation en cours des situations professionnelle et sociale des actifs" (difficultés d'accès à la propriété, carrières hachées, essor de l'auto-entrepreneurariat…), "l’augmentation de la pauvreté des personnes âgées risque d’augmenter fortement à l’avenir."
› Les préconisations des Petits Frères des PauvresAUGMENTER LE POUVOIR D’ACHAT
RENFORCER L’ACCÈS AUX DROITS
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REDONNER GOÛT AU DERNIER QUART DE LA VIE
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