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Equipements sportifs - Les nouvelles piscines publiques naviguent entre demande sociale et offre de services

Les centres aquatiques qui sortent aujourd'hui de terre ont bel et bien métamorphosé l'image de la bonne vieille piscine municipale. Bassins ludiques, prestations multiples... Avec, en corollaire, une autre façon d'appréhender l'usager-client et les questions de rentabilité. Avec, aussi, un appel croissant au secteur privé : délégation de service public... voire partenariat public-privé. Dans le même temps, une piscine, c'est souvent le projet phare d'un mandat - et donc la nécessaire acceptation d'un "coût social".

"Depuis deux ans, on gère le pôle aquatique comme une entreprise privée, et ça paye. C'est fini la gestion pépère." Venant d'un fonctionnaire territorial, en l'occurrence Denis Piquet, directeur du pôle aquatique du Grand Nancy, l'aveu pourrait surprendre. Pourtant, la profonde mutation des piscines publiques dont il témoigne n'est pas propre à cette agglomération. Elle était même au cœur des débats du 13e congrès Aqualie, qui s'est tenu à Lille les 5 et 6 octobre à l'attention des décideurs et techniciens des centres aquatiques.
Lors d'une table ronde consacrée aux coûts de fonctionnement et d'exploitation d'une piscine recevant du public, Denis Piquet a encore confié qu'il travaillait "avec l'objectif de doubler les recettes". A ses côtés, Patrick Duny, consultant et expert ayant auparavant dirigé des piscines durant trente ans, assume lui aussi un vocabulaire auquel certains peuvent encore être réticents : "Je parle de client et non d'usager. Le client a payé et attend une prestation en échange."

PPP, BEA, CMD et DSP s'invitent au bord des bassins

Le fait est que des prestations nouvelles ont vu le jour dans les différents centres aquatiques sortis de terre en France depuis une quinzaine d'années. Une raison à cela : l'arrivée massive de bassins ludiques aux côtés des bassins sportifs traditionnels. Une évolution rendue possible par la prise de compétences des EPCI qui, en mutualisant les moyens, ont conduit à la construction d'établissements plus grands, composés de plusieurs bassins répondant à des exigences différentes. "Avec l'arrivée des bassins ludiques, commente Patrick Duny, on offre de plus en plus de services, de prestations aux clients : balnéothérapie, bébés-nageurs, gym aquatique, avec un supplément à payer." Denis Piquet penche lui aussi pour une vision moderne et "commerciale" des piscines publiques : "Sans projet de services, avec la plus belle piscine de France, on ne va pas loin." Corollaire de cette évolution : les activités sont de plus en plus souvent prises en charge directement par les personnels des établissements. "Les animations type bébés-nageurs, c'est dommage de les laisser aux associations. On peut les organiser au sein de la régie pour augmenter les recettes", insiste Patrick Duny.
Mais la mutation des piscines publiques va plus loin. Depuis deux ans, les premières piscines issues de partenariats de type public-privé (PPP) ont ouvert. Pour les communes qui opèrent seules, c'est une solution qui augmente la faisabilité économique du projet. La dernière en date est celle de Vincennes (94), inaugurée le 23 septembre 2011. Sa construction s'est appuyée sur un bail emphytéotique administratif (BEA) et une convention de mise à disposition (CMD). Sur le bassin d'Arcachon, trois établissements financés sur ce mode sont actuellement en projet.
Si ce phénomène reste encore limité, plus significatif est le nombre d'établissements dont l'exploitation est confiée à un partenaire privé dans le cadre d'une délégation de service public (DSP). Une solution qui touche essentiellement les nouveaux projets et concerne environ 300 piscines publiques sur les quelque 4.100 que compte la France. Dans ce cadre, l'exploitant peut lui aussi avoir tendance à valoriser ses propres animations face à celles des associations, voire à écarter celles-ci.

En quête d'une ligne de flottaison

L'exercice a pourtant ses limites. La DSP n'exclut pas les contraintes de service public spécifiques aux piscines, telles que l'accueil des scolaires ou la mise à disposition des bassins sportifs aux clubs. Surtout, la piscine reste un équipement coûteux pour les finances publiques et emblématique du territoire. "La piscine est l'engagement de tout un mandat, elle est un enjeu politique important", rappelle Yves Rouleau, membre du comité directeur de l'Association nationale des élus en charge du sport (Andes) et adjoint aux sports de La Roche-sur-Yon (85). Pour cet élu, "il faut que le service public soit efficient. Il faut rendre des comptes tout en répondant à la demande sociale".
Cette recherche d'équilibre se perçoit dans des éléments très concrets, tels que la détermination du nombre de couloirs du grand bassin dans un projet : en nombre suffisant, la piscine a une destination sportive et devient éligible aux aides du Centre national pour le développement du sport (CNDS). Tels, encore, que la compatibilité de la profondeur d'un petit bassin avec, d'une part, l'apprentissage pour les enfants qui limite la hauteur d'eau et, d'autre part, la pratique de l'aquagym qui exige une certaine profondeur.
Côté justification des coûts, Yves Rouleau plaide pour un partage de l'information entre élus et techniciens : "L'élu ne peut décider sans un minimum de connaissances." Ce partage d'information, Denis Piquet l'a organisé sur le Grand Nancy : "On doit présenter et commenter nos tableaux de bord aux élus. Depuis deux ans, on réalise un compte d'exploitation piscine par piscine." Pour aller plus loin dans l'analyse économique et améliorer ses ratios de gestion, le pôle aquatique du Grand Nancy s'est associé avec une faculté nancéienne spécialisée en finances. Rigoureux dans sa gestion et soucieux de rendre compte aux élus, Denis Piquet n'en reste pas moins attaché à sa ligne de conduite, à savoir gérer son établissement comme une entreprise privée : à Nancy, l'encadrement tourne tous les cinq ans sur les différents sites, le nettoyage est assuré par un prestataire extérieur, une nouvelle politique tarifaire est à l'étude. "Nous mettons en place un plan de communication et de marketing. Il faut être modernes et novateurs et faire savoir ce qui est bien chez nous", plaide Denis Piquet.
La piscine publique de demain sera-t-elle de plus en plus privatisée ? Pas si sûr. La rentabilité n'est pas recherchée à tout prix et le rôle d'une piscine publique dépassera toujours la simple offre de services. Les élus sont en effet prêts à assumer le coût d'une piscine à condition de pouvoir le justifier. "Le coût d'une piscine, ce n'est pas un déficit, c'est un coût social, le coût d'une volonté… et on peut en récupérer les fruits politiquement", conclut Yves Rouleau.

 

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