Les maires "passeurs" des doléances des gilets jaunes s’interrogent sur leur rôle dans le grand débat
Tandis qu’Emmanuel Macron et Édouard Philippe s'activaient en fin de semaine pour lever d'ici lundi 14 janvier 2019 les incertitudes entourant encore le grand débat national, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) s’apprête à leur remettre, le même jour, les doléances recueillies lors de l’opération "Mairies ouvertes", en réponse au mouvement des gilets jaunes. Le thème de l’injustice y est omniprésent.
Emmanuel Macron et Édouard Philippe s'activaient en fin de semaine pour lever d'ici ce lundi 14 janvier les incertitudes entourant encore le grand débat national. A l'Élysée, le président finalisait en toute discrétion la "Lettre aux Français" qu'il doit rendre publique "en tout début de semaine" pour "définir les termes" de cette consultation. À Matignon, le Premier ministre avait réuni ce vendredi matin une grande partie des responsables syndicaux. Ceux-ci n'ont toutefois reçu "aucune précision" sur l'organisation du débat, a indiqué l'un d'eux.
Édouard Philippe s'est engagé à présenter lundi 14 janvier 2019 les modalités de l'organisation de cette initiative inédite en France, dont il a reconnu la complexité, encore accrue par le retrait de son organisatrice initiale, Chantal Jouanno, et de la Commission nationale du débat public (CNDP). L'une des urgences désormais est de trouver des "garants incontestables", qui devront assurer "l'indépendance" et "la neutralité" de la consultation, selon le Premier ministre.
Ce grand débat donnera l'opportunité à Emmanuel Macron de retourner sur le terrain après deux mois durant lesquels il est peu sorti de l'Élysée. Il est ainsi attendu mardi dans la petite commune de Grand-Bourgtheroulde (Eure) pour dialoguer avec environ 600 maires et élus de Normandie durant trois heures. Il n'est pas question pour le président, qui sera accompagné de quatre ministres, de trancher sur aucun sujet abordé par les maires afin d'éviter de préempter les résultats des échanges, selon la présidence. D'ici la mi-mars, Emmanuel Macron a prévu de participer à une dizaine de débats avec les maires des 13 régions, dont le deuxième est prévu le 18 janvier à Souillac (Lot).
Les maires facilitent le dialogue
En tout cas, si l'exécutif compte bien sur les maires pour organiser le débat, les élus ne veulent pas endosser la responsabilité de l'opération et ont leurs propres revendications.
Des réunions d'initiatives locales doivent se tenir à partir de la mi-janvier, notamment dans les mairies. "On va se contenter dans un premier temps de mettre des salles à disposition. Maintenant, chacun est un peu libre de ce qu'il souhaite faire", souligne Vanick Berbérian, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF).
Dès le début de la crise, les maires s'étaient déclarés disponibles pour faciliter le dialogue. Mais "ils le feront selon les modalités qu'ils jugent les plus appropriées" et "ne sauraient porter seuls une responsabilité qui n'est pas la leur", prévient François Baroin, le président de l'Association des maires de France (AMF).
Pour Jean-Luc Moudenc (LR), maire de Toulouse et président de France urbaine,"il faut garantir la neutralité des débats". Or "si c'est le maire, forcément, il y aura des accusations portées à son égard à un an des élections municipales. Le débat pourrait peut-être être frappé de suspicions", estime-t-il.
Christophe Bouillon, président PS de l'Association des petites villes de France (APVF), entend pour sa part saisir l'occasion de se faire entendre. "Il ne s'agit pas pour nous d'être simplement les supplétifs ou ceux qui prêtent les salles, mettent du chauffage et allument la lumière. On souhaite s'engager dans ce débat en ayant des propositions", martèle-t-il. D'autant que certaines revendications des "gilets jaunes" recouvrent ce que les élus dénoncent depuis longtemps, comme la diminution des services publics ou les déserts médicaux en milieu rural.
"Les hauts-fonctionnaires et élus nationaux sont des privilégiés"
Le risque pour les élus est d'endosser la responsabilité d'un échec si le débat s'enlise ou tourne mal. "Je comprends que les maires aient une difficulté à s'assumer comme co-organisateurs de ce qui peut être un grand ratage", affirme le premier secrétaire socialiste, Olivier Faure, qui souhaite "que leur soient données des garanties claires".
Les milliers de "doléances" de citoyens déjà recueillies depuis décembre dans quelque 5.000 mairies doivent permettre d'alimenter la première phase du débat.
Une vingtaine de préfets ont été chargés par le ministère des Collectivités de faire une synthèse de ces écrits à partir d'une trentaine de cahiers. La note, que le site de Franceinfo a pu consulter, adressée au ministre Sébastien Lecornu mercredi 9 janvier et présentée lors d’un séminaire, évalue entre 3.500 et 5.000 élus locaux ayant joué le jeu. On y apprend que les Gardois se sont beaucoup mobilisés, avec plus de 140 contributions dans le département, contre moins de 50 en Charente-Maritime et aucune en Guyane, par exemple, rapporte Franceinfo.fr. Les contributeurs estiment que les hauts-fonctionnaires ou les élus nationaux - pas les maires (lire encadré ) - sont des privilégiés qui gagnent trop d’argent. Ils demandent que l’impôt de solidarité sur la fortune soit rétabli et réclament par ailleurs une meilleure représentation à l’Assemblée avec la mise en place de la proportionnelle, la reconnaissance du vote blanc, ou encore la suppression du Sénat.
Rien sur le "mariage pour tous" et peu d’environnement
Les préfets relèvent que l’abrogation du mariage pour tous ne figure nulle part et que l’environnement, la famille ou la culture sont très peu évoqués…
En majorité, les Français qui sont exprimés s’estiment en situation de déclassement et s’inquiètent d’une immigration qu’ils jugent incontrôlée. Ils sont aussi en colère contre la limitation de la vitesse à 80 km/h. Le thème de l'injustice est omniprésent, sur la répartition des richesses, sur l'accès aux services publics, le rétablissement de l'ISF, l'évasion fiscale, etc. La question du déclassement revient aussi beaucoup, tout comme la perte du pouvoir d'achat et la place de la voiture, relève le site de Franceinfo.fr.
Ces cahiers de doléances, lancés en réponse au mouvement des "gilets jaunes", et initiés dans certaines communes à l'appel de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) avec l’action "Mairies ouvertes" seront remis lundi 14 janvier au président de l’Assemblée nationale, au président de la République, au Premier ministre, au président du Sénat et à celui du Conseil économique, social et environnemental. "Les maires ruraux tiennent l’engagement de transmettre l’intégralité de ces doléances et propositions afin qu’elles soient toutes connues de l’exécutif et du législateur, sans tri, ni hiérarchisation", assurent-ils dans un communiqué du 11 janvier. Dans un second temps, l'ensemble sera analysé par un collectif de chercheurs, précise l’association.
Seuls les maires parviennent à susciter majoritairement la confiance
"Méfiance", voire "dégoût" : la défiance des Français vis-à-vis des institutions et acteurs politiques, au premier chef Emmanuel Macron, est au plus haut en pleine crise des "gilets jaunes", seuls les maires parvenant encore à trouver grâce aux yeux des électeurs. Le 10e baromètre annuel de la confiance politique du Cevipof (SciencesPo) (1), publié vendredi 11 janvier 2019 par le Cevipof, dresse un bilan inquiétant de la santé démocratique du pays, avec des "niveaux de défiance alarmants" selon son directeur, Martial Foucault.
De toutes les institutions politiques, seuls les maires parviennent à susciter majoritairement la confiance (58%, +3 points), traduisant une forte demande de proximité des électeurs. La cote de confiance du président Emmanuel Macron est à son plus bas historique (23%), soit 13 points de moins que l'an passé, ainsi que celle du Premier ministre, Édouard Philippe, (25%) qui perd 11 points. Et les députés (31%, -4 points) ne sont pas beaucoup mieux lotis.
Seuls 27% des sondés estiment que la démocratie fonctionne bien en France (-9 points) et à peine 14% (-2 points) jugent que les responsables politiques se préoccupent de ce que les "gens comme vous" pensent.
Selon l'étude du Cevipof, les Français voient ainsi majoritairement dans le mouvement des "gilets jaunes" un "renouvellement de la démocratie" (62%) plutôt qu'une "menace" pour celle-ci (34%). Le baromètre 2019 révèle aussi des évolutions de l'opinion en phase avec ce soutien. Le vote aux élections est ainsi de moins en moins perçu comme un bon moyen pour "exercer le plus d'influence sur les décisions prises en France" (55%, -6 points). En revanche, comme l'a démontré le mouvement des "gilets jaunes", manifester dans la rue est de plus en plus jugé comme une pratique efficace (42%, +16 points). Le référendum fait également l'objet d'une appréciation croissante puisque 70% des sondés (+8 points) estiment qu'il "devrait y avoir des référendums sur la plupart des questions importantes", en phase là aussi avec la demande d'instauration d'un référendum d'initiative citoyenne (RIC) portée par les "gilets jaunes" et leur appel à la démocratie directe.
(1) Enquête réalisée en ligne par Opinionway du 13 au 24 décembre 2018 auprès de 2.116 personnes de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas. Marge d'erreur de 1 à 2,2 points.