Les maires n'ont pas la compétence pour enjoindre à l'État à recruter plus de personnels dans leurs écoles, selon le TA de Montreuil
Le tribunal administratif de Montreuil a suspendu vendredi 26 avril 2024 les arrêtés pris par douze maires de Seine-Saint-Denis mettant l'État en demeure d'appliquer un "plan d'urgence" pour l'éducation, arguant que ces mesures ne relevaient pas du pouvoir d'un maire. En revanche, le 10 avril 2024, l'État a été condamné par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour les heures perdues par des élèves de l'académie de Versailles en raison du non-remplacement de professeurs suite au recours d'un collectif de parents d'élèves.
Dans leurs arrêtés, douze maires de Seine-Saint-Denis, tous élus de gauche, avaient listé les manques d'enseignants, de médecins ou psychologues scolaires et surtout d'accompagnants pour les élèves en situation de handicap (AESH). Ils voulaient enjoindre l'État à mettre en place un plan d'urgence en matière d'éducation pour leur département. Mais cette initiative a été invalidée par le tribunal administratif de Montreuil vendredi 26 avril 2024, au motif que ces mesures ne relèvent pas du pouvoir du maire.
En raison de l'atteinte à la dignité de la personne humaine
Par cette procédure initiée début avril, les douze communes ordonnaient à l'État de leur payer 500 euros par jour jusqu'à ce qu'il mette "des moyens à la hauteur des besoins éducatifs". Les élus se fondaient sur "les pouvoirs de police administrative générale qu'ils tiennent des dispositions de l’article L. 2212-2 du CGCT pour prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans leur commune en raison de l'atteinte à la dignité humaine que constitue, selon eux, le manque de moyens matériels et humains au sein des établissements scolaires de leurs communes". Les élus fondaient leur mise en demeure sur un arrêté du Conseil d'État de 1995 sur le "respect de la dignité de la personne humaine".
Le juge des référés du tribunal suspend ces arrêtés, au motif que "les mesures adoptées ne paraissent pas relever des pouvoirs de police administrative générale du maire tels que prévus à l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales". Le préfet de Seine-Saint-Denis, qui avait contesté la légalité de ces arrêtés, le 24 avril, a salué cette décision de justice.
Recours des maires devant le Conseil d'État
Dans l'attente de l'examen au fond du dossier, qui devrait avoir lieu "dans quelques mois", les maires vont formuler un recours devant le Conseil d'État, selon leur seconde avocate, Maitre Joyce Pitcher. "On va quand même chercher une jurisprudence, sur les champs d'action des maires", a-t-elle précisé. "C'est un long feuilleton juridique, il n'empêche que les combats de terrain et les autres actions judiciaires continuent," a-t-elle ajouté.
L'initiative des 12 communes intervient dans un contexte de mobilisation, depuis fin février, pour réclamer plus de moyens pour l'école en Seine-Saint-Denis, au travers d'opérations "école déserte", grèves, rassemblements ou encore manifestations sous les fenêtres de Matignon et au Trocadéro.
L'Etat condamné à verser 150 euros aux familles au titre du préjudice subi
Sur son blog, le cabinet d'avocats Landot dédié au droit des collectivités publiques, estime que "de tels recours ont un peu plus de chances de prospérer quand ils sont portés par des parents d’élèves". "L'astuce consiste alors à ce que les parents d'élèves agissent avec le soutien sous diverses formes de la commune", ajoute-t-il.
C'est d'ailleurs ce qu'il s'est passé le 10 avril 2024. L'État a été condamné par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour les heures perdues par des élèves de l'académie de Versailles en raison du non-remplacement de professeurs. Cette procédure s'inscrivait dans le cadre de l'opération collective nationale #OnVeutDesProfs, qui a engagé en 2022 des poursuites contre l'État en divers endroits de France pour obtenir qu'il assure l'organisation du service public dans le cas des absences de professeurs. Selon le collectif, cette action implique plus de 340 requêtes dans 20 académies. "Le tribunal a reconnu la responsabilité de l'État dans huit affaires et l'a condamné à indemniser les huit requérants des préjudices nés de la perte de chance de leurs enfants de réussir leurs années et cursus scolaires futurs en raison de la rupture de continuité pédagogique", a indiqué la juridiction dans un communiqué. Dans deux jugements en date du 3 avril publiés sur son site, le tribunal a condamné l'État à verser 150 euros aux familles au titre du préjudice subi. Il a par ailleurs renvoyé trois affaires et rejeté une requête.
15 millions d'heures "perdues" à cause d'absences d'enseignants non remplacés
Le gouvernement cite régulièrement le chiffre de "15 millions d'heures" d'enseignement "perdues" à cause d'absences d'enseignants non remplacés. Selon le ministère, ces chiffres sont tirés d'une étude de son service statistique (Depp). Elle indique que 8,8% des 175 millions d'heures dispensées dans le second degré (collèges et lycées) en 2020-21 n'ont pas été assurées, soit 15,4 millions d'heures. La Cour des comptes, elle, a estimé dans un rapport de 2021 que "dans le secondaire, près de 10% des heures de cours avaient été 'perdues' en 2018-2019, en hausse de 24% sur un an, en raison principalement des difficultés de remplacement des absences de courte durée (de moins de 15 jours)".