Les jumelages franco-allemands font de la résistance
Si d’autres formations de coopération se développent, les jumelages de villes – et singulièrement les franco-allemands – restent prisés. Certes, l’on en recense peu de nouveaux. Mais ceux en place résistent pour la plupart plutôt bien, à condition de renouveler leurs modes d’action. Fonds citoyen franco-allemand, programme Cerv…, les moyens ne manquent pas. Si le succès du premier est réel, le second reste peu sollicité par les porteurs de projets français.
Qui a dit que les jumelages franco-allemands battaient de l’aile ? En dépit des oiseaux de mauvais augure, "les jumelages ne périclitent pas", constate Benjamin Kurc, responsable du Fonds citoyen franco-allemand. Pour preuve, cet organisme – institué par le traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle de 2019 pour "rapprocher encore [ces] deux peuples" – a connu un tel succès que son budget initial de 2,4 millions d’euros a été depuis doublé, pour atteindre 5 millions d’euros l’an passé. De son lancement en avril 2020 jusqu’à la fin 2022, le Fonds citoyen a soutenu plus de 1.150 projets. Or "presque la moitié ont eu lieu dans le cadre d’un jumelage, sans que le comité ne soit nécessairement le demandeur", précise Benjamin Kurc. "Les jumelages restent toujours l’un des grands dossiers français. Avec les réseaux de ville, c’est le domaine pour lequel nous avons historiquement le plus de demandes", confirme de son côté Belén Molla-Diez, chargée de mission "Cerv" au sein du Cidem – Point de contact national pour le programme européen "Citoyens, égalité, droits et valeurs" (Cerv).
Un flux restreint, mais le stock résiste
"Certes, on est loin de l’enthousiasme des années 1960-1970 suscité par le rapprochement franco-allemand ou du boom des années 1990 d’après réunification. Le rythme des nouveaux partenariats se ralentit. On rencontre il est vrai un phénomène de saturation : toutes les villes françaises de plus de 20.000 habitants ont un partenaire en Allemagne, et l’on peine à trouver des petites communes outre-Rhin. De manière générale, l’euphorie européenne militante des années 2000 est également un peu retombée", concède à Localtis Philippe Tarrisson, directeur du pôle Échanges et partenariats européens au sein de l’Association française du Conseil, des communes et régions d’Europe (Afccre). "Mais s’il peut y avoir des périodes de creux, qui tiennent notamment à des questions d’homme, les liens résistent bien. C’est d’ailleurs particulièrement le cas avec l’Allemagne, pays avec lequel nous partageons une vision similaire du jumelage, mais aussi des valeurs", relève-t-il néanmoins. L’expert se félicite ainsi des premiers retours positifs reçus par la déclaration que l’Afccre propose aux villes jumelées de signer pour célébrer le 60e anniversaire du traité de l’Élysée.
Se renouveler pour demeurer
Philippe Tarrisson souligne toutefois la nécessité pour les comités de jumelage de "se renouveler". "Les attentes ne sont plus les mêmes. Auparavant, il était coûteux et malaisé de voyager à l’étranger, ce qui favorisait les mobilités collectives. Désormais, on n’a plus peur de quitter son pays", met-il en avant. La rançon du succès, puisque l’expert souligne que "les jumelages, véritables initiations à la mobilité, ou des programmes comme Erasmus n’y sont pas étrangers". L’ouverture à la concurrence du ciel européen – et l’essor des vols low cost –, le développement des plateformes d’hébergement et plus généralement d’internet a en outre favorisé l’individualisation des déplacements. Pour autant, les échanges scolaires restent pour beaucoup un premier pas international qui s’avère d’autant plus précieux que "l’exigence de mobilité internationale est de plus en plus forte, que ce soit au cours des études ou dans la vie active", souligne Philippe Tarrisson.
"Le narratif a changé", constate par ailleurs Benjamin Kurc, qui relève que "la réconciliation n’est évidemment plus un moteur pour les jeunes". L’expert observe en revanche que "l’environnement est clairement un domaine dans lequel ces derniers ont envie de s’engager", prenant l’exemple des opérations de ramassage de déchets. "La culture est également un thème qui fédère énormément. Nous avions lancé un appel à projets Sport l’an passé qui a de même très bien marché", précise-t-il. "Le Fonds citoyen a permis aux animateurs d’innover, en permettant de donner un coup de boost à des thématiques nouvelles", salue Philippe Tarrisson, qui vante encore la philosophie retenue par le fonds : "Tout le monde peut jouer, les petits projets comme les plus ambitieux."
Des moyens disponibles…
"Nous faisons effectivement des jaloux, car notre dispositif est particulièrement accessible et flexible", vante Benjamin Kurc : "Pour preuve, en dehors de nos deux appels à projets annuels, les demandes de subvention peuvent être adressées au fil de l’eau, et jusqu’à 6 semaines avant l’événement". La somme attribuée varie entre moins de 5.000 à plus de 50.000 euros (en fonction des points obtenus au regard de 11 critères prédéfinis – voir "le projet idéal"). Elle peut représenter jusqu’à 80% des frais engagés (70% pour les projets au-delà de 50.000 euros). Plus encore, 75% de la subvention est attribuée avant le début du projet. En outre, les demandeurs peuvent si besoin s’appuyer sur un des 14 référents régionaux du fonds. Le tout avec de réelles chances de succès : sur plus de 900 demandes adressées en 2022, 670 projets ont été soutenus. Les trois quarts sont portés par des associations, mais Benjamin Kurc souligne que "les communes restent stratégiques, y compris lorsqu’elles ne portent pas directement le projet. Ce sont de véritables démultiplicateurs". Le Fonds citoyen espère d’ailleurs qu’elles seront nombreuses à répondre à l’appel à projets "Renouveau des jumelages" qui sera lancé en juin prochain.
… mais pas toujours sollicités
Belén Molla-Diez ne semble guère en douter, tant "les porteurs de projets de jumelage franco-allemand ont pris l’habitude de se tourner directement vers l’Ofaj" (l’Office franco-allemand pour la jeunesse, qui met en œuvre le Fonds citoyen). Ce qui ne devrait pour autant pas les dissuader de faire appel au programme Cerv (et singulièrement son volet 3 "Engagement et participation des citoyens", au sein duquel prennent place les jumelages et réseaux de ville). Belén Molla-Diez déplore "qu’il reste encore trop méconnu des Français". "C’est pourtant la continuation du programme L’Europe pour les citoyens", insiste-t-elle. "Nous recevons très peu de projets, alors que l’on s’est battu pour obtenir davantage de budget", déplorait Christine Maretheu, responsable du point national d’information de ce programme, lors du dernier congrès des maires (voir notre article du 24 novembre). En 2021, année de sa mise en place, le programme n’a effectivement reçu qu’une seule demande française.... Et 8 en 2022, avec 7 projets retenus. Une misère, au regard par exemple des 49 candidatures slovaques (pour 40 dossiers retenus) ou des 22 roumaines (21 projets soutenus). Les sommes en jeu sont pourtant loin d’être nulles : "Nous avons par exemple soutenu l’an passé à hauteur de 30.000 euros le jumelage entre les villes de Vendôme et de Gevelsberg, qui célèbrent le 50e anniversaire de leur union", prend pour exemple Belén Molla-Diez. Un plafond de 30.000 euros qui a en outre disparu en 2023. Cette année, le budget du programme est de 4 millions d’euros pour les seuls jumelages. L’ouverture de l’appel à projets aura lieu le 15 mars prochain, avec une clôture le 20 septembre. Celui sur les réseaux de villes est ouvert depuis le 19 janvier, et se clôturera le 20 avril prochain.