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Les "gilets jaunes" bousculent l'agenda parlementaire

Le gouvernement met la pression sur le Parlement pour que les mesures d'urgence destinées à améliorer le pouvoir d'achat des revenus modestes entrent en vigueur début 2019. La hausse de 100 euros de Smic passera par la prime d'activité, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, dont l'examen s'achève. Les trois autres mesures annoncées par Emmanuel Macron le 10 décembre - prime exceptionnelle de 1.000 euros totalement défiscalisée, annulation de la hausse de CSG pour les retraités de moins de 2.000 euros et défiscalisation des heures supplémentaires - feront l'objet d'un projet de loi express que le Premier ministre présentera ce mercredi. En espérant le faire adopter avant la trêve de Noël.

Si les parlementaires se plaignaient il y a peu de leur surcharge de travail, ils ne vont pas être épargnés par cette fin d’année. Le gouvernement s’engage dans une course contre la montre pour répondre à la crise des "gilets jaunes" et mettre en œuvre dès le début de l’année 2019 les annonces faites par Emmanuel Macron le 10 décembre. Une partie des mesures annoncées (hausse de 100 euros pour les smicards, gel de la taxe sur les carburants) passera par le projet de loi de finances 2019 dont l’examen se termine, avant un projet de loi spécifique que le Premier ministre, Édouard Philippe, présentera en conseil des ministre mercredi. Le calendrier est extrêmement serré : la session parlementaire s’achève le 23 décembre. "Il n'y a pas de tournant. Il y a un changement de méthode. (…) Nous allons accélérer les mesures qui permettent de distribuer du pouvoir d'achat tout en conservant celles qui améliorent la compétitivité des entreprises", insiste le chef du gouvernement dans un entretien aux Échos, ce lundi 17 décembre. Rasséréné par la moindre mobilisation des gilets jaunes, samedi, il salue l’appel au calme lancé par les syndicats et les associations d’élus : "Chacun a pris ses responsabilités, tant mieux."  

Creusement du déficit, à 3,2% du PIB

Depuis le 10 décembre, Matignon et Bercy ont dû travailler d’arrache-pied pour régler l’équation. 10 milliards d’euros, c’est à la louche le montant que les quatre mesures présentées par Emmanuel Macron vont coûter au budget de l’État. Édouard Philippe a tranché : 60% du total (six milliards d’euros) sera financé par le déficit qui passera de 2,89% à 3,2% du PIB. Le reste sera financé par de nouvelles ressources et des mesures d’économies supplémentaires.
Le Premier ministre explicite, dans son entretien au quotidien économique, les contours des quatre mesures qui seront prises pour améliorer le pouvoir d’achat des revenus modestes. Tout d’abord, la hausse de 100 euros sur Smic passera par la voie de la prime d’activité et exclusivement elle. En réalité, il s’agit de mettre en œuvre dès 2019 une mesure qui aurait dû s'étaler sur trois ans. Elle a déjà été introduite dans le projet de loi de finances pour 2019 par voie d’amendement, le 11 décembre, lors de la première lecture au Sénat, et reprise vendredi par la commission des finances de l’Assemblée (la commission a aussi validé la disposition de gel de la taxe carburants, jusqu'en 2022, qu'avait introduite le Sénat).

45% des smicards non concernés par les 100 euros

La prime d’activité (prolongement de la prime pour l’emploi et du RSA activité) est un complément de rémunération versé par l’État pour les salaires qui se situent au niveau du Smic (soit 1.154 euros nets). Elle est calculée en fonction du salaire et de la situation familiale. Sa base sera élargie, passant de 3,8 millions à 5 millions de foyers. Mais contrairement à l’annonce d’Emmanuel Macron, environ 45% des smicards ne seront pas concernés par cette hausse de 100 euros car ils ne rentrent pas dans les cases. Un choix entièrement assumé par le gouvernement. "Augmenter le Smic, et l'augmenter massivement, c'était faire porter sur les entreprises le coût de cette mesure" qui aurait été "défavorable pour l’emploi", justifie Édouard Philippe dans Les Échos. A contrario, utiliser la prime d'activité permet "d'inclure les indépendants et les fonctionnaires", explique-t-il (s'agissant des fonctionnaires, voir ci-dessous notre article de ce jour). "Une baisse des cotisations salariales serait moins juste et, à ce titre, a déjà été censurée par le Conseil constitutionnel", précise encore Matignon.
À titre d’exemple, un salarié célibataire sans enfant touchera 100 euros de plus jusqu’à 1.560 euros nets. Une femme célibataire avec enfant pourra, elle, en bénéficier jusqu’à 2.000 euros de salaires. Enfin, un couple, dont l’un gagne le Smic et l’autre 1.750 euros, avec deux enfants, percevra 200 euros de primes supplémentaires. En revanche, un smicard conjoint d’une personne touchant de hauts revenus ne sera pas éligible. Ancien responsable du programme économique d’Emmanuel Macron, l’économiste Jean Pisani-Ferry a momentanément repris du service en faisant œuvre de pédagogie sur France culture, lundi matin : "Il y a 300.000 smicards qui vivent dans des foyers qui sont dans les 10% les plus riches. Donc ceux-là n’auront rien."
La hausse de la prime d’activité sera effective à compter du 5 février 2019 afin de pouvoir bénéficier au salaire de janvier.

Projet de loi express

Les trois autres mesures – prime exceptionnelle de 1.000 euros totalement défiscalisée, annulation de la hausse de CSG pour les retraités de moins de 2.000 euros et défiscalisation des heures supplémentaires – vont donc faire l’objet de ce projet de loi express "portant mesures d’urgence économiques et sociales". Examiné par les conseils d’administration de la Cnav et de l’Acoss ce lundi, le texte sera officiellement présenté par le Premier ministre en conseil des ministres, mercredi. La commission des finances s’en emparera aussitôt. Les parlementaires n’auront que quelques jours pour l’adopter, avant la trêve de Noël… "Malgré la vitesse d’exécution et la profondeur, inconnue depuis plusieurs décennies, des réformes engagées, celles-ci n’ont pas encore produit les effets escomptés dans le quotidien d’un trop grand nombre de Français. (…) De ce décalage est né un sentiment de colère légitime, doublé d’un sentiment d’injustice, notamment parmi les plus modestes", peut-on lire dans l’exposé des motifs.
La prime exceptionnelle de 1.000 euros pourra être librement accordée par les entreprises aux salariés touchant jusqu‘à trois fois le Smic (article 1). Elle devra être versée entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019, ce qui laissera un peu de temps pour les entreprises prises de court. Elle sera totalement défiscalisée (impôts, charges sociales, CSG-CRDS).
Le texte prévoit ensuite le retour de la "défiscalisation" (exonération de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu) des heures supplémentaires (article 2). Il s’agit là encore d’anticiper au 1er janvier 2019 une mesure qui aurait dû démarrer au 1er septembre 2019, comme prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. La mesure s’appliquera aussi bien aux salariés qu’aux fonctionnaires…
Enfin, le projet de loi prévoit d’annuler la hausse de CSG intervenue en 2018 pour les retraités percevant 2.000 euros nets de pension, sans aucune autre source de revenus. Au 1er janvier, 3,8 millions de foyers verront ainsi leur taux ramener de 8,3 à 6,6% de CSG. Coût de la mesure : 1,5 milliard d’euros.

Entre 1 et 1,5 milliard d'euros d'économies

Reste donc à financer l’ensemble de ces mesures : les 40% qui ne passeront pas par le déficit, soit 4 milliards d’euros environ. La baisse de l’impôt sur les sociétés, dont le taux doit passer de 33 à 31% en 2019, ne s’appliquera finalement qu’aux entreprises de moins de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le gouvernement en escompte 1,8 milliard d’euros de recettes.
Dans l’attente d’une hypothétique taxe européenne sur les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), la France va emboîter le pas de pays comme la Grande-Bretagne ou l’Italie pour se doter de sa propre taxe, dès 2019. Gain espéré : 500 millions d’euros dès l’an prochain. Enfin, le gouvernement attend 200 millions d’euros de la suppression d’un assouplissement de la "niche Copé" sur les opérations intra-groupes des entreprises. Édouard Philippe s’engage à faire de nouvelles économies : "Dans le cadre de l'exécution du budget 2019, nous devrons trouver d'1 à 1,5 milliard d'euros d'économies", déclare-t-il dans Les Échos. Sans préciser lesquelles.
À côté de ces quatre mesures, l’exécutif compte aussi sur le grand débat national pour désamorcer la crise. Les contours de ce débat, prévu jusqu’au 1er mars, restent encore flous (voir notre article du 12 décembre). La commission nationale du débat public (CNDP), qui devait initialement présenter la "méthode" retenue pour ce débat, a souhaité poursuivre ses consultations quelques jours de plus et devrait en faire état dans le courant de la semaine, vraisemblablement jeudi. Emmanuel Macron doit d'ailleurs réunir ce mardi à l'Elysée des ministres et des acteurs économiques pour échanger là encore sur l'organisation de ce débat. Ce que l'on sait, c'est que le Premier ministre s'est déclaré favorable à ce que le principe à un référendum d'initiative citoyenne (RIC) soit mis sur la table.