Les Français aiment leurs commerces mais achètent en grandes surfaces ou en ligne
Si "l'hécatombe" du commerce de centre-ville n'a pas eu lieu, notamment grâce aux aides publiques, près d'un Français sur deux constate des fermetures, d'après le sixième Baromètre du centre-ville qui lance un message d'alerte. Les Français manifestent un fort attachement à leurs commerces de proximité mais privilégient les grandes surfaces pour leurs achats courants, tout en exigeant toujours plus de services digitalisés. Le baromètre fait aussi ressortir une forte attractivité des petites villes, plébiscitées à 53%.
"On craignait en sortie de crise une très forte hécatombe (...). Il faut rester assez prudent mais il n’y a pas de villes où on ne constate pas de nouvelles implantations, il y a une dynamique qu’on sent", a déclaré le directeur du programme national Action coeur de ville, Rollon Mouchel-Blaisot, mercredi 3 novembre. Selon lui, le programme ACV "contribue à créer un état d’esprit positif". "L’immatériel est très important", a-t-il insisté lors de la présentation du sixième baromètre du centre-ville et des commerces réalisé par le CSA pour l’association Centre-ville en mouvement, dans les locaux du ministère de la Cohésion des territoires.
Ce baromètre, qui s’appuie sur un échantillon de 3.000 Français dont 2 sur-échantillons des habitants des villes du programme ACV et de leur périphérie, confirme l’attractivité des petites villes. 53% des Français souhaitent en effet "dans un avenir proche" pouvoir habiter dans une petite ville de moins de 20.000 habitants (de bon augure pour le programme Petites villes de demain), contre 35% dans une ville moyenne. On tombe à 18% pour les grandes agglomérations et à peine à 10% pour Paris. Alors que les petites villes sont avant tout prisées pour leur "qualité de vie", Paris recèle surtout des opportunités professionnelles. Mais "en dehors des Parisiens, Paris attire extrêmement peu", constate Julie Gaillot, de l’institut CSA. Ce qui est recherché dans les petites villes ou les villes à taille humaine : la proximité, la possibilité de pouvoir "tout faire à pied" (35% de réponses).
Un sujet de préoccupation pour deux Français sur trois
Par ailleurs, 73% des Français déclarent fréquenter un centre-ville au moins une fois par semaine. Un chiffre très stable depuis le début du baromètre en 2016 : "La crise n’a pas introduit un regain massif des centres-villes", en conclut Julie Gaillot. Cet attrait pour le centre est plus marqué chez les moins de 35 ans (79%) qui y voient "un moyen de créer du lien social". Selon elle, l’enjeu sera de "transformer l’essai", de s’assurer qu’en vieillissant ces jeunes garderont ce lien fort avec leur centre-ville.
L’avenir du centre-ville est un sujet de préoccupation pour 62% des sondés, une proportion qui diminue depuis 2018, notamment dans les villes de moins de 100.000 habitants alors que ce sont celles qui sont le plus touchées par la dévitalisation. Julie Gaillot y voit "une forme de fatalité", ou le fait que "certains sujets d’actualité ont tendance à éclipser ces enjeux : la crise sanitaire, les élections présidentielles". Autre possibilité : "le fait que ça va mieux"… sous l’effet du programme ACV notamment. En effet, la proportion d’habitants des villes du programme préoccupés par leur centre a chuté de 12 points par rapport à l’année dernière. Pour la première fois, la part de ces habitants ayant le sentiment que leur centre-ville connaît un regain de dynamisme augmente de 3 points, à 27%. La notoriété du programme est jugée "satisfaisante" : 39% des Français en ont entendu parler. C’est 50% pour les habitants d’une ville ACV. Le programme engendre l’adhésion : 83% de ceux qui le connaissent le jugent "utile". Un sentiment en augmentation continue.
"Comportements schizophréniques"
Si les Français légitiment l’action du maire pour moderniser le centre-ville (89% en font un objectif prioritaire pour la municipalité), ils ont surtout des attentes en matière de dynamisation du commerce (31%) devant les questions de sécurité (25%) ou de stationnement (20%). Dans le détail, ils plébiscitent la "ville du quart d’heure" et veulent des commerces alimentaires, des places de stationnement, des marchés, des espaces verts, des terrasses… Ces terrasses ressortent particulièrement appréciées du baromètre : 9 Français sur dix considèrent qu’elles sont "un lieu de convivialité et contribuent à l’économie du centre-ville".
Les Français lancent "un cri d’amour" pour leurs commerces de proximité, estime Julie Gaillot. Mais les actes ne suivent pas toujours. Si plus des trois quarts des Français privilégient le commerce de proximité pour "rencontrer des proches", "flâner", ils sont plus partagés pour ce qui est de faire du shopping (43% privilégient les centres commerciaux). Surtout, quand il s’agit des achats courants, ils continuent de se tourner très majoritairement vers les grandes surfaces (59%). Alors qu’ils sont 89% à considérer qu’acheter est un "acte citoyen". Rollon Mouchel-Blaisot pointe le caractère "parfois schizophrénique de nos comportements", ou à tout le moins contradictoires. Pour Julie Gaillot, il y a sans doute un travail de sensibilisation à mener.
Message d'alerte
Si la "catastrophe n’a pas eu lieu", comme le dit Rollon Mouchel Blaisot, 48% des Français considèrent pour autant que leurs commerces de centre-ville ont "plutôt" tendance à fermer, sous l’effet de la crise. Selon le CSA, c'est un message d'alerte. Pour Philippe Laurent, maire de Sceaux (Hauts-de-Seine) président de Centre-ville en mouvement, "il faut attendre un peu pour tirer toutes les conséquences de cette crise". "Dans la petite couronne, cela n’a pas si mal fonctionné que ça", le commerce de proximité a pu "tirer son épingle du jeu", considère-t-il, alors que Paris a surtout pâti de l’absence de touristes, notamment étrangers.
La crise a aussi entraîné une prise de conscience des évolutions en cours dans les modes de consommation, avec la montée en puissance d’Amazon et du commerce en ligne, des livraisons toujours plus rapides, de la soif de "digitalisation". Les Français souhaitent ainsi que leurs commerces en fassent plus dans ce domaine, qu’ils permettent par exemple de réserver en ligne et de retirer l’article en magasin (76%), d’acheter en ligne et de se faire livrer (65%)… Ils souhaitent aussi des centres-villes plus connectés, avec wifi gratuit dans la rue… Un service qui semble plus répandu dans les villes ACV que dans leur périphérie (41% contre 32%). Pour Philippe Laurent, candidat à la présidence de l’Association des maires de France, Action cœur de ville apparaît comme un exemple réussi de partenariat entre Etat et collectivités. "Je forme le souhait que nous puissions sur toutes les politiques publiques construire des partenariats confiants", a-t-il affirmé.