Agriculture - Les élus de montagne inquiets pour l'avenir de la PAC
Compte tenu des nombreux couacs dans les aides et des remous budgétaires engendrés par le Brexit, le report de la future PAC à 2023 (au lieu de 2021) est "probable", juge l'Association nationale des élus de montagne (Anem), dans une motion du 29 juin, appelant à préserver la place de l'agriculture de montagne. Le texte a été adopté au lendemain de la publication du document de réflexion sur l'avenir des finances européennes qui s'oriente vers une baisse des crédits de cette politique phare de l'UE. L'Anem veut notamment redonner sa place à l'aménagement du territoire dans les objectifs de la PAC.
Retard dans le versement des aides agricoles, report de la nouvelle carte des zones défavorisées, crises à répétition... La mise en œuvre de la Politique agricole commune (PAC) aura été particulièrement chaotique lors de cette programmation. Mais le pataquès budgétaire européen engendré par le Brexit obscurcit un peu plus l'horizon. Ce qui a conduit l'Association nationale des élus de montagne (Anem) à entrer de plain-pied dans le débat, en adoptant une motion, le 29 juin, pour défendre la place de l'agriculture de montagne dans la PAC. Et ce, au lendemain de la publication par Bruxelles de son document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union européenne. "Le Brexit soulève de multiples questions appelant autant de réponses techniques qui influeront sur la négociation de la PAC à venir (2020-2025), notamment sur les perspectives financières", souligne l'association pour qui "le report à 2023 semble probable". C'est également l'avis de l'eurodéputé PPE Michel Dantin, en première ligne sur le dossier.
Cinq scénarios
Le document de réflexion budgétaire de la Commission est le dernier d'une série de documents de réflexion stratégiques découlant du Livre blanc sur l'avenir de l'UE du 1er mars. Il lance le débat sur le budget pluriannuel de l'Union attendu pour la mi-2018. Alors que l'Europe entend se fixer de nouvelles priorités (défense, sécurité intérieure, migrants...) et que la sortie du Royaume-Uni va engendrer un trou annuel de 10 milliards dans le budget européen, l'équation est plus compliquée que jamais. "Si l'Europe doit relever de nouveaux défis, l'argent doit bien venir de quelque part. Nous pouvons dépenser moins ou trouver de nouveaux revenus", a ainsi déclaré l'Allemand Günther Oettinger, commissaire chargé du Budget, le 28 juin, relançant ainsi le débat sur les ressources propres de l'UE, sachant que celle-ci n'a pas le droit de s'endetter. La PAC et la politique de cohésion pourraient bien faire les frais de ces restrictions. Quatre des cinq scénarios prévus par la Commission tablent en effet sur une diminution du budget européen agricole. A priori, l'agriculture de montagne ne serait pas la plus menacée, Bruxelles étant favorable à un recentrage vers les agriculteurs soumis à des "contraintes particulières", comme en montagne. Quant à l'augmentation des ressources de l'UE - cinquième scénario envisagé par Bruxelles - elle est jugée "malheureusement peu crédible" par Michel Dantin. "Alors que nos principaux concurrents (Etats-Unis, Inde, Chine et Brésil) ont, au cours des dernières années, augmenté leur soutien stratégique à l'agriculture et que les premières discussions sur le futur de la politique agricole commune s'engagent, ce document de réflexion est un très mauvais signal", s'est-il indigné dans un communiqué, le 28 juin.
Récemment, la FNSafer (Fédération nationale des Safer) alertait sur le fait que l'Europe est déjà importatrice nette de l'équivalent de 20% de sa surface agricole. Un chiffre accueilli avec prudence par Hervé Benoît, spécialiste de l'agriculture au sein de l'Anem, qui admet cependant redouter "une dérive de ce genre" : "La PAC a été créée pour assurer l'autosuffisance alimentaire, cet objectif ne serait plus satisfait."
Redonner sa place à l'aménagement du territoire
Ce climat d'incertitude budgétaire intervient au moment où l'agriculture française traverse une crise profonde. La situation s'est encore fortement dégradée en 2016, comme en attestent les données de la Commission des comptes de l’agriculture de la nation (CCAN) publiées le 6 juillet, avec un résultat net par actif en baisse de près de 22% ! Au-delà de la crise des marchés, l'agriculture de montagne doit faire face à ses difficultés propres : climat, pente, prédateurs (loup, ours, vautours...). C'est pour compenser les difficultés naturelles que l'ICHN (Indemnité compensatoire de handicaps naturels) a été créée. Mais la révision en cours des zones agricoles défavorisées pourrait élargir le nombre d'exploitations éligibles. Une baisse de l'enveloppe globale aurait donc une conséquence directe sur les bénéficiaires actuels, s'inquiète l'Anem.
Dans sa motion, l'association demande au gouvernement d'oeuvrer "dès à présent" à la préparation de la future PAC. Elle pose cinq conditions. Elle souhaite tout d'abord redonner sa place à l'aménagement du territoire dans les objectifs de la PAC, par un recentrage des ICHN sur les zones les plus difficiles, "en rétablissant les critères d'âge et de localisation du siège de l'exploitation". Elle demande dans le même temps de reporter la nouvelle cartographie des zones défavorisées à la prochaine programmation de la PAC, moyennant des ressources suffisantes. L'Anem souhaite aussi des moyens accrus pour les outils de gestion de crise. A ce titre, l'ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll avait proposé une "mesure d'épargne de précaution obligatoire". L'idée était de prélever une partie des aides directes les bonnes années pour alimenter une sorte de fonds d'urgence.
Les élus de montagne demandent par ailleurs que les pouvoirs publics disposent de "prérogatives d’arbitrage permettant de veiller au sein des filières de production à l’équilibre d’accords de branche,
signés entre producteurs et transformateurs".
Coexistence "subie" plutôt que pacifique avec le loup
Enfin, l'Anem s'inquiète d'une baisse possible des crédits affectés aux mesures agro-environnementales liées à la présence du loup (enclos mobiles, chiens patous...). Selon Hervé Benoît, le "constat est glaçant". Le coût de ces mesures augmente en moyenne d'un million d'euros chaque année. Leur montant s'élève aujourd'hui à 26 millions d'euros. Or le budget européen ne prend pas en charge cette progression. "Il faut accompagner le retour du loup et en même temps préserver les dommages, de manière à ce qu'on ait au moins une coexistence subie à défaut de coexistence pacifique", souligne Hervé Benoît.
En attendant, l'Anem compte beaucoup sur le règlement "Omnibus" en cours de finalisation. Ce texte qui fait actuellement l'objet d'une procédure de codécision entre le Conseil et le Parlement, a pour but de rattraper le retard dans le calendrier de la PAC. Il pourrait être adopté "à la rentrée", espère Hervé Benoît. L'association est aussi en attente du décret d'application d'une des dispositions de la loi Montagne permettant de défiscaliser les dépenses en carburant des camions réalisant la collecte du lait. Une bouffée d'oxygène pour les éleveurs laitiers particulièrement touchés par la crise.